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Christine Pezzana, Embouillement



Christine Pezzana a publié Embouillement, en 2021 aux éditions du Petit Véhicule, recueil poétique qu’elle a accompagné de ses photographies. J’ai eu l’occasion de l’entendre dire quelques-uns de ses textes, notamment au Jardin des rouges-gorges à Nantes, lors de la journée de rencontres organisée en juin 2022 par Luc Vidal, et de découvrir ses photographies. La poète est également architecte.
La lecture d’Embouillement a laissé sur ma rétine l’impression de lumières. Des lumières vues partout. Saisies dans leur fugitivité. Lumières, sources vives pour une soif intérieure.
Nous sommes invités à une promenade dans un paysage “quotidien, si largement su qu’il passerait inaperçu”. Dans le “chemin vide” qu’est l’embouillement selon la poète, Christine Pezzana quête par les moyens de l’écriture et de la photographie, l’éclat des “perpétuelles choses en mouvement, petites, grandes, ravagées et issues des trottoirs”.

Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli
Christine Pezzana, Embouillement, Ed. du Petit Véhicule, 2021



La promenade

La promenade à laquelle nous convie Christine Pezzana rassemble ce que l’on perçoit d’ordinaire séparément, les instants, que la poète recueille et qui font la fulgurance de nos expériences, et le mouvement auquel ils appartiennent.
Mouvement de la marche, traduction de notre pensée des jours. Sans cesse en développement, sans cesse en chantier, ainsi en est-il de notre expérience du monde.
Une profusion de notations visuelles nourrit un dialogue avec le paysage. Tant d’impressions s’entrechoquent entre elles. Délicates, elles émaillent la déambulation entre un Paris deviné et un ailleurs quelquefois nommé.
Il suffit de peu.
Un détail accroché par la lumière et quelques couleurs sont les plus sûrs liens entre le paysage et la poète. Sans doute les ciels, les rives ou les herbes qu’elle décrit sont-ils à sa ressemblance, car ils se transportent d’une nature à l’autre et éclairent profondément l’être en même temps que le paysage.



L’inquiétude d’y être

Ceci est un paysage. Le nommer. En être insatisfaite. Y revenir. Choisir d’autres mots. Les faire miroiter d’un texte à l’autre. En cela consiste la promenade intranquille.
Sauter par-delà l’incohérence chaotique des sensations, l’immensité de leur gaspillage, leur manque de continuité. Accepter la dispersion du paysage. Inséminer la langue de ses sens multiples, pour entrer enfin dans la chambre d’échos où l’être résonne avec le monde.
L’univers immense révèle sa matière tremblante et fragile. 
Mais l’inquiétude continue est gardée sous silence, travestie par l’écriture.
Fertile écriture, qui fait advenir la pensée et le désir d’être.



Une lecture corporelle du monde

Quand un sentiment d’émerveillement nous envahit, mais qu’il oscille sous la conscience exacerbée de sa disparition imminente, le corps demeure le fil à plomb, le garant de la loyauté.
Le corps emporte au hasard et bien plus profondément encore.
La poésie est cousue de corps et la langue a sa chair. Comme le corps, la langue écoute, regarde, respire, goûte et sent attentivement pour mieux se saisir.
Être corps. Dans un recueillement dynamique. Un réel vertige. Dans l’implication de tout l’être devant quelque chose d’indéfinissable devenu perceptible.
Alors se produit l’ébranlement.
Puis il passe.
D’un paysage à l’autre, le texte revit l’expérience que l’être oublie. Comme si du monde la poète désapprenait tout et entrait à chaque écrit dans un territoire neuf. Ainsi en est-il également de la lecture.
Avancer pas à pas. Ne pas trop y toucher. Éprouver et être empoigné par l’émotion. La reconnaître. Se souvenir. Reprendre alors le fil d’un dialogue qui a déjà été vécu et qui s’affine, espace hybride où s’unifient l’immensité ouverte et l’intériorité d’un corps.
Dans cette traversée, paysages et êtres s’accomplissent ensemble.



L’humanité par surcroît

Sable, eau, vent, bitume, terre, arbres et ciel sont nos patries communes. Elles nous connaissent et nous laissent courir à travers elles. En elles, le regard furète et reconnaît d’autres présences, des silhouettes et les visages de tant d’êtres qui nous manquent.
La promenade alors devient un rituel de mémoire. Ici et maintenant. Avec humilité.
Comme il reste peu de choses parfois ! Une notation, des yeux clos, des larmes… agitent la surface. 
Les mots ont plusieurs sens. « Âme », « cœur », « esprit » articulent le portrait à l’espérance. Comment traduire autrement l’être caché sous la surface des notations sensibles ?
Par la voix qui demeure ensachée dans les mots.
Par le souffle.
Ainsi entre-t-on dans l’intimité d’un autre.



Photographier

Passer de la langue des mots à la langue de la lumière, la photographie.
Marcher. Se camper devant le paysage. Dedans. Scruter. Y penser. Cadrer et recadrer le monde et trouver l’image qui remet en mouvement. Élargir entre ses mains la vision comme un rideau qu’on ouvre. Photographier pour recueillir l’« incomprise source / vive de cet instant » et « l’emporter avec soi ».
L’image accompagne la promenade d’un surcroît de plaisir.
La photographie de Christine Pezzana raconte le silence, l’immensité et les décombres, un recoin, une échappée, une silhouette dans un train, son reflet sur la vitre, le développement d’un champ, un quai désert, les graffiti sur un mur.
Elle est parfois incendiée de lumière. Très noire aussi. Engagée dans une histoire vive où les êtres s’attrapent au passage, où le paysage fugace se mime.
Autrement, sans elle, tout cela disparaît.




https://lepetitvehicule.com/embouillement-de-christine-pezzana/

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