Isabelle Poncet-Rimaud, « Katty Verny-Dugelay ou la parole ardente »
Le 13 janvier 2024, le monde de la poésie a perdu l’une de ses plus ardentes voix, celle de Katty Verny-Dugelay que la maladie a fait taire après une lutte acharnée et digne, à l’image de cette poétesse tendue tout entière vers la lumière de la vie…
De la vie à l’art
Katty Verny-Dugelay est née en 1930 dans une région où règne le soleil, près de Clermont l’Hérault dans le Languedoc, au hameau de Fouscaïs. Ce nom de lieu, si souvent prononcé par l’auteur, signifie « les fonds baptismaux où naître » et évoque la fontaine, source vive et constante, l’eau qui « adoucit la rugosité » dit-elle dans son recueil Labyrinthe du rêve. A ce lieu originel, sa poésie viendra boire inlassablement…
Katty Verny-Dugelay a vécu sa vie d’adulte à Paris, mais son enfance et sa jeunesse, c’est important, se sont déroulées dans ces paysages du Languedoc qui ne cesseront de l’imprégner. La mer, la flore, la faune, les lieux et le climat de la méditerranée imprègnent sa vie et son écriture.
« La vie » écrit la poétesse » « tient son scalpel /dans les doigts d’une main ». De fait, la vie lui fera connaître le bonheur, certes, mais ne lui épargnera pas la douleur et le deuil. Mariée au peintre Yves Dugelay, Katty aura trois enfants dont deux disparaîtront avant elle. Courageusement, avec lucidité, elle écrira dans La pointe du souffleur, « les lames de fond sont les seules qui t’apprendront à sécher tes larmes » et obstinément elle se tournera vers « le guet du soleil et de la joie », vers la recherche de la lumière et l’apaisement de l’espérance.
De 1984 à 2022 paraîtront onze recueils aux titres délicats : Empreintes, Corolles de l’ombre, Herbe ouverte, par exemple. Son dernier titre, Le chant de l’être clôt le chemin et rend grâce à la vie par ces mots sobres et ciselés dont la poétesse a le secret et qui mettent à nu le cristal de l’être tout brillant de la saveur de vivre.
Tous ces recueils en vers libres ou en prose poétique sont des itinéraires intérieurs, des trajets initiatiques où, comme le dit Rilke, « faire de l’art » creuse « le chemin vers soi-même ». Art et vie sont intrinsèquement liés chez Katty Verny-Dugelay. Ces chemins parcourus déshabillent du superflu et révèlent l’essentiel, c’est-à-dire, l’être.
Le paysage est celui « dont on se vêt » (Sente buissonnière) et le lieu géographique ou physique d’où l’on part est seulement prétexte pour arriver au lieu intérieur, où se concentre toute la densité de l’être. Le poème se fait alors « médiateur » et « lances de lumière » (Le chant de l’être).
Décrypter le réel
Cette poésie s’appuie sur le réel, le concret pour mieux donner forme à l’invisible. La poésie de Katty Verny-Dugelay, en s’appuyant sur l’expérience, le vécu, l’observé, révèle la transparence des choses.
Son œuvre poétique cherche « l’intime réponse » ( Le chant de l’être) à partir de signes souvent ténus que son âme de poète lui propose de décrypter. La sobriété, la précision de ses mots ouvrent alors l’écorce de l’apparence pour en révéler l’amande cachée.
Tout est prétexte à « recueillir l’écho » de ce monde offert, « d’avancer plus loin que (sa) soif et de ressentir « ce lointain proche » (Le chant de l’être) à partager.
La poésie de Katty Verny-Dugelay peut donner l’apparence de la légèreté. Mais au fur et à mesure de la lecture se dessine au contraire une gravité intense, celle de l’être en son unicité. Sous la légèreté se dit en réalité la recherche de la transparence, celle qui révèle « l’enfant d’une autre naissance/sorti des eaux pures de la mémoire » (Corolles de l’ombre). Un sentiment prégnant de « nostalgie originelle » baigne tous les recueils de la poétesse.
Poésie du bruissement, de l’air, de l’eau, poésie du murmure interprété comme le signe d’autre chose, comme un appel, un pressentiment de l’habité, la poésie de Katty Verny-Dugelay est célébration. Ce qu’il faut entendre chez elle, c’est qu’il y a derrière le paysage, derrière la plante ou l’animal auxquels elle donne langue, « un langage à traduire/jusqu’à l’épuisement/ jusqu’au bouche à bouche des étoiles » (Rhizome) ainsi qu’une prière secrète que « les oraisons du vent/le balancement du pin/ ensemble récitent (en) une litanie d’instants » (Herbe ouverte).
« Chercher l’autre côté des choses » est une constante de l’œuvre de Katty Verny-Dugelay. Elle s’interroge : « que me veut chaque chose contemplée » et son regard introduit un retournement où les choses alors s’offrent dans une fécondité inépuisable à nos yeux dessillés.
Le voyage intérieur
La poésie de Katty Verny-Dugelay est « rhizome », racine multiple et souterraine qui trouve la force de ses mots dans la sève tirée des terres adultes fortifiées par l’enfance et la mémoire.
Cette parole dit la précarité de l’être, du désir, du sens mais aussi et surtout la puissance de l’amour. Celui qui ouvre et « mène au-delà des mirages/à la vie et au puits » (Rhizome).
Parole de délicatesse, de finesse, elle suggère mais n’impose pas. Poésie toute de concision qui crée un mouvement du regard de l’extérieur vers l’intérieur, aval et amont des choses, flux et reflux de la luxuriance qui cache, mouvement vers l’essentiel qui dénude la parole et se dit en creux de l’image.
L’intime et l’infini, deux extrêmes que côtoie la poétesse et entre lesquels elle « invente (son) paysage » (La pointe du souffleur).
Cette parole est voyage intérieur « dans l’opalescence de soi » pour « entendre le chant de l’être » (Le chant de l’être) et nous mener à une véritable conversion intime où « la lampe du regard/éclaire du dedans » (Saison du silence) faisant ainsi grandir toutes choses autour de nous et nous offrant le poème comme cet « instant éveillé » qui a « le goût du jour à vivre » et devient parole « mellifère » qui nourrit l’âme et la guide vers « l’aurore à venir » (Le chant de l’être) …
Katty Verny-Dugelay était mon amie et sa parole forte et vibrante continuera son chemin en moi, comme une « main ardente » par-delà l’absence.
Merci Isabelle Poncet-Rimaud pour ce splendide et émouvant hommage à ma mère, Katty Verny-Dugelay. Je suis infiniment touchée que sa lumineuse poésie soit si bien présentée et irradie au-delà de son départ pour vibrer dans le coeur des lecteurs.
Merci pour cet hommage sublime et profond à une très belle personne que nous avons chérie et que nous continuons à chérir en silence dans nos cœurs.
Merci à Isabelle Poncet-Rimaud pour cette belle et sensible évocation de l’itinéraire poétique de Katty Verny-Dugelay. L’appel de la lumière, sa recherche de transparence, sa quête de l’invisible, ses esquisses de notre visage intérieur, nous comblent. Elle a touché le noyau pur et incandescent de la poésie ce qui est rare par les temps que nous traversons. Nous nous en souviendrons longtemps.
Que c’est bô…et bien écrit !