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Luc Vidal, “La poésie est révolte pacifique et tendresse efficace”

Luc Vidal est un poète et un éditeur sensible et passionné, traversé lui-même par un profond désir de lyrisme, un besoin impérieux de témoigner de ce qui porte le sens : l’amour et la beauté.
Ce sont les poètes comme René-Guy Cadou ou Gérard de Nerval et les chanteurs Léo Ferré, Jean Ferrat ou Jacques Brel qui lui ouvrent le chemin et encouragent “le toujours nouveau départ / pour échapper à l’ombre / avec les yeux grands ouverts / et le désir incessant / de donner à l’amour / son espace et de le vivre”.*
En 1984, il fonde la maison d’édition associative, Le Petit Véhicule, pour faire vivre la démocratie culturelle par l’échange et le partage. La maison d’édition permet les rencontres et l’accueil généreux. Luc Vidal est un lecteur attentif et ouvert. Parce que les arts “multiplient les regards du poète”, les publications de poésie sont toujours accompagnées de peintures, de gravures, de photographies ou d’encres.
Cet entretien est consacré tout particulièrement au cheminement de poète de Luc Vidal qui évoque ici les lectures et les rencontres qui lui permettent de s’accomplir dans l’écriture.
* Eva-Maria Berg, “A la poésie de Luc”, Le Maquis thaumaturge, éd. du Petit Véhicule, 2021
Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Festival Voix vives, Sète, 26 juillet 2022


© Gilles Bourgeade


Devenir poète

Mon premier rapport à l’écriture date de 1978-1980. Il est venu un peu par hasard car je ne pensais pas être poète. Mon premier poème s’intitule Juillet. Il est dédié à mon ami Jean-Yves Tralli, mort dans mes bras dans un accident de voiture, alors que nous filions en stop vers la côte, en juillet 1970. Quelques années après, j’ai écrit ce texte. C’est un poème sur la fraternité. J’y évoque la route filant bleu vers l’hôpital et je donne la parole à mon ami.
Jean-Yves faisait du théâtre et disait des poèmes sur scène. Pas moi. J’étais alors un militant syndical dans le monde enseignant. J’avais grandi à Nantes dans un milieu ouvrier où mon père, qui était un militaire, était entré par idéal au Parti Communiste.

La période syndicale a été fondatrice pour mon écriture et j’y ai appris à penser le monde par les mots. Mais je n’y trouvais pas mon compte car il me semblait que les gens voulaient changer le monde sans se changer eux-mêmes. Alors, peu à peu, je me suis fait à l’idée de quitter la vie syndicale, militante et politique.
Parce que je crois depuis toujours à l’éducation populaire, j’ai fondé une association “amicale pour tous”. J’ai appris l’art de faire des marionnettes avec les doigts, comme Guignol. Ensemble, on adaptait des textes de Jules Verne et on tournait dans les écoles. J’ai découvert de cette façon le monde de la culture qui m’était inconnu jusque-là.

Le temps passant, je suis devenu poète, comme malgré moi et presque par hasard. Au fond, la poésie m’était familière grâce aux lectures. Ce sont elles qui m’ont amené à l’écriture. Je pense que le couple lecture et écriture est indissociable.
Il m’est venu alors l’idée de créer une petite maison d’édition au sein de mon amicale laïque. Ainsi sont nées les Éditions du Petit Véhicule. J’ai appris sur le tas l’art de la mise en page et le métier d’éditeur et je me suis entouré de gens compétents et d’amis poètes, comme Claude Bugeon, directeur des éditions du Nadir.

Lorsque j’ai publié les premiers livres, je ne voulais pas m’éditer moi-même, car ce n’était pas encore assez mûr en moi. Certains de mes textes tenaient la route et d’autres moins. Progressivement je me suis rendu compte que j’avais une plume.
Je me suis approché intuitivement de l’écriture en commençant par écrire des poèmes d’amour pour la Femme, Eurydice, dont le mythe ne me quitte jamais. Pour Orphée le poète, Eurydice est une quête amoureuse. L’écriture raconte ce défi. J’avais en moi une forme de lyrisme à exprimer. Un poème à offrir à la femme aimée. Si cela marchait, mieux valait l’amour que l’écriture !

© Marion Le Pennec



La joie d’écrire

Écrire est une joie. La joie de travailler le matériau et celle de la rencontre avec la personne à qui j’offre le poème. Les deux dimensions sont toujours présentes, mais jamais en même temps.
J’essaie toujours de me tenir au plus près d’une expression authentique et sincère. Ce que j’écris me surprend parfois. Entre les phrases dites, il y en a de silencieuses où ce qui n’est pas écrit prend son sens.
L’écriture permet aussi le rire et le sourire. La joie exprime qu’il y a dans la vie des possibilités que l’on ne soupçonne pas.
Mon lyrisme prend sa source dans des sensations. Je n’aime pas la métrique trop mathématique et préfère plutôt les vers libres ou les vers blancs jouant de temps en temps avec les rimes. Ils agissent physiquement en moi comme des corps dotés d’âmes vivantes.

Lorsque j’écris, je reste silencieux. Mais c’est un silence bavard, car la poésie me parle intérieurement comme un autre moi-même.
Grâce à une rencontre, un texte poétique ou une chanson qui m’expose et m’explose, cet autre moi-même inconnu ouvre totalement ma psyché, autant sur mes sentiments que sur mon intuition et ma raison. Alors l’écriture me déborde. Dans Le Maquis thaumaturge, un poème de 40 vers est né comme cela.
Mes poèmes sont aussi des lieux d’archives ou un journal de bord. Pour écrire mon roman en cours, je vais y chercher un état d’âme ressenti à un moment donné et je l’utilise enrichir pour un personnage.



Les mots des autres

Je ne conçois pas l’écriture sans étudier la poésie des autres. J’aime raconter leur histoire ou écrire des essais.
J’ai fait une licence d’histoire et lu Michelet, Taine et Mommsen, l’historien allemand, pour lesquels les éditions Laffont avaient créé une collection magnifique. L’écriture de ces grands historiens est aussi poétique !
Je suis toujours en dialogue avec les œuvres qui me touchent. C’est par René-Guy Cadou que j’ai fait une première plongée dans l’œuvre d’un poète majeur. Lire me donne le carburant dont j’ai besoin. Je lis Cadou, Ferré, Desnos, tous les troubadours et trouvères, les Minnesingers allemands. J’aime la poésie du Moyen-Age : Rutebeuf, François Villon, les poètes du 16ème siècle comme Ronsard, du Bellay, Baïf et les femmes troubadours, Marie de France, Marie de Ventadour, Louise Labé, Christine de Pisan ou encore Marguerite de Navarre.

Il y a chez tous un art du rythme et l’invention d’une langue neuve, que je ressens même si elle est ancienne.
Je lis beaucoup Léo Ferré. Dans le Testament phonographe, il répond à Villon d’une manière à la fois médiévale et moderne.
En ce moment je lis Si Yeou Ki ou le voyage en Occident, qui raconte l’histoire de moines s’en allant chercher des livres en Occident. J’aime ces aventures à la fois fantastiques, légendaires, très concrètes et liées à la vie. Mon plaisir vient peut-être de la croyance enfantine de pouvoir dominer les monstres et trouver l’harmonie intérieure.


” La nuit est une flambée de solitudes
Le poète exprime parfois une langue qu’il ne comprend pas
comme un rêve perché à l’orée de la nuit
Les mots sont sa boussole étoilée
Les saumons de l’espérance ont perdu les aimants du retour
Les bras de la pluie rassemblent les oboles
l’amour fou a perdu ses maravédis dans le rio de la tristesse à Grenade
La poésie de Lorca fustige les médiocres assassins de la beauté
un poème accompli boucle son budget avec des mots furieux, doux, aimants … “

“Les solitudes flamboyantes” (extrait), Le maquis thaumaturge, éd. du Petit Véhicule, 2021



Le temps d’aimer

La musique joue un rôle très important pour moi. Écouter une symphonie de Beethoven ou un quatuor me met en état de transe et je suis transporté. En écoutant la musique, je ne me raconte rien, mais naissent en moi des figures et des images fabuleuses.
La poésie aussi est sonore. Elle est souffle et respiration. Elle est liée au temps d’aimer jusque dans sa dimension physique.
J’aime l’alchimie secrète des sons, des mots et des images, comme la décrit Correspondances de Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».

Les publications du Petit Véhicule comportent toujours des illustrations. J’aime la peinture. Je regarde les œuvres de Chagall pour la représentation de l’amour. Celles de Magritte pour l’insolite et pour ce que sa poésie offre de connaissance du monde réel et onirique. Ou bien encore les peintures de Chirico.

© Josette Digonnet



L’autre en soi-même

La poésie est révolte pacifique et tendresse efficace.
On est là pour s’aimer et se prendre dans les bras. Je suis un adepte de l’art du massage que j’ai appris à trente ans. Il est une vraie aventure qui délie et permet d’approcher le corps et l’âme autrement.
Comme Ferré, je me sens libertaire. Le pouvoir d’aimer est celui d’une métamorphose. Nerval a dit « je est autre » et Rimbaud, « je est un autre ». L’altérité est la vraie question. Qui est l’autre en moi ? La lecture, plus encore que l’écriture, m’apporte des réponses.
Un des objectifs du festival Voix vives est l’accueil des poètes dans leur altérité. C’est ce que j’offre aussi dans ma maison d’édition : devenir un partenaire complice des poètes que j’édite. Mais ce n’est pas facile.
J’aime les maisons d’édition comme Gros Textes dont le directeur publie des poètes qu’il aime et prend des risques. C’est cela la fraternité et la tolérance.

Le chanteur Môrice Bénin, que j’ai édité, a écrit :« Plus tu es heureux, plus t’acceptes les autres
Si tu t’aimes un peu, alors t’aimes les autres
C’est pas question d’orgueil, c’est question de repos
Si t’as envie de vivre, tu décourbes ton dos »

Je suis content de l’élan général de ce que j’ai édité. Il faut faire des choix et me laisser du temps. Au départ, j’ai pris des risques financiers et j’avais des dettes, car les livres et les disques coûtent de l’argent, mais j’ai appris à me battre.
Il faut oser. Parfois je le regrette. Parfois je suis fatigué. Le temps passe. Je me sens en harmonie, y compris dans la dérive. Je pense que je ne m’arrêterai pas.



Pour retrouver les livres et le disque de Luc Vidal : https://lepetitvehicule.com
Entretien par Reha Yünlüel, Festival Voix vives, Sète, 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=hFF3AdZ4f90&ab_channel=bachibouzouckement
Entretien entre Luc Vidal et Eva-Maria Berg, Festival Voix vives, Sète, 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=eDhTAdKmtdA&ab_channel=LucVidal%C3%89ditionsduPetitV%C3%A9hicule

1 réflexion sur “Luc Vidal, “La poésie est révolte pacifique et tendresse efficace””

  1. Superbe dialogue avec un ami poète et éditeur , grande sensibilité et sincérité que tu mets en avant car c’est cela qui compte le plus ! j’aime cette impression de la connaitre mieux et aussi le passage où il dit que la poésie agit physiquement en soi comme des corps dotés d’âmes vivantes. cela me fait penser à la recherche de cette autre langue que décrit Juarroz
    Bravo encore pour ton travail très généreux à l’écouter des autres !
    Amitié Lambert

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