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Miguel Casado, Théorie de la couleur

Miguel Casado, Théorie de la couleur Avec le temps, la couleur change et reste à définir ; on cherche ses secrets, ses règles, ses mesures, ses retards, parfois ses échecs. Les yeux incertains et le regard, le passage des glacis, des noms, des lointains. Reste la tension du regard, la fragilité de la pensée dans le vif désir du réel, dans le risque même d’inventer, avec des visions, les réponses. Parfois, sur quelques pentes, la couleur s’arrête à de soudaines limites. Un souvenir brisé et étrange de terres de vignes que les feuilles cachent ou d’ oliviers ou l’absence soudaine d’ aiguilles de pin. Sur quelques pentes; la couleur s’arrête, et il n’y a rien. Aucune peau ne se fait signe; comme un squelette, la terre est nue, les pierres roulent comme des yeux, mots pour ne plus rien dire. Rien n’est plus éloigné du silence que ces sonnailles de rien, que cette poussière de tant d’images. Rien rien au-delà du silence. Sur quelques pentes, la vie s’arrête, sans aucun lieu. El día escinde la percepción al colorear la tierra. Limita el dolor con la promesa del tiempo. Presenta lo ya vivido como imagen de lo por vivir. Le jour scinde la perception en coloriant la terre. Limite la douleur avec la promesse du temps. Présente le déjà vécu comme l’image de ce qui est à vivre. Invernales (Hivernales), Premio Arcipreste de Hita, 1985. Réédition partielle de ces poèmes sous le titre :Parauna Teoría del Color (Pour la théorie des couleurs), Nómadas, 1995. Parution en version française, Théorie de la couleur, trad. par Jean-Gabriel Cosculluela, Ed. Propos 2, 2006, coll. Propos à demi

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« Dans mon âme industrielle »

« Dans mon âme industrielle », écrire avec Yann Dupont devant les paysages du Havre Comment dire la ville, ses rues, ses passants, son atmosphère ? Dans le clair paysage du Havre, le 23 mars dernier, Yann Dupont nous a conviés à une randonnée-atelier d’écriture à l’occasion de la « Criée des poètes » organisée par Lignes d’Horizons et La Petite Librairie. Nous avons grimpé sur les hauteurs du boulevard Félix Faure qui domine la ville et donne à la voir du port industriel jusqu’à la plage. Le jour avait cette gaîté rieuse de gris bleus contrastés de nuages. Nous nous sommes assis devant le paysage, le stylo à la main comme un crayon et un carnet à dessin. Quelques textes de Yann ont été les fils conducteur de nos écrits. Ils étaient tirés des recueils inspirés par la ville et son port, parmi lesquels Brumes industrielles. « Les nuages à même le sol », « la gouaille des galets », « le béton rose », « les goélands transatlantiques »… les mots sont posés sur des sensations tenaces. Des contradictions. Nulle certitude. Mais un chant pour aimer le gris des brumes, du bitume, de la plage de galets, les bruns, les rouilles et les « cendres bleues du petit matin ». Quelques couleurs pour tracer le portrait d’une ville, la splendeur et l’usure des lumières posées sur l’amertume d’un paysage industriel, l’espace où s’amassent ses rues et la délicatesse d’un horizon qui la libère. Un porte-conteneurs dans mon âme industrielle décharge des tonnes de solitudes Elles ont traversé les océans d’autres villes les mégapoles de l’oubli et le travail à la chaîne. Quand le soir bleu pétrole tombe sur la mer d’huile j’aime les retrouver Près d’une lucarne triste on contemple l’horizon Sous l’œil d’un goéland rieur La gouaille des galets a la couleur des goélands Elle parle de la bruine des gens du port Des bruits de la ville à dix heures du soir Mais quand ruisselle le cliquetis des mâts Le long des avenues aux vents de minuit On discerne à peine le roulis de ses mots Il rêve d’un café aux mosaïques surannées Un verre de pernod sur le formica d’une table éméchée Il rêve d’un vieux docker échoué sur le boulevard Du temps long de l’ennui les soirs d’été Quand les derniers transatlantiques ont quitté les quais Il rêve d’un temps où il n’était même pas né Toujours n’être pas seul au seuil de l’orage Quand les étoiles lessivées crèvent les nuages Mon Je flotte amarré à la nuit fuyante Et des jeux inconscients émergent inconsistants Bouées des brumes hébétées au rivage du jour Me ramènent assoiffé mendiant le secours D’un autre que moi Poèmes extraits de Brumes industrielles, recueil poétique, Hugues Facorat Edition, 2016 Vous pouvez suivre les activités de Lignes d’Horizons : https://www.facebook.com/Verslehavre/ et de La Petite Librairie : https://www.facebook.com/p/La-petite-librairie-100092492154055/

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Pulpe rouge le sang du rêve, Lambert Savigneux

« Pulpe rouge le sang du rêve », peinture et poésie de Lambert Savigneux Couleurs : pigments distribués dans l’eau ; mots aussi, ces images en éclairs qui traversent le langage et s’y nouent fermement. Le travail de peintre et de poète de Lambert Savigneux se nourrit d’un double regard et partout de couleurs. En elles – règne de l’image – les différents aspects du monde se frottent et se ravivent. Ecrire ou peintre pour ne pas raconter. Regarder plutôt. Se saisir d’éclats et, dans un décalage immédiat, provoquer l’irruption du monde. La grande balafre Même si La grande balafre accroché à la carcasse du monde vieux c’est la solitude coupée de la vitalité Sur l’autre rive les cent défaites de toutes les défaites plus nette est l’étincelle la mémoire portée en rive ces chapelet des graines rouges éclatent au toucher comme pour les couver de la paume le songe de la folie affabule la source  ci git la dérive pulpe rouge le sang du rêve. à partir dans le non-dire le oui -dire le rire émietté Le sang dans la bouteille les vagues sur une fleur épineuse les crocs de l’énergie rode dans un trou noir phare une épave, l’humain veille du sol vert sur le sol duvet aérosol sur le monde l’affolement des oiseaux dans les branches (extrait de « La grande balafre », Dogside) Trans/i La transamazonienne des coups de pelles et des répressions virales le rideau est tiré sur le rêve au havre déjeté de la forêt des fleurs des hommes jaguar et des pierres précieuses sur les visages sous les hauteurs des gouffres végétaux animaux et l’esprit sauvage la poussée intranquille au balancement des cimes ramené dans des coffres forts pesé en boîtes numériques à l’équation en suites binaires Alors que ça souffle que la richesse dans le silence et la couleur crie et  tue (extrait de Paléofolia) Pour retrouver les peintures et les poésies de Lambert Savigneux : https://aloredelam.com/

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« De plénitude rose, revêtu de ce rose »

« De plénitude rose, revêtu de ce rose »… Revue alsacienne de littérature Dans le dernier numéro de la Revue alsacienne de littérature, intitulé « Demain », parmi tous les textes, je suis allée vers ceux qui célèbrent le faste des couleurs. Bleu, roux, rouge, gris pâle, rose … les couleurs sont les pensées. Nous y rencontrons le monde. Elles aimantent nos regards. Nos compréhensions passent à travers elles. N’importe laquelle est un bienfait. Couleurs, ne jamais vivre mieux qu’en ressentant. « Ce soir le ciel n’a pas les yeux bleus du désert Sept heures en été c’est loin du crépuscule mais la pluie en partant a volé tous les verts anisé des prairies caché les cœurs de gui feutré les tuiles rousses aux bras des collines cossues J’ai dit « Oui » à l’irréfutable et je poursuis ma route en me fiant là-haut à des dragons lovés esclaffés dans des champs de perles Ils sont fumeurs de brumes et attisent vers moi des bûchers de pénombres Mes autels de païenne font monter des credos vers tout ce qui s’effleure Les blancs entre nos rives défilent ici même des lionceaux feuillus viennent déjà y boire L’irréfutable rit et je lui dis : « Encore » Anne-Marie Soulier, « Skylines », p. 35 « dans le vaste monde les mêmes trois couleurs sous le feu la braise rouge feu sous la peau le sang rouge sang et la semence pâle comme blanc d’œuf le poème existe partout sous les formes les plus changeantes mais les trois couleurs constantes font ressembler l’homme à l’homme » Gaston Jung, extrait de « Braise sang semence », p. 33 Des ailes sous l’oreiller « Des plumes diaphanes flottent au-dessus du lit gris pâle, bleu translucide La peau du visage légèrement colorée, les paupières tremblent, fragiles, mi-closes. Des ailes à la fenêtre blanche et fortes. Absence du corps. Des dessins tracés sur les couvertures. Des lignes inégales, des touffes de laine. La respiration lente du dormeur. Les mains frêles. L’ombre des plumes. » Andrea Moorhead, extrait de « Dans la splendeur de ton absence », p. 43-45 « aube, belle arche de plénitude source à ciel ouvert aux hauteurs des pics joie haussée vers un lendemain si clair comme la pointe naît à la pointe de la fleur rose apparue en sa grâce d’aube née sous sa poussée demain n’en finit pas d’advenir de plénitude rose revêtu de ce rose » Anne-Marie Zucchelli, extrait de « Les lendemains affleurants », p. 54-55 « Dans un soupir le chant des coquelicots Dans la danse des blés points rouges des coquelicots A la porte de la chambre une haie de coquelicots Ferme les volets sur la buée Un plongeon dans le rouge Eternité rouge des pavots Une couleur pour demain » Martine-Gabrielle Konorski, p. 72 Revue alsacienne de littérature, n°140, « Demain », 2ème semestre 2023

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Caroline Hayeur, Radioscopie du dormeur

Caroline Hayeur, Radioscopie du dormeur L’invitée d’honneur du festival photo Are you experiencing ? est Caroline Hayeur. Elle présente dans le hall du Théâtre de l’Hôtel de ville du Havre une installation combinant photographies et vidéos d’hommes et de femmes en train de dormir : Radioscopie du dormeur. La photographe propose au visiteur une déambulation entre de grands tissus dressés, comme des fenêtres ou des draps qui sèchent et qu’un courant d’air bouscule. Dessus, des images de corps abandonnés au sommeil. Vertige de la verticalité suscitant une danse des corps endormis à mi pente, tout en haut ou à l’oblique du lit. Sur les noirs, les gris et les blancs de la photographie, dans leur matière même, le grain du tissu fait comme une couche de sable déposé à la surface. Ce sable qui se pose sur le dormeur et l’ensevelit. Délicates images où le sommeil se laisse saisir dans des lignes qui fuient et d’autres qui s’entremêlent. Sommeil soufflé dans l’image. Chastes images. Jubilation de découvrir les dormeurs comme on se voit soi-même, dans l’émotion intense d’une révélation, une effusion des profondeurs. Sous les mouvements doux des draps suspendus et des gestes enregistrés par l’image, nous entrons dans le paysage lointain et incertain du sommeil, mélange d’ardeur et de distance. Sa mémoire révélée par une image, interminablement fixée en nous. Caroline Hayeur, Radioscopie du dormeur, invitée d’honneur du cadre du Festival photo Are you experiencing ? sur le thème « La nuit, je voyage ». 17ème parcours photographique urbain du Havre à Sainte-Adresse, 29 mars-30 avril 2024 – https://areyou-experiencing.fr/ Pour retrouver les projets de Caroline Hayeur : https://art.carolinehayeur.com/

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Katty Verny-Dugelay ou la parole ardente

Isabelle Poncet-Rimaud, « Katty Verny-Dugelay ou la parole ardente » Le 13 janvier 2024, le monde de la poésie a perdu l’une de ses plus ardentes voix, celle de Katty Verny-Dugelay que la maladie a fait taire après une lutte acharnée et digne, à l’image de cette poétesse tendue tout entière vers la lumière de la vie… De la vie à l’art Katty Verny-Dugelay est née en 1930 dans une région où règne le soleil, près de Clermont l’Hérault dans le Languedoc, au hameau de Fouscaïs. Ce nom de lieu, si souvent prononcé par l’auteur, signifie « les fonds baptismaux où naître » et évoque la fontaine, source vive et constante, l’eau qui « adoucit la rugosité » dit-elle dans son recueil Labyrinthe du rêve. A ce lieu originel, sa poésie viendra boire inlassablement… Katty Verny-Dugelay a vécu sa vie d’adulte à Paris, mais son enfance et sa jeunesse, c’est important, se sont déroulées dans ces paysages du Languedoc qui ne cesseront de l’imprégner. La mer, la flore, la faune, les lieux et le climat de la méditerranée imprègnent sa vie et son écriture. « La vie » écrit la poétesse » « tient son scalpel /dans les doigts d’une main ». De fait, la vie lui fera connaître le bonheur, certes, mais ne lui épargnera pas la douleur et le deuil. Mariée au peintre Yves Dugelay, Katty aura trois enfants dont deux disparaîtront avant elle. Courageusement, avec lucidité, elle écrira dans La pointe du souffleur, « les lames de fond sont les seules qui t’apprendront à sécher tes larmes » et obstinément elle se tournera vers « le guet du soleil et de la joie », vers la recherche de la lumière et l’apaisement de l’espérance. De 1984 à 2022 paraîtront onze recueils aux titres délicats : Empreintes, Corolles de l’ombre, Herbe ouverte, par exemple. Son dernier titre, Le chant de l’être clôt le chemin et rend grâce à la vie par ces mots sobres et ciselés dont la poétesse a le secret et qui mettent à nu le cristal de l’être tout brillant de la saveur de vivre. Tous ces recueils en vers libres ou en prose poétique sont des itinéraires intérieurs, des trajets initiatiques où, comme le dit Rilke, « faire de l’art » creuse « le chemin vers soi-même ». Art et vie sont intrinsèquement liés chez Katty Verny-Dugelay. Ces chemins parcourus déshabillent du superflu et révèlent l’essentiel, c’est-à-dire, l’être. Le paysage est celui « dont on se vêt » (Sente buissonnière) et le lieu géographique ou physique d’où l’on part est seulement prétexte pour arriver au lieu intérieur, où se concentre toute la densité de l’être. Le poème se fait alors « médiateur » et « lances de lumière » (Le chant de l’être). Décrypter le réel Cette poésie s’appuie sur le réel, le concret pour mieux donner forme à l’invisible. La poésie de Katty Verny-Dugelay, en s’appuyant sur l’expérience, le vécu, l’observé, révèle la transparence des choses. Son œuvre poétique cherche « l’intime réponse » ( Le chant de l’être) à partir de signes souvent ténus que son âme de poète lui propose de décrypter. La sobriété, la précision de ses mots ouvrent alors l’écorce de l’apparence pour en révéler l’amande cachée. Tout est prétexte à « recueillir l’écho » de ce monde offert, « d’avancer plus loin que (sa) soif et de ressentir « ce lointain proche » (Le chant de l’être) à partager. La poésie de Katty Verny-Dugelay peut donner l’apparence de la légèreté. Mais au fur et à mesure de la lecture se dessine au contraire une gravité intense, celle de l’être en son unicité. Sous la légèreté se dit en réalité la recherche de la transparence, celle qui révèle « l’enfant d’une autre naissance/sorti des eaux pures de la mémoire » (Corolles de l’ombre). Un sentiment prégnant de « nostalgie originelle » baigne tous les recueils de la poétesse. Poésie du bruissement, de l’air, de l’eau, poésie du murmure interprété comme le signe d’autre chose, comme un appel, un pressentiment de l’habité, la poésie de Katty Verny-Dugelay est célébration. Ce qu’il faut entendre chez elle, c’est qu’il y a derrière le paysage, derrière la plante ou l’animal auxquels elle donne langue, « un langage à traduire/jusqu’à l’épuisement/ jusqu’au bouche à bouche des étoiles » (Rhizome) ainsi qu’une prière secrète que « les oraisons du vent/le balancement du pin/ ensemble récitent (en) une litanie d’instants » (Herbe ouverte). « Chercher l’autre côté des choses » est une constante de l’œuvre de Katty Verny-Dugelay. Elle s’interroge : « que me veut chaque chose contemplée » et son regard introduit un retournement où les choses alors s’offrent dans une fécondité inépuisable à nos yeux dessillés. Le voyage intérieur La poésie de Katty Verny-Dugelay est « rhizome », racine multiple et souterraine qui trouve la force de ses mots dans la sève tirée des terres adultes fortifiées par l’enfance et la mémoire. Cette parole dit la précarité de l’être, du désir, du sens mais aussi et surtout la puissance de l’amour. Celui qui ouvre et « mène au-delà des mirages/à la vie et au puits » (Rhizome). Parole de délicatesse, de finesse, elle suggère mais n’impose pas. Poésie toute de concision qui crée un mouvement du regard de l’extérieur vers l’intérieur, aval et amont des choses, flux et reflux de la luxuriance qui cache, mouvement vers l’essentiel qui dénude la parole et se dit en creux de l’image. L’intime et l’infini, deux extrêmes que côtoie la poétesse et entre lesquels elle « invente (son) paysage » (La pointe du souffleur). Cette parole est voyage intérieur « dans l’opalescence de soi » pour « entendre le chant de l’être » (Le chant de l’être) et nous mener à une véritable conversion intime où « la lampe du regard/éclaire du dedans » (Saison du silence) faisant ainsi grandir toutes choses autour de nous et nous offrant le poème comme cet « instant éveillé » qui a « le goût du jour à vivre » et devient parole « mellifère » qui nourrit l’âme et la guide vers « l’aurore à venir » (Le chant de l’être) … Katty Verny-Dugelay était mon amie et sa parole forte et vibrante continuera son chemin en moi, comme une « main ardente » par-delà l’absence. Isabelle Poncet-Rimaud, mars 2024 Patience du jardinier Épilant les pins Son seul soin Trouver l’harmonie (Un souffle de pétales – Éd. Du

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Isabelle Poncet-Rimaud, « Sonia Elvireanu, un regard infusé de lumière »

Isabelle Poncet-Rimaud, « Sonia Elvireanu, un regard infusé de lumière » Lecture par Isabelle Poncet-Rimaud du recueil de Sonia Elvireanu, Le regard… Un lever de soleil /Lo sguardo… Un’ alba, traduction Giuliano Ladolfi, Giuliano Ladolfi Editore, 2023 Prix François-Victor Hugo de la Société des Poètes Français – 2023 « La langue de la lumière » Dans ce nouveau recueil de Sonia Elvireanu, tout est une question de lumière, éclairage du regard que l’on pose sur l’impénétrable, sur l’apparence, le visible, le mystère de l’invisible et de l’absence, sur la beauté du monde en noir ou en couleur et ce regard nous entraîne sur les sables de la quête du poète, celle de l’Amour et de l’art qui font se lever le soleil du sens et de la vie. Ce beau recueil de Sonia Elvireanu ne se laisse pas aborder si facilement. Il s’ouvre et se referme sur le dialogue entre deux regards : la parole d’un peintre qui bute sur le mur des vers du poète, se sent étranger au mystère qu’ils recèlent. Il est difficile de pénétrer le mystère des vers, /impénétrable, je suis comme un mur/ dit-il – Il n’y a pas de mur à ne pouvoir décrypter, lui rétorque le poète : le langage des vers et celui de la couleur sont à même de faire se lever le soleil. Car le mur parle, à sa manière. Il oblige à regarder, à découvrir le travail de la lumière, à le franchir et à regarder le monde derrière lui qui s’y reflète. C’est donc le regard qui fait advenir la lumière. Pinceau du poète, il rejoint celui du peintre qui rompt la nuit profonde de l’être par la touche de couleur qu’il y met comme le poème, lui, s’illumine d’un grain, noyau de vie. Dans l’œil qui regarde s’allument ou s’éteignent /les couleurs de la vie nous dit le poète. Décrypter serait donc accomplir son destin, sa mission sur la terre …Trouver le sens, percer l’impénétrable, entrer dans l’univers de l’autre peut être un défi. Ne pas se sentir compris est une blessure : « Quelqu’un ne comprenant pas mon rêve, a secoué l’échelle, /un éclat de verre pointu ronge la ficelle maintenant, /il déchire petit à petit le rayon de lumière«  » Mais la vie coule dans tout désert et la langue de la lumière finit, elle, par ouvrir le cœur. « Ombre infinie de l’attente » Sonia Elvireanu est un poète qui parle dans une langue peu connue, une langue singulière faite de la lumière du ciel accoudée aux fleurissements du souvenir, de la beauté du monde et de l’amour. Ses poèmes sont accompagnés de présence ou d’absence sans qu’il soit toujours possible de savoir qui est l’ombre de qui. Ombre infinie de l’attente qui ajoute au charme du mystère poétique. Et nous laisse pressentir une présence suggérée, celle d’un Absolu vers qui se dirige sa marche. La poésie toute de délicatesse, de touchers aussi subtils qu’ailes de papillon, de traces légères et de douleurs contenues de Sonia Elvireanu nous entraîne vers les rivages verts/et bleus du silence poème. Ainsi, ce superbe poème : Une feuille d’érable emportée par le vent verse sur mes genoux le sang d’une plaie profonde, Les eaux de l’attristement de la solitude, la pointe d’une flèche, La feuille sanglante d’érable La feuille de l’amour étoilé tourbillonne vers les rivages éloignés Sonia Elvireanu, dans ce recueil-ci, nous emmène sur les sentiers du monde, qu’ils soient ceux des sables du désert, de la Grèce ou du paysage familier. Dans la brume laiteuse ou la lumière crue, ils gardent en eux le noyau du mystère, cet œil du ciel… Les couleurs, les senteurs, la vie en ses broussailles, l’eau, source ou mer, les ciels et les ponts entre deux mondes que sont les arcs-en-ciel, ces éléments qui forment l’univers du poète dans toute son œuvre poétique prennent ici une nouvelle gravité teintée d’attente tantôt offensée tantôt apaisée, symbolisée par l’ombre constamment présente. Malgré toutes les résistances, rien ne peut s’opposer au rayon de lumière qui conduit à l’heure destinée au cœur du mystère caché dans la touche de couleur ou le mot du poème et devient alors, éclat vivant d’un don qui s’offre. De la blessure a surgi la vie. L’art du peintre et celui du poète ont déchiré le noir et franchi le mur de l’impénétrable. L’un comme l’autre a fait se lever le soleil. Isabelle Poncet-Rimaud – février 2024 Le regard … lever de soleil « Un mur », écrit le peintre, Je vois tous les murs en couleurs, bleu, violet, jaune, vert, orange ou un mélange qui réabsorbe les couleurs, le mur peut être une métaphore, le vers une couleur, l’inscription : « Ne dépouille pas les mots de levers de soleil » la sensation d’impénétrable se brise ainsi un mystère existe dans tous les coins du monde, le regard est lever de soleil. Un rayon de lumière Rien ne s’oppose à la lumière, même pas l’homme-mur, il peut s’emmurer tout seul sombrant dans les ténèbres de son esprit, à l’heure destinée, la nuit fond en lui, coule telle le cierge allumé un rayon de lumière grandit en lui. Le don On portait sur nos épaules blessées de trop lourds fardeaux, on traversait le dos courbé les matins, sans être touchés par leurs scintillements, on s’est rencontré en été, deux voyageurs épuisés, une brise étrange a enlevé de nos épaules tous nos chagrins, des ailes de papillons ont poussé sur nos corps et notre envol évoquait une lumière. Pour suivre le travail d’Isabelle Poncet-Rimaud

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« La nuit, je voyage », festival photo Are you experiencing ?

« La nuit, je voyage », photographies de Flora Elie, Raynald Vasseur et Sylvia Ney, festival Are you experiencing ? Se promener et se laisser surprendre par une autre promenade, celle de la nuit sur soi. Redoublement de la joie. Nuit. Cette ligne séparant les journées. Les fondant en lumières crépusculaires jusqu’à la chambre intérieure. Nuit. Sous le ciel devenu noir, laissant la place à une respiration. Un très haut ciel. Dans la chambre, son souffle. Nuit. Avançant comme une eau, une rivière lente. Majesté de la nuit monumentale sous laquelle je marche. Car la nuit, je voyage. « La nuit, je voyage » est le thème défini cette année par le festival Are you experiencing ? présentant une vingtaine de photographes dans divers lieux du Havre et de Sainte Adresse, et proposant un parcours, de nuit en nuit, redoublant ainsi la carte de la ville à travers ses rues, le long des bassins et sur ses hauteurs. Certains photographes exposés ont choisi de représenter la nuit non par le noir et blanc, mais à travers des couleurs. Et c’est toujours chez eux une manière d’interroger le noir et toute la gamme des gris. Le noir photographique devenu tangible offre un plaisir tactile. Nuit. Tant de sens éveillés, leurs transports infinis. La perception redouble de sensibilité. Noir. Recel des couleurs. Renaissance du noir où surgit la couleur. Nuit pleine et absorbante. Ou bien traces de nuit frôlant les êtres, filant, grise, sur les murs et les trottoirs. Nuit onctueuse ou griffée selon le regard du photographe et son traitement de la matière. Noir, mélange de bleu ou de rouge fanés. Noirs à soufre, cassis et réglisse, noirs noirauds et leurs pertes de gris, goudrons et terres d’ombres ou de charbons. Les couleurs se hissent hors du noir même. Nuit noire aux couleurs inépuisables. Parmi les nuits je retiens celles dont j’ai mieux senti sans doute la pâte picturale à l’œuvre : les nuits sur fond de villes égyptiennes photographiées par Flora Elie, les nuits inondées de bleu de Raynald Vasseur et les arbres, géants nocturnes dressés de Sylvia Ney. Flora Elie Flora Elie, Ô nuit, ô mes yeux, Le Caire A la Bibliothèque Oscar Niemeyer, Flora Elie présente une série de photographies intitulée « O nuit, ô mes yeux », reprenant le titre du roman graphique de la romancière et illustratrice Lamia Ziadé. Elle photographie l’Egypte et tout particulièrement Le Caire, la nuit, quand les ampoules et les néons s’allument et que les habitants se retrouvent dans la rue ou aux terrasses des cafés. Nuit toute éclairée donc. Pourtant Il me semble qu’il n’est à de fin à ces photographies en couleur que la vie tenace du noir. Sur fond de noir, les petits globes visibles des lumières artificielles des fêtes fugaces éclairent un monde éteint qui réapparaît par fragments. Lumières ! Mais le vrai lieu est ailleurs : sous les griffes acérées de noirs gris ou noirs cendres tâchant de représenter l’inimaginable face de la nuit. Nuit pauvre. Offerte au béton, à la pierre, à la poussière d’une ville disparue, dont l’image s’empare, où elle creuse des noirs, trouve obscurément sa récompense lorsqu’elle les saisit à leur suspens, sous les pointes sèches d’un regard aigu travaillant la photographie comme une gravure, sans jamais stopper la gravité de noirs secs qui tombent, réclamant tout espace de la ville. Cris de nuit lorsque dans le noir qui s’installe, la photographe fait sourdre des couleurs. La nuit alors appareille dans un emmêlement de détails disjoints, de dédales de rues, d’impasses désertées et de places bondées. Un fret de nuit emporte la ville et les êtres accrochés à la vie par un bleu ou un vert. Travail de peintre sur la trame griffée du noir. Dissection de la nuit, soulevant sous la peau morte les cheminements de veines. Pépites, veines de pierreries, ou plaies et hémorragie. Parfois un rouge moins proche du rouge, du rose ou de la brique que du sang, s’écoule impudique sur une table de billard, à l’instant du jeu, comme un trop plein de vie ou un élan mortel surgissant des ruines du monde. Vert aussi, quelque fois jaune sous des éclairs, c’est le noir qui flamboie, braise sur laquelle s’obstine la vitalité du monde réclamant les couleurs pour tout espace et toute matière. Raynald Vasseur Raynald Vasseur, Nuits opales Dans le hall de l’Art Hôtel, quelques photographies de Raynald Vasseur ont été accrochées. Elles s’intitulent « Nuits opales ». Errance dans un paysage dont le photographe est originaire, la côte d’Opale, à la beauté jusque-là immuable et qu’il voit se transformer. « La nuit agit comme une chambre noire : elle n’éteint pas, elle révèle »… écrit-il. La nuit, le monde entre dans sa troisième dimension, son épaisseur tactile. Elle a dans l’instant de quelques photographies cet air de grâce du plein vent qui font nos sommeils plus lents et plus patients. Me voici à tâtons, ravie de mes promenades effrayées ou enchantées, respirant, animale, la nuit noire transparente. Foule de nuit, dans des odeurs, leurs envols. Grand calme de nuit, son chant tu. La photographie ici est onctuosité et matière aquatique, baignant l’air d’une allure d’eau. Nuit des profondeurs. Tant de présences s’allument, leur clarté bleue ou leur trace glacée verte découvertes par l’œil sans paupière de l’appareil-photo. Combien y a-t-il de bleus dans ce bleu ? Ce bleu comme noir. Le noir dont s’extraie le plus beau des bleus, démêlé d’un trop plein de lumières. Nuit mouvante habitée comme un autre univers. Creusant l’intervalle entre le monde et mes songes. Nuit de sommeils, pareille leur fumée. Le bleu alors est moins une coloration qu’une respiration tissant entre eux les fragments du paysage. Dans ce bleu en grains fins recouvrant tout l’espace de l’image, le silence se développe, propice à l’installation d’une histoire. Nuit photographiée en plan fixe, comme l’image arrêtée d’un film dont on se raconte, prodigue, les dénouements distribués selon la convenance d’un bleu et de ses voix multiples. Alors, je m’écarte des images pour en ouvrir d’autres, invisibles et vagabondes, jouant librement avec mes mots

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Anise Koltz, Galaxies intérieures

Anise Koltz, Galaxies intérieures Mes mains sont sans géométrie aucune mais le monde entier est inscrit dans mes paumes _ Qui sait qui je suis ? Mes empreintes digitales changent chaque jour _ Ma tête tourne autour de soleils inconnus Je m’éloigne de plus en plus de moi-même divisée en de nouvelles possibilités de lumière Soleil sans fin cloué dans le ciel je m’ouvre à ta distance La distance étant notre proximité Tu te lèves et te couches avec moi Chaque rayon désigne une soif qui me dépasse qui me fait exister Chaque poème que j’écris existe depuis toujours Voyageant avec la lumière je le capte Le faisant vibrer avec les herbes du champ Chaque jour le soleil se réincarne Officiant dans les champs il récite des litanies de sécheresse Après nous avoir marqués de ses tatouages Le soleil assoiffé boit nos ombres Pour lire l’œuvre d’Anise Koltz, on peut se référer à l’édition de « poèmes choisis » qu’elle a elle-même publiés dans la collection de poésie de Gallimard, sous le titre de Somnambule du jour en 2016. La préface que la poétesse écrit débute par : « Dès que j’écris une phrase, je suis désorientée et embarrassée, déjà, j’ai envie de la rejeter pour dire dans la suivante le contraire. C’est que j’ai toujours l’impression que l’essentiel m’échappe. La double face, le côté caché des choses. » Les derniers mots sont une invocation : « Notre langue est sacrée. Protégeons-la, veillons-la comme un feu qui ne doit jamais s’éteindre, car c’est lui qui doit éclairer la nuit du monde. » Anise Koltz, Galaxies intérieures, Arfuyen, 2013 https://editionsarfuyen.com/2018/12/14/galaxies-interieures/

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La Petite librairie accueille Véronique Maupas

La Petite Librairie accueille la poétesse Véronique Maupas Dans la poésie, j’écoute le silence. Il m’enveloppe si sûrement que je passe moi-même toute entière dans son tamis et j’entre dans un territoire où je m’aperçois que j’existais déjà. La poésie bâtit à l’intérieur de moi un espace. Je n’y possède rien. Je ne l’invente pas. Mais je désire cette architecture de silence que les mots, les musiques et les couleurs gravissent avant de se retirer. Lors d’une lecture publique, j’aime les moments où par la grâce des mots le silence monte. Il en a été ainsi un jour de lecture à la Petite Librairie, lorsque la poétesse Véronique Maupas est venue présenter son recueil, Le mystère d’être un corps, accompagnée par son éditeur, Mathieu Amans. Peut-être était-ce dû à l’intimité du lieu, aux murs de livres, à la simplicité de l’échange qui a précédé la lecture et aux textes offerts ? « Ami, / je te donne ma parole / tiens prends / mes pensées voisées / ou muettes », nous a dit la poétesse. Je retiens de ce moment quelques poèmes. Ils ont développé en moi leur enveloppe de silence. Je ne sais dans quelle glaise j’enfonce mes pas dans quelle poussière je suis en terre sans idée claire des lieux où s’ancrent mes racines continuent-elles à pousser le sais-tu le vois-tu là où tu es est-ce que j’emmène mes racines là où je vais Transhumance Ma peau de silence s’aère piquetée de trous minuscules comme le millepertuis en interface entre les éléments du dehors et ceux du dedans L’œil de la nuit Je ramène la terre pour me couvrir jusqu’au menton dans le sang chaud de la roche océanique je ferme l’œil de la nuit L’œil de la nuit Le 3 février 2024, dans le cadre de l’événement « Poésir à Danton », la Petite Librairie a accueilli la poétesse Véronique Maupas à l’occasion de la sortie de son recueil, Le mystère d’être un corps, Lignes d’Horizons, 2024. https://76lignesdhorizonsi.wixsite.com/lehavre

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