
les heures denses …

J’ai vu l’arbre qui fut là autrefois, son fantôme abandonnant sur le mur son linceul de brume …


… et son ombre d’arbre où je marche et entre enfin dans le temps doux des lumières. J’ai vu son piétinement de plante, bogue de mousse, hérisson vert qui m’apprivoise. Bonheur, bonheur !



J’ai vu sur la pierre, la rose de pierre, son oeil ouvert comme le mien, attaché aux matières, un regard amoureux tenant au monde par son grain, son modelé et sa trace.


J’ai vu ceux qui veillent l’un sur l’autre avec tant de douceur. J’ai vu la permanence de l’amour …


… et l’amour tombé par terre et la résistance d’un être à la fenêtre. J’ai vu la houle du sang.


J’ai vu un poisson naviguer sur les murs comme dans l’eau. Intriguée, j’ai suivi les pas d’hommes invisibles.



Dans la ruelle des anciens morts, j’ai vu la tombe ouverte sur laquelle une femme veille. Il en va ainsi, nous sommes libres.




J’ai vu les gardiens des portes sourire aux passants …


… et leurs souffles contraires se conjuguer. J’ai vu l’innocence vite engloutie.





J’ai vu le cochon, le lion, le bouc et la sirène danser. J’ai vu le fou et sa folie.



J’ai vu qu’ils riaient depuis toujours et quels regards ils nous jetaient.




J’ai vu des visages chargés d’abime. J’ai vu, j’ai compris, j’ai bien noté où et comment le temps s’inscrit. Et j’ai vu au milieu des ravages, les regards qui s’obstinent.


Fous, follette, je cherche la boussole mais la raison brûle et se consume.




J’ai vu tout tomber à la renverse, mais j’ai gardé les yeux ouverts.



J’ai vu le désir triomphant nous culbutant par terre et j’ai vu ceux qui fuient quand il est à leurs trousses.





J’ai vu la colère sans nom, les miroirs qui se brisent, le ressac tragique des astres …


… et les femmes qui séjournent là, souriant finement.



J’ai vu l’être tranquille, toute résistance abolie sous la fontaine de lumière.


Je l’ai vu rêver : « la lumière est dans l’ombre de l’espace et du vent ».


J’ai vu des envols heureux, libres …



… et dans l’eau la dérive des heures qui serpentent.
Epinal, Rouen, Paris … images saisies