Lambert Savigneux, De si loin un sillage, 2021 (France)
Lambert Savigneux, De si loin un sillage © Brigid Watson « Un peu d’air Août ! Mes vents défrisent la chaleur Ara ! Îles de plumes respirent les feuilles Impalpable criard ! Cette gorge répète à foison ce qui tord dans les lianes les feuilles agitent l’esprit le vent des bois Le frétillement de l’œil Ce soupçon d’amour Vif gueulard ! Flèche creusée dans les veines du bois la plume sorcière Silencieusement rieur Ara s’envole » (Ara s’envole, p. 65) Il est des textes qui naissent dans l’élan. Tels sont ceux de Lambert Savigneux, poète et peintre, dans De si loin un sillage. Le poète-peintre s’est mis en route à la recherche d’un territoire où être lui-même. Afrique ou Amérique du sud, où qu’il aille, il le trouve et le perd, puis recommence car il découvre partout des traces qui indiquent des chemins ; car partout il installe de nouveaux repères de son passage. Le recueil en relève les signes. Lambert Savigneux les traduit lui-même en anglais. Ils forment une carte à la fois précise, sonore et fortement imagée, mais aussi dévorée d’éclats de lumière et d’ombres. Pour orner cette carte, une autre artiste, la peintre américaine Brigid Watson saisit sous son pinceau les marques échevelées des courants, des vents, des ensoleillements et des tempêtes d’un voyage tout intérieur. La langue poétique creuse des effractions dans le cours ordinaire des jours. Effractions bienheureuses. L’écriture devient éruptive. Lambert Savigneux se guide au « frétillement de l’oeil » et aux soulèvements de l’air qu’il respire. De ses mots, il ouvre sur la page des espaces où il atteint une plénitude. Lambert Savigneux est aussi un poète-musicien qui cherche sa parole au creux chaud où elle murmure, résonne et se laisse attraper : « Quoi ? Écoute » Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli Aller au monde © Brigid Watson « Je tiens les sons des commencements Cette lettre en forme de nœud Ce murmure, cette eau solaire Les calmes irruptions des foudres Comme la jointure des ivresses Dans la résorption de l’ombre au pli du plein soleil une rayure tranche sur le rouge Ce son pourrait être n’importe quoi Emplit tout le mouvement Baise le son parfait S’étend se tend comme une eau ruisselle Au bleu des deux miroirs celui de l’air et de la peau Nu, ce pourrait être par quoi commence Cet élancement d’aile envolé » (Orion au bois lacté, p. 11) Qui écrit et qui peint ? Sans doute « l’enfant (qui) s’éveille » ? Car la mémoire est neuve. Il ne peut être question dans ce recueil de se remémorer le passé. Au contraire, le poète écrit pour que quelque chose passe, que quelque chose se mette en route et qu’enfin l’homme advienne. Il écrit pour naître au monde. Avec une espérance toujours renouvelée. Une intensité attendue. La langue tremble de désir. « Est-ce l’âme ce trou de lumière / Les traces vives des incarnas » ? Si elle se laisse porter, si elle hésite et se saisit tout à coup d’une évidence, c’est que le point de départ de l’écriture est le corps qui vient à la vie. Le poète chante le premier cri, ces « sons des commencements » ; la première lumière, cette « résorption de l’ombre au pli du plein soleil » ; la première sensation du corps « nu » « par quoi commence ». Il vient et revient au monde. Le désir ne s’en épuise pas. Il s’imprime aussi profondément dans la palette et la gestuelle de Brigid Watson. Il guide chez le poète le travail obstiné d’élargissement et de lâcher-prise – « Et faut-il laisser les mots transpirer / Les laisser dénouer ? » – où il se déprend de la conscience pour mieux s’incarner dans la matière du langage. Alors se mettent en place des réseaux d’images qui résonnent entre elles et tiennent ensemble les diverses parties du recueil : des paysages maritimes et insulaires, des oiseaux, le corps et sa sensualité, une perception organique du monde … Elles laissent dans l’esprit du lecteur des visions en partage. Qui demeurent, fortement charpentées d’ombres et de lumières. Qui nous offrent ainsi à pénétrer à notre tour dans ces paysages et les installent en nous. Terre ! « Moi dans le vent / le monde à vif ». Lambert Savigneux cherche l’aventure, ses luttes, ses naufrages et ses sauvetages. De si loin un sillage est un journal de bord ou bien la lettre glissée dans la bouteille lancée à la mer par un voyageur qui a perdu sa route et se découvre pris au hasard des « errements des courants » et de « l’emportement de l’avant ». Il faut à l’écriture l’énergie de la survie. Faire face, telle est l’urgence. Le corps accepte le naufrage dans l’espérance du salut. Le voyage est maritime et la carte un portulan où le poète dessine les contours des rives inconnues auxquelles il aspire. Il en appelle à l’eau : « Trempe / plonge / le fluide / au flot / du courant ». Pour être emporté plus loin encore vers des espaces inconnus, il convoque la tempête, les « irruptions des foudres », les « colères des lumières » et « les rugissements des fonds », dont la langue sonore forme un radeau pour ses mots. Il se fait naufragé volontaire. Voilà qu’au loin se dessine l’île. Il en atteint les rives. Terre ! « Îles de plume », « îles embarcadères » ! Pour le corps sauvé, le monde nouveau s’offre en mosaïque. Le mélange est mouvant. Mais l’œil sait voir et les mots rassemblent. L’intensité tient à l’accord qui s’établit entre ce qui est suggéré et les éléments que le poète remarque et accumule, des objets échoués soumis à l’abandon et au travail du temps. Aucun sentiment d’exotisme. Les rives ne recueillent que les fruits des naufrages : « Le ressac ramène / de l’île / à la rive / avare / le jeu de dupe / où lui / trouve / ce que l’autre perd ». Ceux qui demeurent là vivent dans l’espérance du départ. © Brigid Watson « La mer apporte autre chose des bouts de bois blanchis tortueux et tordus les membres des par-dessus bord reviennent en fantôme pâles entortillés qui dératent des cargos Pans de rouille filoches de bleu sale des fers tordus des tôles rongées rouge-morsures qui
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