Claude Ber, “Fenêtres” (France)

“Oh ! Ma fenêtre intérieure donnant sur un noir d’âme tel une encre illisible dans une existence passée comme une ligne hors de la page
Il y avait un puits, que mon nom cerne d’une auréole car j’ai moins choisi mon nom qu’il ne m’a choisie
et personne ne prend la parole qui, toujours, est donnée, prenant qui la reçoit en ce même puits creusé par l’obstination de la vérité

Oh ! Mes persiennes doubles, volets entrouverts sur la nuit blanche des fleurs d’amandier
je sais que j’ai vieilli
et je n’ai plus le temps de croire possible ce que j’ai guetté dans l’impatience ni ce que j’ai laissé sombrer dans l’impossible aveuglement
Pourtant, ce fil de vie usé jusqu’à la transparence, je le passe à présent dans le chas d’une aiguille si fine que mes yeux la devinent plus qu’ils ne la voient
et c’est un puits immense que cette fente imperceptible dans un métal moins épais qu’un cheveu et l’aiguille elle-même une verticale sans limite
A coté de l’amandier poussait un néflier avec ses fruits à maigre pitance creusés de gros noyaux et un plaqueminier et un mandarinier et le mimosa, l’arbre joyau casqué d’aigrettes pâles et de touffes d’or doux
des arbres, tant d’arbres comme une destinée vigilante

Oh ! Mes fenêtres closes définitivement
je me suis tant penchée pour voir venir ceux que j’aimais et toujours ils sont venus et moi de même espérée
Désormais, sous l’ombre du figuier, le dernier survivant aux racines tenaces avec ses branches écailleuses d’orvet ou de lézard et ses fruits sexuels inattendus chez ce sec à peau revêche, mon nom appelé, épelé syllabe après syllabe, lettre à lettre, rassemble la braise consumée de mon histoire
la mienne
ma simple vie commune
Trois maisons jaunes, une murette de pierre, une pelouse rase dans la lumière rousse d’une fin d’après-midi, où il passe le temps comme il vient, avec ces instants de nulle part qui ne prennent pas à la mémoire puis ressurgissent soudain d’on ne sait plus où ni quand…
ma vie, comme je vous aimais juste à ces instants-là”

23 janvier 2021 : car les mots révèlent des étendues bien plus vastes que nous et la poésie nous remet en chemin.

Claude Ber, Sinon la transparence, Paris, Editions de l’Amandier, 2008, coll. Accents graves Accents aigus

https://www.claude-ber.org

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