Anne-Marie Zucchelli, Instantanés, sélection de textes tirés d’Espace d’un instant, mis en musique pour piano-jouet par Damien Charron
Inquiétudes
De nos jours cassés, cailloux et poussières s’élèvent en tourbillons
et nous entraînent sur leur orbite, peut-être perdus, peut-être emportés vers le même anéantissement.
*
Je veille… c’est ma ruse vivante. Je pose les mains sur ce que nous touchons. Je frotte les poignées, les carafes, la rambarde.
Mais de la moitié que j’oublie, je ne me réveille pas.
*
J’ai le goût décevant de compter les cailloux, d’attendre la faveur du territoire figuré à l’intérieur duquel je me déplace. Il est si difficile de le renouveler.
Les chemins que j’emprunte pour la première fois me semblent familiers, car d’autres pas remontent à travers les miens.
Mouvements
A escalader ces journées à hauteur de maison, le monde me manque et j’en supplie la présence.
Alors, dans la rue réduite au silence, j’entends le mouvement des branches dans l’air et je suis remplie de gratitude.
*
Dans le si suave silence dans lequel je m’enfonce, le chant du merle jaillit en filet de fontaine et redresse le ciel d’un coup.
Ma joie brûle sans laisser de cendre.
*
A rebrousse-poil sur les chemins, mes mains serrant des poignées de crins, j’escalade le ciel.
Au-dessus, rament de lourdes barques qui frottent de leurs bords le sel éparpillé de l’air.
Plantes
Tige sur tige je me hisse à hauteur de terre,
le ciel sur la tête après m’être baissée.
Dans l’instant, je vis.
*
Herbes entre mes doigts.
Sur le gazon, dessus, dessous, fume un peu de sol remué parmi les fétus.
L’étonnement vient de ce gris doux et de la ferveur odorante de la terre mouillée.
*
Du plus bas, du minuscule, mousse sous les pieds, je fais un sol.
J’y navigue comme le sel court dans l’eau pour ne pas s’assécher au soleil.
Présenté à Sète en juillet 2021 lors du festival Voix vives en Méditerranée, par les éditions Pourquoi viens-tu si tard ? Présenté aux portes ouvertes « Pleins Feux » d’Ivry-sur-Seine, atelier de Ghislaine Escande, en octobre 2021.