Friederike Mayröcker, Scardanelli
Friederike Mayröcker, Scardanelli, traduit de l’allemand (Autriche) par Lucie Taïeb, Atelier de l’agneau, 2017, collection transfert
En lisant Scardanelli …
Des mots écrits comme on incise. Profondément … La profondeur fait toute la différence car elle dépend de la nature de la plaque de bois qu’elle coupe, marque, creuse, barbe d’éclats. Seule, la profondeur …
Je suis profondément touchée par ce qui se dit en suivant le fil étranger du bois – ce corps, ce monde -, dans l’irrévérencieux rapport au langage d’une phrase ordonnée selon sa seule règle.
Et je suis profondément réjouie à chaque lecture, par les inclusions-éclats d’images de la phrase travaillée par les présences – animaux, objets, végétaux, paysages -.
et assis sur le banc parmi pins et buissons nous ne nous embrassions
pas nous tenant bien plutôt par la main, en crépuscule 1 forêt : 1
refuge « mamelon » à Winterbach en 55 je crois, là sur les prairies
aussi demeuraient ces brebis, et désormais après tant d’années
années de larmes en plein hiver petites feuilles pointent (« où
pointaient les violettes cachées ») sous le store à demi
relevé ma petite bible mon cornet pourtant
partout je t’épousais
22./23.1.08
matin extatique, pour Linde Waber
remonter le chemin qui miroite en forêt qui miroite du
lac éblouissant à notre droite lorsqu’1 beau promeneur nous
et que sur les racines des arbres puissants je trébuchai
tandis que le cliquetis du soleil à savoir la haute lumière de midi
poudrait au travers de la voûte des cimes à l’époque à Altaussee
et les pins sylvestres à notre gauche (emportés par le vent) jour
ténu. Comme mère jadis lorsque je m’en allais 3 petites croix : bourgeons
de petites croix me plantait sur front lèvres et poitrine ainsi
toi aussi avant que nous ne prenions congé, ce buisson de forêt
d’orties odorantes dans l’alcôve etc.
où pointaient les violettes cachées
24.1.08
sur le Cobenzl
ce petit coin de terre où l’hydrant peint
en bleu : clapote tandis que les cimes des chênes
vers le Cobenzl : gravissant le sentier forestier presque plat bordé
d’enclos à chevaux où aussi ânesses et chèvres
rouges puis gagnant le rondeau belvédère où le regard vagabonde
des hauteurs obscures aux vallées éclatantes : uni mur-
mure du fleuve entre leurs bras, plus tard
la part sombre de la forêt où PARENTES voix de miel d’oiseaux
jusqu’au sentier où les humides (phalliques) racines
tandis que du ravin terriblement surgi à
droite les bêtes dociles : brebis laineuses remontaient comme
si des ailes leur étaient poussées – ah cette urgence de saisir ta
main pour ne pas devoir céder au besoin
de me précipiter dans l’abîme (à celui dépourvu de fleurs)
lorsque l’oeil malade le gauche se mit à larmoyer : le cil
1 pure fontaine battante 1 ondée de larmes les lachrymae,
John Dowland
8.2.08
« lorsque j’étais 1 garçonnet..«
ils viendront de nouveau les flocons le feu argenté les morts se gelant
dans leurs enveloppes, mais c’est maintenant 1 mois de mai la voix du ros-
signol (pas encore entendue) tandis que je scrute le ciel à la recherche de la 1ère
hirondelle : amie de mes jeunes années à D., à l’époque le coeur em-
pli de joie éternelle et murmures de l’air je me souviens
et moi tenant la main de ma douce mère qui comme FLEUR penchée vers
moi elle m’aimait comme jamais personne ne m’avait aimée
les soirées dans la cour intérieure de la maison les vers luisants nous attiraient la
lune planait en ses figures, les étoiles tombaient. Je vivais dans le lit
d’une joie persistante, constance des poiriers
devant le portail, les mûriers saignaient, leur sang noir dans la
rue du village, l’ostensoir des fleurs de sureau, 1 brise le
matin, 1 note marginale sur cette rive, moi aussi les herbes tendres,
au bord de l’abîme du temps
9.5.08
est mort mon petit tyran ma braise de vie sans fin
ainsi je pleure m’accroupis avec
l’orvet mignon sous l’arrosoir dans son
jardin où l’herbe haute comme abattue mais c’est
le vent qui dans ses bras (berce) la prairie de l’été et la
courbe vers lui 1 harpe solaire 1 chenille tandis qu’aux
murs de la maison chèvrefeuille clématite et digitale doigtier et noire
rose (dans le verre de la pièce) oh nuit tombante de mon
âme apeurée, 1 cheveu solitaire s’enroule 1 serpent le long
de mon dos dont je tétais le demi-doigt digitale etc. ou
cette résonance du bois ces étendues vierges j’étais soumise m’y adonnais, la
CLAIRVOYANCE / cette lumière de ma conscience (mes fausses dents) – ma somnolence,
toujours plus bas, Brahms, à savoir calme sur ,fond
crépusculaire la vague voguait d’après Hölderlin
pour Angelika Kaufmann, après son appel
1.7.08