Eva-Maria Berg, Tant de vent négligé / So viel Wind ungenutzt
Ecriture à contre-jour.
Ombre découpée sur une lumière venue de l’horizon. Elan ! pour rejoindre le lointain.
Eva-Maria Berg écrit comme le voyageur se met en marche. Prend le parti du néant. De la faiblesse. De la cendre. De la peine mêlée aux choses du monde.
Descend lentement sur l’échelle des mots et se suspend au-dessus d’une déchirure d’où s’élève une musique :
” absolument / jouer / avec la langue / pour ne pas la perdre / comme si un poème prenait au sérieux / le mot et l’enfance / et le début toujours nouveau / commence par lui-même / du premier cri au dernier / souffle à la poursuite de sa tonalité / pour trouver son propre son “.
Dans Tant de vent négligé comme dans les autres recueils, l’écriture d’Eva-Maria Berg est sans complaisance. La poésie dépasse en cela la grâce d’une impression. Ce qu’elle économise, je le reçois en plein coeur et j’apprends à travers elle à me séparer du flou, du rêve, de l’illusoire.
Car il s’agit de voir, ” les yeux / et la bouche l’oreille / ouverts “, au prix de la vie : “combien de bleu / supporte l’oeil / sans se noyer / ou se disperser / dans l’air”.
La langue se fait précise. Elague. Se décante. S’accorde avec les discordances et le silence. Etire ainsi la ligne de vie assurant comme elle peut le voyageur. L’esprit plonge alors en une méditation intime dans laquelle le lecteur convié se retrouve parfaitement lui-même.
… ainsi que l’écrit Eva-Maria Berg dans un des derniers poèmes du recueil : ” et celui qui lève encore les yeux / ne voit plus de ligne point / d’idée quand sera enterré le mot / dans l’anonymat “
so viel wind
ungenutzt
die menschen
nicht fähig
zu fliegen
die häuser
verankert
niemals
zu versetzen
die energie
zu belastet
sich in luft
aufzulösen
doch die augen
ein leichtes
sie mitzureissen
wohin auch immer
tant de vent
négligé
les hommes
incapables
de voler
les maisons
ancrées
jamais
à déplacer
l’énergie
trop polluée
pour se dissoudre
dans l’air
mais les yeux
il est facile
de les entraîner
n’importe où
was bildest du dir ein
beim schreiben
schaust du tatsächlich
von dir weg siehst
die gesichter näher
kommen mit jedem wort
gibst du versprechen
sie festzuhalten sie
zu retten was bildest du
dir ein beim schreiben
hast du die augen offen
für all die angst und
hoffnung auf eine bleibe
wenigstens im text
ein dach über dem kopf
bevor der stift abstumpft
qu’est-ce que tu imagines
en écrivant
regardes-tu vraiment
au plus loin de toi vois-tu
les visages s’approcher
avec chaque mot te promets-tu
de les retenir de les
sauver qu’est-ce que tu
imagines en écrivant
as-tu les yeux ouverts
face à toute angoisse et
tout l’espoir d’une demeure
au moins dans le texte
un toit au-dessus de la tête
avant que le crayon ne s’émousse
mistral
du wirbelst
den sand
ins zimmer
auf wessen
spuren
gehe ich
hier
dessen
abdruck
am ufer
nun fehlt
mistral
tu souffles
le sable
dans la chambre
sur les traces
de qui
je marche
ici
dont
l’empreinte
manque dès lors
au rivage
wieviel schichten
menschheit
sind überbaut wir
legen das ohr
au den boden
erschüttert
wird jemand denn
uns nachspüren
und gibt es dann
dafür noch grund
sur combien de couches
d’humanité
a-t-on bâti nous
collons l’oreille
au sol
bouleversé
est-ce que quelqu’un fera
des recherches sur nous
et y aura-t-il
encore une raison à cela
Eva-Maria Berg, Tant de vent négligé -So viel Wind ungenutzt, édition bilingue, traduit de l’allemand par l’auteur en collaboration avec Max Alhau, Editions Villa-Cisneros, 2018
http://www.eva-maria-berg.de/