Tarik Hamdan, Rire et gémissement et Exercices d’apprentissage
Urgence. Intensité. La langue poétique de Tarik Hamdan est un fer de lance. Sa force lyrique est d’être à la fois intime et politique. Qu’elle soit en arabe ou en français, nous la recevons en plein coeur. Poète d’origine palestinienne, il vit aujourd’hui à Paris. Sa poésie parle d’exil, de douleur, de colère. Il était présent sur la scène d’Un Havre de poèmes et de Fécamp tout un poème et nous a adressé des textes sans détours.
Coeur dans la rue
« Hier, un coeur chuta au sol
Il heurta l’asphalte dans la rue et roula jusqu’à atteindre le bas de l’immeuble.
Ma voisine catholique dit, « c’est le coeur d’un démon dans lequel Dieu a shooté »
Du bout de la rue la fille hippie hurla, « ce sont les usines, les usines! »
L’épicier arabe fixa des yeux le coeur en disant, « Allah akbar! Gloire à Dieu! »
Le patron du café se réjouit de satisfaire les nombreuses commandes passées soudain par des clients qui buvaient leurs bières et mangeaient des pistaches en contemplant ce coeur.
Présents sur les lieux par hasard, des touristes asiatiques saisirent leurs caméras et le mitraillèrent de photos et de selfies.
Le facteur communiste fit une pause pour dire en riant, « c’est le coeur de votre Dieu mort.
La police arriva et s’activa à prélever les empreintes.
Armer de grands aspirateurs et de balais géants, les éboueurs se rassemblèrent de côté, attendant le signal du maire venu lui aussi avec ses fonctionnaires.
Le coeur battait dans la rue et moi je me tenais à la fenêtre à observer les gens de plus en plus nombreux.
Lorsque la nuit tomba et que les gens se dispersèrent pour regagner leurs lits, je descendis dans la rue reprendre le coeur, mon coeur, qui la veille, avait sursauté de peur et dégringolé dans la rue. »
Rire et gémissement
Histoire
« Je ne suis pas Sisyphe ni son rocher roulant
Je ne suis pas le Christ, ni sa couronne d’épines
Je ne suis pas Gandhi ni son sel
Je ne suis pas Guevara ni son cigare
Je suis encore moins Superman qui traverse de part en part les montagnes sans se décoiffer
Je suis un simple spectateur, entraîné de force à une pièce de théâtre ennuyeuse
Alors que je tentais de quitter la salle, les acteurs m’ont fait monter sur scène
Les héros et les comparses échangeaient leurs rôles
Et moi, tantôt héros, tantôt comparse
Cela eut lieu avant que nous soyons tous changés en décors et que nous cédions nos places à de nouveaux spectateurs qu’on faisait monter sur scène pour jouer les mêmes rôles où les héros meurent en vain et les comparses s’exercent aux faux témoignages
Les mêmes rôles, dans la même grande pièce intitulée « l’histoire »
Rire et gémissement
Risque
« La liberté
C’est nager dans l’océan
Conduire une moto sur l’autoroute
Dévaler du sommet d’une montagne enneigée
Participer à une marche pour la chute d’un dictateur
Casser le bureau sur la tête du patron
L’adrénaline se déverse dans le sang
Un air nouveau souffle sous la peau
Et gonfle les poumons
Comme deux ballons qui ne demandent qu’à planer
On vole … on vole
Et plus on s’élève
Plus on a peur
Mais c’est une peur revigorante
Compagne de qui veut
Vivre en liberté »
Exercices d’apprentissage
La tyrannie de l’espoir
« Est-il vrai
Que
La machine de l’espoir
Fonctionne à l’huile de l’humiliation?
Est-il vrai que l’espoir est le terrain fertile du despotisme
Puisque là où il se trouve
La tyrannie perdure,
Et qu’il n’est pas de mort clémente
Tant qu’on en est otage ?
Demain ne peut être que rempli d’amour, donc encaisse la claque d’aujourd’hui
Est-ce ainsi que Jésus a couvert l’injustice
Et effacé le mal et son souvenir ?
O espoir despote
Dis-moi que faire
Chaque fois que je me réveille
Dans l’espoir d’en finir avec toi ? »
Exercices d’apprentissage
Trône volé
« Elle ne s’est jamais fatiguée de courir
Le monde dort et se réveille au bruit de son halètement qui emplit l’horizon
Maintenant, alors que j’écris ces mots,
Son souffle traverse les fenêtres, les portes et les murs
Vous aussi, vous pouvez l’entendre
Si vous prêtez l’oreille
Elle ne cessera pas de courir
Traînant derrière elle un legs d’absence
Et l’écho des tourments de celles qui sont nées, un signe de malchance entre les cuisses
Son halètement qui emplit l’horizon
Sera toujours
Témoin de sa souffrance
Jusqu’à ce qu’on lui rende son trône
Volé par des livres
Prétendus descendus du ciel »
Exercices d’apprentissage