nouages

février 2022

Lambert Savigneux, De si loin un sillage, 2021 (France)

Lambert Savigneux, De si loin un sillage © Brigid Watson « Un peu d’air Août ! Mes vents défrisent la chaleur Ara ! Îles de plumes respirent les feuilles Impalpable criard ! Cette gorge répète à foison ce qui tord dans les lianes les feuilles agitent l’esprit le vent des bois Le frétillement de l’œil Ce soupçon d’amour Vif gueulard ! Flèche creusée dans les veines du bois la plume sorcière Silencieusement rieur Ara s’envole » (Ara s’envole, p. 65) Il est des textes qui naissent dans l’élan. Tels sont ceux de Lambert Savigneux, poète et peintre, dans De si loin un sillage. Le poète-peintre s’est mis en route à la recherche d’un territoire où être lui-même. Afrique ou Amérique du sud, où qu’il aille, il le trouve et le perd, puis recommence car il découvre partout des traces qui indiquent des chemins ; car partout il installe de nouveaux repères de son passage. Le recueil en relève les signes. Lambert Savigneux les traduit lui-même en anglais. Ils forment une carte à la fois précise, sonore et fortement imagée, mais aussi dévorée d’éclats de lumière et d’ombres. Pour orner cette carte, une autre artiste, la peintre américaine Brigid Watson saisit sous son pinceau les marques échevelées des courants, des vents, des ensoleillements et des tempêtes d’un voyage tout intérieur. La langue poétique creuse des effractions dans le cours ordinaire des jours. Effractions bienheureuses. L’écriture devient éruptive. Lambert Savigneux se guide au « frétillement de l’oeil » et aux soulèvements de l’air qu’il respire. De ses mots, il ouvre sur la page des espaces où il atteint une plénitude. Lambert Savigneux est aussi un poète-musicien qui cherche sa parole au creux chaud où elle murmure, résonne et se laisse attraper : « Quoi ? Écoute » Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli Aller au monde © Brigid Watson « Je tiens les sons des commencements Cette lettre en forme de nœud Ce murmure, cette eau solaire Les calmes irruptions des foudres Comme la jointure des ivresses Dans la résorption de l’ombre au pli du plein soleil une rayure tranche sur le rouge Ce son pourrait être n’importe quoi Emplit tout le mouvement Baise le son parfait S’étend se tend comme une eau ruisselle Au bleu des deux miroirs celui de l’air et de la peau Nu, ce pourrait être par quoi commence Cet élancement d’aile envolé » (Orion au bois lacté, p. 11) Qui écrit et qui peint ? Sans doute « l’enfant (qui) s’éveille » ? Car la mémoire est neuve. Il ne peut être question dans ce recueil de se remémorer le passé. Au contraire, le poète écrit pour que quelque chose passe, que quelque chose se mette en route et qu’enfin l’homme advienne. Il écrit pour naître au monde. Avec une espérance toujours renouvelée. Une intensité attendue. La langue tremble de désir. « Est-ce l’âme ce trou de lumière / Les traces vives des incarnas » ? Si elle se laisse porter, si elle hésite et se saisit tout à coup d’une évidence, c’est que le point de départ de l’écriture est le corps qui vient à la vie. Le poète chante le premier cri, ces « sons des commencements » ; la première lumière, cette « résorption de l’ombre au pli du plein soleil » ; la première sensation du corps « nu » « par quoi commence ». Il vient et revient au monde. Le désir ne s’en épuise pas. Il s’imprime aussi profondément dans la palette et la gestuelle de Brigid Watson. Il guide chez le poète le travail obstiné d’élargissement et de lâcher-prise – « Et faut-il laisser les mots transpirer / Les laisser dénouer ? » – où il se déprend de la conscience pour mieux s’incarner dans la matière du langage. Alors se mettent en place des réseaux d’images qui résonnent entre elles et tiennent ensemble les diverses parties du recueil : des paysages maritimes et insulaires, des oiseaux, le corps et sa sensualité, une perception organique du monde … Elles laissent dans l’esprit du lecteur des visions en partage. Qui demeurent, fortement charpentées d’ombres et de lumières. Qui nous offrent ainsi à pénétrer à notre tour dans ces paysages et les installent en nous. Terre ! « Moi dans le vent / le monde à vif ». Lambert Savigneux cherche l’aventure, ses luttes, ses naufrages et ses sauvetages. De si loin un sillage est un journal de bord ou bien la lettre glissée dans la bouteille lancée à la mer par un voyageur qui a perdu sa route et se découvre pris au hasard des « errements des courants » et de « l’emportement de l’avant ». Il faut à l’écriture l’énergie de la survie. Faire face, telle est l’urgence. Le corps accepte le naufrage dans l’espérance du salut. Le voyage est maritime et la carte un portulan où le poète dessine les contours des rives inconnues auxquelles il aspire. Il en appelle à l’eau : « Trempe / plonge / le fluide / au flot / du courant ». Pour être emporté plus loin encore vers des espaces inconnus, il convoque la tempête, les « irruptions des foudres », les « colères des lumières » et « les rugissements des fonds », dont la langue sonore forme un radeau pour ses mots. Il se fait naufragé volontaire. Voilà qu’au loin se dessine l’île. Il en atteint les rives. Terre ! « Îles de plume », « îles embarcadères » ! Pour le corps sauvé, le monde nouveau s’offre en mosaïque. Le mélange est mouvant. Mais l’œil sait voir et les mots rassemblent. L’intensité tient à l’accord qui s’établit entre ce qui est suggéré et les éléments que le poète remarque et accumule, des objets échoués soumis à l’abandon et au travail du temps. Aucun sentiment d’exotisme. Les rives ne recueillent que les fruits des naufrages : « Le ressac ramène / de l’île / à la rive / avare / le jeu de dupe / où lui / trouve / ce que l’autre perd ». Ceux qui demeurent là vivent dans l’espérance du départ. © Brigid Watson « La mer apporte autre chose des bouts de bois blanchis tortueux et tordus les membres des par-dessus bord reviennent en fantôme pâles entortillés qui dératent des cargos Pans de rouille filoches de bleu sale des fers tordus des tôles rongées rouge-morsures qui

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Sophie Loizeau, « Le Chant instinctif » (France)

Sophie Loizeau, Le Chant instinctif « fin mars fait la lumière à la crème la cerisaie idéalement blanche et onctueuse sa chair ambiante j’y demeure abrutie de blanc – ma respiration tient à cela qui me renouvelle quelque soit la saison être dans l’étroitesse du miracle » 11 février 2022 : sous la lenteur et l’hiver, l’impatience. Sophie Loizeau, La Nue-bête, Paris, Amandier Poésie, 2013, coll. Accents graves Accents aigus https://sophieloizeau.wordpress.com

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« La Nuit finie », poèmes d’Anne-Marie Zucchelli et peintures de Lambert Savigneux, Editions du Petit Véhicule, 2022

La Nuit finie, poèmes d’Anne-Marie Zucchelli, peintures de Lambert Savigneux, 2022 Entretien entre Anne-Marie Zucchelli et Lambert Savigneux, novembre 2021 Rencontre et complémentarité AMZ : Le recueil La Nuit finie est publié dans la collection la Galerie de l’Or de Temps, qui a la particularité de mettre en regard la poésie et l’art visuel. Pour accompagner mes textes, j’ai tout de suite pensé au travail de peintre du poète Lambert Savigneux. Contrastes puissants, matérialité, énergie du geste et rythme caractérisent ses encres et aquarelles. Elles sont tout à la fois aquatiques et terriennes, et entrent en résonance avec mon écriture. Depuis l’enfance, peintures, dessins et gravures sont pour moi un langage coutumier. Des images aux mots, je cherche un chemin qui se dessine dans leur entrelacement. LS : Voir apporte quelque chose d’autre à la poésie, peut être une proximité du monde. Ma rencontre avec Anne-Marie a été riche car chez elle aussi la peinture et la poésie se fécondent, semblent l’accompagner dans sa démarche et apportent une complémentarité d’approches et de compréhension. Sa façon d’écrire aussi, charnelle, visuelle, tactile, musicale et vivante, osant des percées comme des invitations à la suivre et sur laquelle j’avais envie de peindre. Pour moi, la pratique de la peinture est venue me sauver d’une incapacité à écrire comme je le voulais. Puis l’écriture est venue jouer son rôle d’explorateur pour prolonger ce que je ne pouvais qu’apercevoir et pour permettre un creusement. Une libération. C’est pourquoi j’aime quand les deux arts sont impliqués comme un biface. La construction d’une forme AMZ : Dans l’écriture, j’avance à tâtons. En accumulant et en retirant. Quelquefois la forme définitive du texte apparaît rapidement, mais c’est rare et quand cela arrive c’est précieux. J’accumule beaucoup puis je soustrais jusqu’à faire surgir quelque chose qui ressemble à une pépite. C’est un travail d’extraction. L’écriture se vit charnellement. Elle se décrypte à travers le labyrinthe du corps. J’expérimente souvent le fait que mon corps sait déjà ce que ma pensée met plus de temps à découvrir. Elle passe souvent aveuglément devant ce qui était pourtant sous ses yeux. Pour moi, il s’agit de voir. En écrivant. C’est pourquoi je trouve très précieux dans ce livre d’offrir la dimension visuelle en même temps que la parole. Les images réalisées par Lambert donnent une autre forme à une autre expérience de l’intime. Les formes que Lambert peint sont parfois statiques, lourdes de présent, et d’autres fois elles semblent aléatoires et ouvertes à des cheminements. L’ensemble forme une série, qui est une forme d’accumulation. À les regarder de près, comme si moi aussi je tenais le pinceau, j’y découvre une matérialité riche de paysages qui se renouvellent. La technique qu’il emploie, mélange de matière et d’eau, renvoie ses formes à des images à la fois aquatiques et terriennes. Elles parlent d’obscurité, de caverne, d’enfermement et de feu tout autant que de ciels. Dans son poème L’humain veille, il écrit : « Suspens du toucher les deux sens en contact », et plus loin : «  Le rythme plus fort que le sens », « c’est là que le son-couleur s’inscrit à l’espace, / dans cet outre-passement de l’injonction / là où le trait laisse aller les pleurs du surgissement / malgré son absence / un petit rayonnement entre les lignes / à saturation / cachent à force de hurler, / ni formes implicites / mais glissements. » Écrire et peindre semblent trouver leurs formes à partir d’une même énergie. LS : Je suis totalement en résonance avec la façon dont Anne-Marie cherche la forme. Je ne suis pas capable de visualiser par avance ce qui demande à trouver sa forme et qui vit de façon un peu souterraine et aveugle, comme un magma de lave. Il faut toujours plonger, se faire confiance et laisser advenir, en surgissement ou en coulure douce, se surprendre et voir. C’est entièrement le corps et mon intériorité qui font que je vais pouvoir le rendre visible. Un peu comme pour le poème. Mais pour qu’il vienne, j’ai le sentiment de devoir toujours inventer. Laisser la main faire. C’est comme cela que j’ai procédé pour La Nuit finie. Je me suis immergé dans la matière du texte sans forcément comprendre mais en tirant des fils, mots, idées, images, tons et sons. En terme de forme, la série n’est pas une accumulation mais plutôt une succession d’approches et d’attaques, un approfondissement rendu encore plus nécessaire par ma manière de peindre, très ramassée en un geste retenu, sans remord, court et rapide. Le pressentiment de là où m’emmène le texte poétique agit dans l’instant comme un éclat de ce que je peux entrevoir sans forcément tenter de l’épuiser ni d’en donner une forme précise et totale. Ma démarche est peut être allusive et orale car elle fait appel aux sens et à leur source lointaine qui se met à couler. Je fuis le mental et le vouloir-faire. Je me relie à un flux de matière et de sens qui se dessine, à un moment donné. Je pense que ma démarche poétique est semblable. Le recul qui fixe ainsi que les contours me sont étrangers. Je ne reviens sur le texte que pour mieux le désentraver. Dans cette série, j’ai senti qu’il fallait laisser parler la matière pour répondre à un texte qui se déroule avec ses creux et ses pleins, ses mots qui disent et ses mots qui retirent, ses couleurs et ses noirs, ses espaces trop pleins et ses vides qui parfois restent inexplorés. il passe et repasse en ses traces mais ne parvient pas à tant de rêves nulle part n’étant accomplie il lui faut le blanc son évidence tant sa lumière comble – dru plus que la neige ne cesse de donner mais lui n’est plus ou paraît il s’efface d’espaces en espaces immaculé Des thématiques : une aventure AMZ : Même si j’avais l’idée de ce sur quoi je voulais écrire, les diverses thématiques que j’ai abordées ne se sont pas données si directement. Mon recueil est un livre de deuil et

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