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Joséphine Bacon, Un Thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat (Québec)

Joséphine Bacon, Un Thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat, Mémoire d’encrier, 2013


Le territoire de nos ancêtres vit en nous comme « un rêve long ». De ce rêve Joséphine Bacon est en exil. Pour rejoindre le pays terrestre bien réel des Innus de Betsiamites au Québec, elle pose une pierre sur le sol, marque de sa présence. Alors, le chant monte.

Tout est éclat dans cette poésie. À la fois ténèbres de la nuit et lumières changeantes des aurores boréales. La toundra offre à celle qui est affamée de sensations le vert tendre des mousses et des lichens, les reflets gris des truites dans les ruisseaux, l’appel d’un loup et la chaleur des foyers allumés par les chasseurs. Rien qui ne fasse pas partie d’elle.

Le désir est dionysiaque : offert « dans une tasse d’écorce » le thé enivre. « Toundra, tu me gâtes ».

Pour rejoindre la toundra, il faut abandonner ses habits de ville. Les gestes anciens, portager, pagayer ou dandiner apprennent au corps d’autres rythmes. Ce territoire est horizontal. Pourtant dans le silence, comme une tige nue, l’être s’enracine et s’élance dans un double élan. De la peau de caribou sur laquelle elle s’endort, Joséphine Bacon fait son axe sans limite. La leçon de cette expérience est l’espérance. A “Se laisser être” sous les constellations du ciel et sur l’étendue de la neige, s’élargit le cercle “d’une terre sans fin du monde”.

Toundra, territoire de la naissance. Fragile et menacé. Dans sa beauté de “terre nue”, sa splendeur de “bleu du bleu”, de “soleil rouge” et de “couleurs de feu”. La mémoire puissante y puise la force de ses incantations.

Toundra, « tu es musique », écrit Joséphine Bacon. La poète entame la litanie des noms – Missinak, maître des poissons, la rivière Mushua-Shipu, Papakassik et son fils Caribou, Uhuapeu et Uapishtanapeu, maître des animaux à fourrure, grand-père ours et le Grand Esprit. Les présences se multiplient sur une « terre qui espère / [leur] venue ». La polyphonie impulse aux poèmes des joies aventureuses.

D’un mot à l’autre naît la cadence. « Tambour, je rêve du Tambour ». L’écriture trouve son rythme à se caler sur des voix, des musiques et des gestes anciens. Plus que leur écho persistant, l’expérience corporelle bien réelle nourrit et équilibre la parole. Puisque Joséphine Bacon parle comme elle vit, remonte entre ses lèvres et sous son crayon « une langue qui n’est pas la [sienne] », l’innu-aimun. L’écriture relie entre eux ses deux présents. Sa voix est celle d’un corps double. Le corps urbain perdu et le corps nomade faisant face à l’infini, son rendez-vous. Le langage alors fait à la poète le don du territoire : « La nuit l’innu-aimun m’ouvre à l’espace » / « Namaieu innu-aimun Tepishkati nitinnu-puamun ».

« Je suis libre » / « Apu auen tipenimit ». Témoignage d’une existence convertie en de multiples autres. Comme si être une équivalait à n’être pas entière. D’ailleurs, dans sa marche, Joséphine Bacon emporte sur son dos sa grand-mère. Les voix qui l’habitent sont celles de “[ses] soeurs les vents”, de la nuit et de la toundra. Pour qu’elle ne s’égare pas, leur chant monte à travers elle  : « J’avance, j’avance, j’avance … »

Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli



http://memoiredencrier.com/un-the-dans-la-toundra-josephine-bacon/ et https://www.youtube.com/watch?v=ZWQwDUhb7Lw

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