nouages

Isabelle Poncet-Rimaud, “Attendre la germination de la parole”

Dans son écriture, la poète Isabelle Poncet-Rimaud se saisit du bruissement de la vie en son intimité et son partage. Parce que la poésie – “Imperceptible murmure”, “poussière du rien” – questionne l’existence, la présence de la mort et le désir de vie, elle devient une terre de résistance où la poète trace sans cesse de nouveaux chemins.
Isabelle Poncet-Rimaud est autrice d’une quinzaine de recueils. Son parcours littéraire se nourrit de la collaboration avec d’autres artistes, écrivains, musiciens et peintres. C’est de ce qui fonde son désir d’écriture, l’enracinement et l’envol, l’aspiration au très proche et au très sensible ainsi que l’adresse à autrui, dont Isabelle Poncet-Rimaud témoigne dans cet entretien.
Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 26 mars 2022



Respirer

La poésie est un chemin pour moi. Elle l’a toujours été. Elle est une trajectoire humaine et spirituelle.
Pendant des années, elle a eu une dimension sacrée. Je la voyais comme le reflet d’une parole divine qui passait à travers elle. Cela n’existe plus pour moi maintenant. La perte de la foi a fait disparaître quelque chose que je suis incapable de retrouver, mais dont je n’ai pas envie non plus. J’ai pris conscience que je ne suis qu’un maillon et que je suis reliée aux autres. La poésie m’a permis de me libérer, car « on ne peut se rendre vers l’autre qu’après être rendu à soi ».
J’ai commencé à écrire dès l’âge de huit ans. Mes parents avaient fait tous les deux les beaux-arts. Comme j’étais incapable de dessiner, je me suis dirigée vers la musique des mots. J’avais besoin de faire sortir ce que je ressentais très fortement. J’écrivais de petits contes. Puis en grandissant j’ai arrêté d’écrire. À la naissance de ma seconde fille Mathilde, un jour, en écoutant une émission, j’ai eu le sentiment qu’il fallait que je reprenne ce chemin. C’est devenu important

Lorsque nous nous sommes installés à Strasbourg, je suis entrée en relation avec la poète Sylvie Reff qui m’a demandé un texte pour un numéro spécial de la Revue alsacienne de littérature, écrit par des femmes. La nouvelle que j’ai envoyée a été acceptée. Quand elle a paru, cela m’a fait un effet si important et violent que je me suis dit, maintenant je peux mourir !
Dans ma vie quotidienne, la poésie est devenue une respiration. Quand mes filles étaient à l’école, je m’asseyais par terre contre un radiateur avec une couverture et j’écrivais. J’avais deux ou trois heures devant moi, tous les jours, quoi qu’il arrive. Le soir, ma poubelle était pleine.
Après Verlaine, dans mon adolescence, qui fut pour moi, un pont vers le langage des mots, les poètes qui m’ont d’abord aidée à me libérer sont Jacques Prévert et Boris Vian. J’étais fascinée par la force crue et pourtant tendre de leur regard sur le monde. Ils ont osé utiliser le quotidien pour le dépasser. Ils avaient une liberté qu’ils m’ont communiquée et ils m’ont donné une permission d’écriture.



Arracher

A cette époque et pendant des années, c’est parce qu’un titre m’apparaissait qu’un recueil pouvait naître. Chaque fois le travail s’étalait sur deux ans, jusqu’au moment où j’écrivais un poème dont je savais que ce serait le dernier. Alors apparaissait un autre titre. Ce n’est qu’à la fin, en rassemblant le recueil, que je comprenais pourquoi ce titre était venu et quel chemin il avait permis de constituer.
Comment aller au plus près de soi grâce à l’écriture ? Je subissais l’influence maternelle et je ne savais pas de quel bord j’étais. « Bord à bord » est le titre de mon premier recueil : entre l’enfance et l’âge adulte il y avait un gouffre qu’il fallait que je franchisse.
J’étais blessée par ce que je percevais du monde et par les étiquettes qui étaient collées sur moi.

Je voulais me dépouiller, écrire mon « visage voulu nu », évoquer les différentes facettes de mon être et du monde, comme l’indique le titre de mon second recueil, « Les pays d’être ».
Je commençais à naître. J’arrachais du fond de moi ces mots qui disaient ce que j’étais, « Les chairs de l’aube ». Je n’ai jamais eu de facilité d’écriture. Le poème prend d’abord la forme d’un mot, d’un groupe de mots ou d’une phrase qui resteront et que je n’enlèverai pas. Mais je ne sais pas ce qui viendra après. Il faut que je laboure au fond de moi. À l’époque, cela voulait dire rester très longtemps en silence. Attendre puis élaguer. Renoncer avec douleur à certaines phrases. C’est très proche de la méditation. La parole procède de ce silence.





Se mettre en chemin

J’ai besoin de me nourrir des autres poètes. Pour pouvoir descendre dans le silence, je m’installe sur mon lit et je m’entoure des recueils que je lis. La rencontre avec les mots des autres me permet une descente intérieure. Leurs mots me mettent en chemin. Certains ont une résonance incroyable.
Je ne peux pas être en état poétique pour écrire moi-même, si je ne suis pas dans cette présence poétique aux mots des autres.
Certains poètes ont été importants dans mon cheminement. Henri Meschonnic par exemple, car il m’a apporté une exigence d’élagage. Sa poésie réduite à l’arête m’a aidée à aller au cœur des mots, à les faire s’entrechoquer pour créer les images. Gilles Baudry a aussi été très important pour moi.

Nous avons fait de la traduction biblique ensemble et nous sommes devenus amis. Il est moine et sa poésie a une dimension spirituelle sans prêchi-prêcha. Elle témoigne de joie et de questionnements. Chez lui, tout devient prière sans l’être. Dieu est partout sans l’être. Ses mots sont très simples. Il m’a beaucoup accompagnée quand j’ai perdu la foi.
Parmi les autres poètes, je pourrais citer Pierre Gabriel ou une poète luxembourgeoise tout à fait différente, Anise Koltz. Elle représente une autre tranche de ma vie d’écriture, car, par la violence de sa poésie, elle m’a donné la force de couper des liens, d’exprimer révolte et dégoût.
Avec le poète Denis Emorine, nous avons écrit ensemble « Rivages contigus », dans un partage de poésie, comme des lettres qu’on s’envoie.



S’enraciner et s’envoler

Au fur et à mesure que je me suis libérée, mes titres se sont allégés. Dans « Terre d’envol », j’ai trouvé mon propre style. Mon écriture a changé, elle s’est condensée, ramassée. J’avais trouvé une unité.
Le silence et le vide sont des mots récurrents. Je ressens l’éphémérité de façon très aiguë. J’ai eu un accident lorsque j’étais enfant et j’ai été témoin ensuite d’une série d’accidents où les personnes perdaient la vie. Cela a développé en moi la conscience de l’éphémère et une interrogation sur notre présence et notre rôle.
D’autres mots reviennent : arbre, oiseau, terre, sable… Car pour moi le poète est l’être le plus ancré au monde. Il ressent profondément ce qui l’entoure.

Son symbole est l’arbre, car il a des racines en terre et il va vers la lumière. J’aime l’odeur de la terre et mettre les mains dedans. Quant à l’oiseau, il est libre et moqueur.
Ma terre première est mon enfance. Elle est constituée de terres diverses. Il y en a d’heureuses comme chez ma grand-mère en Auvergne, avec sa liberté extraordinaire et toutes ces odeurs aimées et structurantes. Il y a aussi des terres de souffrance parce que je n’arrivais à émerger toute seule.
« Terre d’envol » signifie cet appui des pieds sur le sol pour pouvoir s’envoler.






Être subjuguée

Je suis très sensible à la beauté de l’écriture des autres poètes. C’est la beauté du mot qui va mettre une clé dans la serrure. J’aime entrer dans des façons de voir le monde complètement différentes de la mienne. Je cherche le choc du mot. Son impact. Je cherche chez l’autre ce qui m’ouvre à autre chose. Ce qui me permet d’avoir un autre regard. De comprendre autrement. Ce qui me donne une autre manière d’avancer. Je cherche du nouveau dans le style et le regard. Car pour moi, la poésie n’est pas une pensée, mais un regard. J’aime être subjuguée.
De l’écriture d’un autre poète, j’ai aussi envie qu’elle me réconcilie avec moi-même et avec les autres.

Car je me sens éparpillée, mais la poésie me réunifie.
Il y a mille façons d’exprimer l’âme humaine. Je suis d’une famille où il y a beaucoup de peintres et de sculpteurs. Les mots ne sont qu’une facette des arts. J’ai eu l’occasion de travailler avec des peintres. Ni les mots ni les peintures ne sont une illustration les uns des autres, mais un écho, une traduction.
En rencontrant le musicien Damien Charron, j’ai été touchée de voir comme il était respectueux des mots pour les mettre en valeur, sans les écraser sous la musique. Les arts se rencontrent et s’épaulent.



Rendre au monde

Dans « Au nu de la parole », « Marche en la demeure » et « Au-delà du regard », je dépouille encore davantage mon écriture, en supprimant parfois les articles pour mettre en valeur la plénitude du mot. Il n’a pas besoin d’être soutenu. Il apparaît ainsi dans toute sa sève. Je l’accueille comme j’accueille l’autre. La vie pour moi c’est apprendre à aimer. Ce n’est pas aller vers soi-même. L’axe de ma vie, c’est l’amour. Avec un grand A et petit a.
Le premier recueil où s’écaille ma foi est « Les écailles du pas ». Il y a des moments où je

n’arrive plus à écrire et j’attends. C’est lié à ma perte de la foi. « J’attends que bondissent les mots et se jettent sur moi avides de mordre jusqu’à l’os de la vie ». Dans ce recueil, je suis revenue dans plusieurs poèmes sur ma difficulté d’écrire. Dans cette existence sans le support de Dieu, je suis toujours très heureuse quand je découvre que quelque chose que je pensais inimaginable existe. Cela me réjouit profondément. Je suis sûre qu’il y a plus que ce qu’on voit, mais je ne veux pas le définir.



Le recueil qui suit – « Des taches sur la robe » – est l’expression d’une colère contre les injonctions et les étiquettes. Je donne à voir toutes les taches que j’ai faites sur moi, contre les apparences de la petite fille sage. J’« immigre en moi » et je quitte les lieux qui n’étaient pas les miens. Ces taches deviennent vivantes et je les rends au monde : « tu as rendu ton tablier d’enfance et les mains dans les poches du présent, tu revendiques l’accroc, la pièce ou la couture qui marque les avancées de ta liberté. »
Car la colère est toujours doublée chez moi d’une volonté positive d’avancer.

C’est ainsi que je comprends « Le mors au cœur » : en tenant le mors du cheval j’exprime mon désir et ma volonté d’aller de l’avant. J’ai écrit sur « mon enfance des hautes herbes » – ces herbes très hautes où j’adorais me cacher, où je pouvais rêver, ces terres d’enfance heureuse, ces terres vierges -, et sur les démarrages de l’être. J’y ai aussi écrit sur la perte de mon père, puis dans le recueil suivant, « Entre les cils », sur la vieillesse, la mort et le néant et, malgré tout, sur la lumière entrevue sous les paupières baissées.




Chercher la lumière

La lumière. Dans tous mes recueils j’essaie de trouver mon chemin vers elle. Elle peut être dieu ou une aspiration vers ce que je ne sais plus nommer, ou le Désir. J’essaie de trouver ma liberté intérieure à travers celle de l’oiseau, d’une fleur, du regard de l’autre…
Au moment du confinement, j’ai expérimenté une écriture tout à fait différente. Je n’avais jamais écrit de cette façon-là. Cela a donné naissance au recueil « Dialogues avec le jour ». Je l’ai écrit du premier jour du confinement au dernier. Je m’étais dit que j’écrirais tous les jours quelque chose jusqu’à ce que le confinement s’arrête. Je n’ai jamais écrit si rapidement. Pour la première fois, j’ai mis des dates à mes poèmes.

Le confinement m’a amenée à prendre conscience de ce que voulait dire l’enfermement et la menace de ce virus, la ville devenue une tombe de béton.
Ce recueil a marqué un tournant. Je n’ai plus envie d’écrire comme avant. Je ne dirai plus les choses de la même manière. C’est pour cela que j’ai du mal à me remettre à l’écriture en ce moment. J’ai toujours besoin de la poésie, mais il y a des moments où je ne sais plus où j’en suis parce que je n’écris pas ou peu. Je reste en attente de germination de la parole poétique en mes terres de silence. Avant, mon écriture mettait le doigt sur l’éphémère, maintenant, une nouvelle solidité s’est construite. J’ai gagné un nouvel appui. « Dialogues avec le jour » ouvre un passage.






www.isabelleponcet-rimaud.com
à retrouver sur Nouages la note de lecture consacrée à Dialogues avec le jour : https://nouages.com/2021/08/16/isabelle-poncet-rimaud-dialogues-avec-le-jour/

2 réflexions sur “Isabelle Poncet-Rimaud, “Attendre la germination de la parole” (France)”

  1. Quel beau témoignage Isabelle, tes poèmes traduisent une grande force de vie, voilée par ta discrétion naturelle. Quelle humilité, si rare ds le monde des artistes. Oui, tu as trouvé ton chemin par rapport à ton histoire familiale : tu peints avec des mots! Merci pour ce partage ! Danielle

  2. Parole et silence, éphémère… La parole d’ Isabelle est libre et belle. Sa poésie (m’)est essentielle au sens fort. La lumière en est l’une des clés. ” Découvre-toi rai de lumière/cerné d’ombres.”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *