Denis Emorine, Identités brisées
Note critique par Isabelle Poncet-Rimaud,mai 2023
La mort en berne et Identités brisées, les deux romans de Denis Emorine, ont pour trait d’union Dominique Valarcher, écrivain écartelé entre deux amours auxquels il ne sait ou ne veut renoncer.
Identités brisées commence là où se terminait La mort en berne. Dominique Valarcher a laissé un mot à sa femme Laetitia pour lui annoncer son départ provisoire, sans aucune autre précision sinon celle de son besoin de recul.
Dominique Valarcher se veut et se dit un mari fidèle, très amoureux de sa femme à laquelle – affirme-t-il souvent – il appartient.
Oui, mais No̓ra, une jeune étudiante hongroise qui prépare un master sur son œuvre, est venue troubler ce bel équilibre. Quelle est la nature de cet amour ? Celle d’un homme flatté par l’intérêt que lui porte une jeune fille cultivée, celle d’un homme en désir inavoué et rassurant de séduction, celle d’une tentation venue de l’Est, cette partie du monde qui le hante et le déchire depuis son enfance ? Peut-être tout cela à la fois…
L’écrivain Dominique Valarcher, de lointaine ascendance russe qui cultive sa sensibilité slave et se ressent aussi latin par son pays de naissance et sa culture, éprouve une attirance mortifère pour cette partie du monde qui l’aimante et le repousse tout autant. Son œuvre n’est que questionnement sur ses identités contradictoires qui ne lui laissent aucun répit.
Dans Identités brisées, le personnage de Laetitia prend une épaisseur presque supérieure à celle de son mari. La souffrance amoureuse de cette femme qui questionne son âge et en vient à prendre conscience de sa valeur personnelle par, ou grâce, au manque terrible que créent l’absence physique et les interrogations sans réponse, touche profondément.
Laetitia est un cri d’amour, prête à tout pour retrouver celui qu’elle aime. Les espoirs et la désespérance qu’exprime cette femme sensible, cultivée, musicienne, rayonnante rendent d’autant plus cruelle l’impossibilité de Dominique Valarcher à trancher.
Homme de fractures, Dominique Valarcher porte douloureusement sa propre culpabilité et celle d’un passé familial qui ne lui appartient pas, ainsi que celle d’un territoire marqué par l’Histoire. L’écrivain aux identités morcelées, ne sait choisir et semble se complaire en lui-même et en sa propension à la fuite.
Quant à Nóra, elle voue un culte à « son » écrivain et laisse planer le doute sur la réalité de ses sentiments. Ce qui arrange bien le côté lâche de l’écrivain.
Nóra, jeune fille innocente, opportuniste, amoureuse ou seulement admiratrice de l’homme et de l’écrivain ?
Nóra serait-elle l’incarnation de ce que hurle sans cesse l’écrivain dans son oeuvre : l’amour porte toujours en lui la mort, surtout quand il vient de l’Est ?…
Dominique Valarcher saura-t-il trouver la réponse à cet écartèlement qui fait de lui un funambule exilé, en équilibre instable entre deux cultures, deux amours, deux fidélités, deux univers émotionnels, vie et œuvre, intimement liées ?
On le suit dans son combat personnel à Garouze, lieu de sa retraite, mais aussi dans sa vie antérieure, celle d’un homme tourmenté et écrivain reconnu, aimé, admiré du public et de son éditeur, dans les souffrances qu’engendre sa personnalité fragmentée grâce à l’écriture forte et précise de Denis Emorine qui nous entraîne jusqu’au dénouement dans un même élan.
Dans ce deuxième et beau roman, Denis Emorine a su donner corps et sensibilité à des personnages complexes et parfois déroutants.
La mort en berne et Identités brisées, deux romans que l’on peut lire comme une suite mais aussi indépendamment l’un de l’autre.
Longtemps après les avoir quittés, le lecteur continue son chemin en compagnie de Dominique, Laetitia et Nóra …
Adorable, cette suite de la Mort en berne. Felicitations au geniteur de Dominique , Laetitia et Nora…..et mon ami Denis Emorine !