nouages

éclats du jour

« Les petits vols de l’inconnu sur l’horizon », Iro Nikopoulou (Grèce)

Alexandra Lafitte, Autant que se meut l’horizon

Alexandra Lafitte, Autant que se meut l’horizon, Hatch galerie du livre, Le Havre Hatch galerie du livre, allée Aimé Césaire au Havre. Alexandra Laffite présente ses collages au papier de soie teinté sous presse. Au plafond, de grands papiers de soie peints en hommage à Marguerite Huré. Sur les murs, les collages alignés sur une ligne d’horizon. Et le chant des couleurs … ces couleurs : horizon dans la pièce horizon rouge orange bleu flottant au plafond le regard monte sur les ciels rouges orangés bleus sur le mur que souligne la ligne rien d’autre les couleurs seulement le ciel l’horizon ouvrent une fenêtre sur la mer dis-tu les nuages ne sont jamais les mêmes et on entend un silence le ciel d’argent rougi rayonne COURTE ÉCHELLE, série de dix collages originaux 50x70cm et 70x100cm Sur mon bureau, j’ai posé le petit livre délicatement réalisé par Alexandra Lafitte : Bleus réservoirs, publié par Courte échelle éditeur en 2024, d’après la série des collages au papier de soie teinté sous presse à rouleaux « bleus réservoirs ». Contact des papiers l’un sur l’autre. Coulent des images. J’aime ainsi la pleine mer, la lune qui se lève, le feu du matin … des paysages incertains en habits colorés. Pour en savoir plus : Alexandra Laffite à Hatch galerie du livre et sur instagram

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Catherine Barsics

Catherine Barsics, Plages Catherine Barsics était invitée à Un Havre de poèmes, organisé par Lignes d’Horizons et le lendemain à Fécamp tout un poème, deux manifestations réalisées au mois de mai dernier, en partenariat avec le Marché de la poésie de Paris. Des textes brefs, verticaux sur la page. Sur la scène, la respiration entrecoupée et la recherche d’un rythme comme un sens donné à des cailloux qui s’éboulent, grains de sable dans les rouages : la vie en suspend, la mer perdue, les corps embaumés, les gestes sans langage, l’oubli de vivre… Catherine Barsics, Plages, AbRAPALABRA éditions, 2023 « Vent de tout sable repos inaccessible livrée aux plages rivée à la mer je suis cette île Même au plus près du rivage je reste Séparée. » « Soudain liane d’algue me gifle Je me souviens du corps enfant – je nage encore dedans – de mon buste adonné au sable mes jambes aux vagues naissantes bientôt démolies aux mollets Je me souviens du corps serpent. » « Ventre à terre débordé jamais assoupi mon coeur Amer – son goût déjà pour le dégoût – A la lisière de l’eau je n’étais que peau la mer reprenait trop tôt Son rivage. » « A bien y regarder la ligne d’horizon est anormalement haute nous dépasse Une lune orange – un fantôme – s’élève par-dessus Haut-le-coeur – je doute que nous soyons au niveau de la mer. »

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Les lettres du vent

Les lettres du vent, Fabienne Swiatly et Pascale Lefebvre, traduit en arabe par Golan Haji Quelle jolie trouvaille d’édition ! Des livres à voir, à lire, à écouter. Deux langues entrelacées à des images-peintures. Des graphies et des couleurs comme des tâches de lumière. Un peu de français, un peu d’arabe et les gestes du pinceau pour lier le tout en des livres pour se réjouir. C’est au hasard d’une déambulation dans la librairie Les Quatre Cents coups du Havre que je suis tombée sur ces livres légers et colorés des éditions marseillaises Le Port a jauni. Ils se tournent, se retournent et se déplient chacun à sa façon pour éveiller la curiosité et le plaisir de la découverte, comme se déploie une musique. Car la poésie est images et chant. Elle est jeu de sonorités. De l’arabe au français la musique s’accorde. Et l’oeil se laisse surprendre. A l’origine, la langue arabe, et les trois sons qui sont la racine à partir de laquelle se forment les mots d’une même famille. « Puis le vent retrouve du souffle la petite fille s’écrie : ‘Regarde ! Il vole jusqu’à ta maison’ » Pour Les lettres du vent, autour de la racine « r.ou.H », se déploient les mots « rîH »/vent, « mirwaHa/éventail », « roûH »/âme, « yâ roûHî! »/mon amour, « râ’iHa/parfum », « râHa…râH/vin, « mourîH/apaisant », « mourtâH/calme », « yaroûH »/se coucher, s’en aller… « Et le vent revient … le vent décolle … le vent rapporte … le vent s’arrête … le vent retrouve du souffle … et le vent part … le vent a disparu … le vent revient… et aussi le vent et le vent et le vent … et le vent toujours me ramène à toi », le texte de Fabienne Swiatly prend son élan. Les mots en arabe assurent une autre matérialité, rugueuse et roucoulante. Les larges traits, les fins coups de pinceau, les tâches, jus coulé et gouttes de Pascale Lefebvre … creusent pour nous les plis et replis aquatiques de l’air que nous respirons. « Des gouttes dans le creux des mains cheveux trempés, rires éclaboussés toute la mer rien que pour eux De la plage le vent a disparu’ » « ‘Courez ! Courez ! Jamais vous ne m’attraperez !’ La vie est un souffle d’air qui fait et défait quand l’âge se fait grand. » Pour en savoir plus sur la maison d’édition Le Port a jauni et sur Les lettres du vent Sur la poétesse Fabienne Swiatly et sur l’artiste plasticienne Pascale Lefebvre

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Tarik Hamdan

Tarik Hamdan, Rire et gémissement et Exercices d’apprentissage Urgence. Intensité. La langue poétique de Tarik Hamdan est un fer de lance. Sa force lyrique est d’être à la fois intime et politique. Qu’elle soit en arabe ou en français, nous la recevons en plein coeur. Poète d’origine palestinienne, il vit aujourd’hui à Paris. Sa poésie parle d’exil, de douleur, de colère. Il était présent sur la scène d’Un Havre de poèmes et de Fécamp tout un poème et nous a adressé des textes sans détours. Coeur dans la rue « Hier, un coeur chuta au sol Il heurta l’asphalte dans la rue et roula jusqu’à atteindre le bas de l’immeuble. Ma voisine catholique dit, « c’est le coeur d’un démon dans lequel Dieu a shooté » Du bout de la rue la fille hippie hurla, « ce sont les usines, les usines! » L’épicier arabe fixa des yeux le coeur en disant, « Allah akbar! Gloire à Dieu! » Le patron du café se réjouit de satisfaire les nombreuses commandes passées soudain par des clients qui buvaient leurs bières et mangeaient des pistaches en contemplant ce coeur. Présents sur les lieux par hasard, des touristes asiatiques saisirent leurs caméras et le mitraillèrent de photos et de selfies. Le facteur communiste fit une pause pour dire en riant, « c’est le coeur de votre Dieu mort. La police arriva et s’activa à prélever les empreintes. Armer de grands aspirateurs et de balais géants, les éboueurs se rassemblèrent de côté, attendant le signal du maire venu lui aussi avec ses fonctionnaires. Le coeur battait dans la rue et moi je me tenais à la fenêtre à observer les gens de plus en plus nombreux. Lorsque la nuit tomba et que les gens se dispersèrent pour regagner leurs lits, je descendis dans la rue reprendre le coeur, mon coeur, qui la veille, avait sursauté de peur et dégringolé dans la rue. » Rire et gémissement Histoire « Je ne suis pas Sisyphe ni son rocher roulant Je ne suis pas le Christ, ni sa couronne d’épines Je ne suis pas Gandhi ni son sel Je ne suis pas Guevara ni son cigare Je suis encore moins Superman qui traverse de part en part les montagnes sans se décoiffer Je suis un simple spectateur, entraîné de force à une pièce de théâtre ennuyeuse Alors que je tentais de quitter la salle, les acteurs m’ont fait monter sur scène Les héros et les comparses échangeaient leurs rôles Et moi, tantôt héros, tantôt comparse Cela eut lieu avant que nous soyons tous changés en décors et que nous cédions nos places à de nouveaux spectateurs qu’on faisait monter sur scène pour jouer les mêmes rôles où les héros meurent en vain et les comparses s’exercent aux faux témoignages Les mêmes rôles, dans la même grande pièce intitulée « l’histoire » Rire et gémissement Risque « La liberté C’est nager dans l’océan Conduire une moto sur l’autoroute Dévaler du sommet d’une montagne enneigée Participer à une marche pour la chute d’un dictateur Casser le bureau sur la tête du patron L’adrénaline se déverse dans le sang Un air nouveau souffle sous la peau Et gonfle les poumons Comme deux ballons qui ne demandent qu’à planer On vole … on vole Et plus on s’élève Plus on a peur Mais c’est une peur revigorante Compagne de qui veut Vivre en liberté » Exercices d’apprentissage La tyrannie de l’espoir « Est-il vrai Que La machine de l’espoir Fonctionne à l’huile de l’humiliation? Est-il vrai que l’espoir est le terrain fertile du despotisme Puisque là où il se trouve La tyrannie perdure, Et qu’il n’est pas de mort clémente Tant qu’on en est otage ? Demain ne peut être que rempli d’amour, donc encaisse la claque d’aujourd’hui Est-ce ainsi que Jésus a couvert l’injustice Et effacé le mal et son souvenir ? O espoir despote Dis-moi que faire Chaque fois que je me réveille Dans l’espoir d’en finir avec toi ? » Exercices d’apprentissage Trône volé « Elle ne s’est jamais fatiguée de courir Le monde dort et se réveille au bruit de son halètement qui emplit l’horizon Maintenant, alors que j’écris ces mots, Son souffle traverse les fenêtres, les portes et les murs Vous aussi, vous pouvez l’entendre Si vous prêtez l’oreille Elle ne cessera pas de courir Traînant derrière elle un legs d’absence Et l’écho des tourments de celles qui sont nées, un signe de malchance entre les cuisses Son halètement qui emplit l’horizon Sera toujours Témoin de sa souffrance Jusqu’à ce qu’on lui rende son trône Volé par des livres Prétendus descendus du ciel » Exercices d’apprentissage Pour en savoir plus : Editions Plaine page et le livre Rire et gémissement Editions Lanskine et le livre Exercices d’apprentissage Pour écouter et voir Tarik Hamdan dans une lecture à la Cinémathèque de Nice en 2020 ou au Festival Voix vives à Sète en 2020.

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les heures denses …

les heures denses … J’ai vu l’arbre qui fut là autrefois, son fantôme abandonnant sur le mur son linceul de brume … … et son ombre d’arbre où je marche et entre enfin dans le temps doux des lumières. J’ai vu son piétinement de plante, bogue de mousse, hérisson vert qui m’apprivoise. Bonheur, bonheur ! J’ai vu sur la pierre, la rose de pierre, son oeil ouvert comme le mien, attaché aux matières, un regard amoureux tenant au monde par son grain, son modelé et sa trace. J’ai vu ceux qui veillent l’un sur l’autre avec tant de douceur. J’ai vu la permanence de l’amour … … et l’amour tombé par terre et la résistance d’un être à la fenêtre. J’ai vu la houle du sang. J’ai vu un poisson naviguer sur les murs comme dans l’eau. Intriguée, j’ai suivi les pas d’hommes invisibles. Dans la ruelle des anciens morts, j’ai vu la tombe ouverte sur laquelle une femme veille. Il en va ainsi, nous sommes libres. J’ai vu les gardiens des portes sourire aux passants … … et leurs souffles contraires se conjuguer. J’ai vu l’innocence vite engloutie. J’ai vu le cochon, le lion, le bouc et la sirène danser. J’ai vu le fou et sa folie. J’ai vu qu’ils riaient depuis toujours et quels regards ils nous jetaient. J’ai vu des visages chargés d’abime. J’ai vu, j’ai compris, j’ai bien noté où et comment le temps s’inscrit. Et j’ai vu au milieu des ravages, les regards qui s’obstinent. Fous, follette, je cherche la boussole mais la raison brûle et se consume. J’ai vu tout tomber à la renverse, mais j’ai gardé les yeux ouverts. J’ai vu le désir triomphant nous culbutant par terre et j’ai vu ceux qui fuient quand il est à leurs trousses. J’ai vu la colère sans nom, les miroirs qui se brisent, le ressac tragique des astres … … et les femmes qui séjournent là, souriant finement. J’ai vu l’être tranquille, toute résistance abolie sous la fontaine de lumière. Je l’ai vu rêver : « la lumière est dans l’ombre de l’espace et du vent ». J’ai vu des envols heureux, libres … … et dans l’eau la dérive des heures qui serpentent. Epinal, Rouen, Paris … images saisies

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Friederike Mayröcker, Scardanelli

Friederike Mayröcker, Scardanelli Friederike Mayröcker, Scardanelli, traduit de l’allemand (Autriche) par Lucie Taïeb, Atelier de l’agneau, 2017, collection transfert En lisant Scardanelli … Des mots écrits comme on incise. Profondément … La profondeur fait toute la différence car elle dépend de la nature de la plaque de bois qu’elle coupe, marque, creuse, barbe d’éclats. Seule, la profondeur … Je suis profondément touchée par ce qui se dit en suivant le fil étranger du bois – ce corps, ce monde -, dans l’irrévérencieux rapport au langage d’une phrase ordonnée selon sa seule règle. Et je suis profondément réjouie à chaque lecture, par les inclusions-éclats d’images de la phrase travaillée par les présences – animaux, objets, végétaux, paysages -. et assis sur le banc parmi pins et buissons nous ne nous embrassions pas nous tenant bien plutôt par la main, en crépuscule 1 forêt : 1 refuge « mamelon » à Winterbach en 55 je crois, là sur les prairies aussi demeuraient ces brebis, et désormais après tant d’années années de larmes en plein hiver petites feuilles pointent (« où pointaient les violettes cachées ») sous le store à demi relevé ma petite bible mon cornet pourtant partout je t’épousais 22./23.1.08 matin extatique, pour Linde Waber remonter le chemin qui miroite en forêt qui miroite du lac éblouissant à notre droite lorsqu’1 beau promeneur nous et que sur les racines des arbres puissants je trébuchai tandis que le cliquetis du soleil à savoir la haute lumière de midi poudrait au travers de la voûte des cimes à l’époque à Altaussee et les pins sylvestres à notre gauche (emportés par le vent) jour ténu. Comme mère jadis lorsque je m’en allais 3 petites croix : bourgeons de petites croix me plantait sur front lèvres et poitrine ainsi toi aussi avant que nous ne prenions congé, ce buisson de forêt d’orties odorantes dans l’alcôve etc. où pointaient les violettes cachées 24.1.08 sur le Cobenzl ce petit coin de terre où l’hydrant peint en bleu : clapote tandis que les cimes des chênes vers le Cobenzl : gravissant le sentier forestier presque plat bordé d’enclos à chevaux où aussi ânesses et chèvres rouges puis gagnant le rondeau belvédère où le regard vagabonde des hauteurs obscures aux vallées éclatantes : uni mur- mure du fleuve entre leurs bras, plus tard la part sombre de la forêt où PARENTES voix de miel d’oiseaux jusqu’au sentier où les humides (phalliques) racines tandis que du ravin terriblement surgi à droite les bêtes dociles : brebis laineuses remontaient comme si des ailes leur étaient poussées – ah cette urgence de saisir ta main pour ne pas devoir céder au besoin de me précipiter dans l’abîme (à celui dépourvu de fleurs) lorsque l’oeil malade le gauche se mit à larmoyer : le cil 1 pure fontaine battante 1 ondée de larmes les lachrymae, John Dowland 8.2.08 « lorsque j’étais 1 garçonnet..«  ils viendront de nouveau les flocons le feu argenté les morts se gelant dans leurs enveloppes, mais c’est maintenant 1 mois de mai la voix du ros- signol (pas encore entendue) tandis que je scrute le ciel à la recherche de la 1ère hirondelle : amie de mes jeunes années à D., à l’époque le coeur em- pli de joie éternelle et murmures de l’air je me souviens et moi tenant la main de ma douce mère qui comme FLEUR penchée vers moi elle m’aimait comme jamais personne ne m’avait aimée les soirées dans la cour intérieure de la maison les vers luisants nous attiraient la lune planait en ses figures, les étoiles tombaient. Je vivais dans le lit d’une joie persistante, constance des poiriers devant le portail, les mûriers saignaient, leur sang noir dans la rue du village, l’ostensoir des fleurs de sureau, 1 brise le matin, 1 note marginale sur cette rive, moi aussi les herbes tendres, au bord de l’abîme du temps 9.5.08 est mort mon petit tyran ma braise de vie sans fin ainsi je pleure m’accroupis avec l’orvet mignon sous l’arrosoir dans son jardin où l’herbe haute comme abattue mais c’est le vent qui dans ses bras (berce) la prairie de l’été et la courbe vers lui 1 harpe solaire 1 chenille tandis qu’aux murs de la maison chèvrefeuille clématite et digitale doigtier et noire rose (dans le verre de la pièce) oh nuit tombante de mon âme apeurée, 1 cheveu solitaire s’enroule 1 serpent le long de mon dos dont je tétais le demi-doigt digitale etc. ou cette résonance du bois ces étendues vierges j’étais soumise m’y adonnais, la CLAIRVOYANCE / cette lumière de ma conscience (mes fausses dents) – ma somnolence, toujours plus bas, Brahms, à savoir calme sur ,fond crépusculaire la vague voguait d’après Hölderlin pour Angelika Kaufmann, après son appel 1.7.08

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les heures denses …

les heures denses … J’ai vu la sévère splendeur des rois assyriens et l’écriture barrant leurs corps de sa route sûre. J’ai vu l’ange aux ailes de pierre, sa compagne au plumage de paille flambant de lumière, et l’ange tout hérissé portant son aile comme une armure. J’ai vu l’arbre et ses feuillages de pierre. J’ai vu les épis renflés du maïs et le sourire de l’homme repu. J’ai vu l’homme épluché comme un fruit et le beau noeud d’un homme qui attend qu’on le dénoue. J’ai vu des yeux aux aguets. J’ai vu la table mise pour des femmes en fleurs, oeil, vulve. Des femmes vases et des femmes coquillages. J’ai vu danser depuis cinq mille ans, une femme, ses beaux bras dressés, et j’ai vu l’homme qui rêvait d’elle. J’ai vu des gueules cassées. J’ai vu le phoenix en colère et le chameau furieux. J’ai vu le bélier s’enfuir. J’ai vu Orphée charmant les animaux et le berger s’endormir. J’ai vu le boeuf tranquille et celle qui lui donnait à manger, celle qui veillait sur ses enfants et celle qui dansait, encore et encore, puis allait se mirer toute nue dans l’eau bleue. J’ai vu un paysage précieux de terre et d’émail, et l’abeille butineuse, le chardon mûr, la chasse à l’escargot. J’ai vu enfin les châteaux et les grands vaisseaux de guerre, les hommes se partageant la terre, celui qui répand la mort et l’ange tombant du ciel … … au Brooklyn Museum, Metropolitan Museum et la Morgan Library de New York

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Agnès Geoffray, Suspens & syncope

Agnès Geoffray, « Les yeux fermés le monde est là » « A la lumière du jour / Il ne reste rien », écrit Agnès Geoffray dans Cartouche #2, récit syncopé reproduisant pleine page des télégrammes. Peu d’indices. Aucune syllabe en trop. Les télégrammes ne sont que les amorces d’un récit énigmatique. Suspens & syncope, performance : « Depuis longtemps des corps pendus, suspendus, des gestes arrêtés, des paroles figées hantent mon travail de photographie et d’écriture. Ces figures reviennent inlassablement au gré de mes travaux. Je joue de ces arrêts et ces états de suspensions, entre la chute et l’ascension, entre l’effondrement et l’élévation. Ce qui est fascinant dans le suspens c’est le temps manquant. On ne sait rien du temps précédent, on devine tout juste le temps suivant, un mouvement suspendu où tout est encore possible. Un temps de résistance. L’étirement du temps, cette attente figée est une résistance face au drame à venir. Au fil des échanges avec Vanessa Desclaux, le suspens a glissé peu à peu vers la syncope. Cette rupture dans le réel, ce flottement temporel, cet arrêt est devenu éclipse. Défaillir doucement ou sombrer brutalement, pour se mettre en retrait du réel. » Agnès Geoffray Agnès Geoffray, Cartouche / 02, éditions Imogène, 2021 Pour découvrir le travail d’Agnès Geoffray, voir son site. Pour en savoir plus sur Cartouche #2, voir le bel article « L’art de la syncope » dans le blog de Fabien Ribery

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Nadine Buraud, Le ciel coulisse

Nadine Buraud, Le ciel coulisse Parfois, d’une rencontre brève, demeurent quelques mots libres. A l’occasion de la « Criée des poètes », organisée au Havre par Lignes d’Horizons, j’ai rencontré Nadine Buraud sur le stand des éditions rouennaises, Le Carnet du dessert de lune. Nadine Buraud a consacré beaucoup de son temps au développement de la maison d’éditions. Elle écrit aussi. Comme quelqu’un qui creuse en soi, à la recherche de ce qui échappe. Pour avoir lu et entendu tant de mots prononcés par d’autres. Reprendre souffle. S’ébrouer un peu. « Pourquoi avoir tant attendu », écrit-elle dans le premier poème du recueil. Je lis donc Le ciel coulisse, avec ce sentiment précieux d’une conscience qui cherche les mots pour mieux adhérer au monde. « Un silence s’est glissé entre la table et la pluie la vie s’épaissit on crie sous les ombres on ne s’entend pas un double de soi circule à bas bruit la peur résonne alors tailler ses crayons à l’endroit du silence à l’envers du monde se taire peut-être » « Le ciel coulisse comme au premier jour dehors dedans on ne sait plus l’air est sucré l’eau murmure depuis l’enfance on ne pèse pas plus qu’un merle toucher la terre poser sa peine faire le poids s’envoler » « Soleil blanc – vertical paysage parallèle coeur posé – bancal quelques chants d’oiseaux ce sont des noces des noces jaunes quand survient l’ange une ombre à demeure l’impression est vive passante le tableau incertain » Nadine Buraud, Le ciel coulisse, Ed. Les Lieux-Dits, Cahiers du Loup bleu, 2024 couverture : dessin de Luce Guilbaud

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Slamer avec Mathieu Amans et Fab Rebel En clin d’oeil à mes amis poètes slameurs, Mathieu Amans et Fab Rebel, que j’ai eu à plusieurs reprises le plaisir d’écouter dire leurs textes, voici des extraits de leurs ouvrages : Parler-vrai mais pas fort de Mathieu et Le cancre slam de Fab. Ils sont poètes et slameurs : mettent leurs mots en voix, les mettent en corps. Le slam emporte dans son mouvement le poème, le poète, l’auditeur … « Moi si j’écris, ce n’est pas pour décrire, mais pour m’écrier », dit Mathieu Amans. Dans leurs textes, il est question d’amour, de silence, de nature, de peur, d’enfance. Ils affirment leur engagement. Partout ils font place au visage, à la silhouette, aux mots des autres. Alors quoiqu’ils puissent dire … « J’suis plus dans l’thème. J’suis plus dans l’game. J’suis d’aucun gang. Vise ma dégaine. J’crois plus en moi-même, ni qu’tout l’monde s’aime. J’ai pris le seum. » (Mathieu Amans) … leur présence et leurs textes assurent la vitalité de la poésie ! « On dit que ‘la poésie sauvera le monde’. Pas sûr, mais elle a sauvé le mien » (Fab Rebel). Mon peuple « Mon peuple a oublié son insurrection à la Révolution Française. A l’heure où, sans qu’il ne réagisse, on lui brandit sans cesse l’étendard du sacro-saint principe de réalité pour relativiser la portée du creusement des inégalités. Mon peuple a oublié sa révolte de la Commune de Paris. A l’heure où, chez lui, le degré d’avarice jamais ne varie dans la course au profit de possédants souvent pas nets jouissant sans partage ni discernement des richesses de la planète. Mon peuple a oublié ses luttes du Front Populaire. A l’heure où il sommeille dans sa servitude volontaire, où tous ses biens communs disparaissent puisqu’on les privatises et où ses foyers de résistance s’éteignent puisque trop peu les attise ! Mon peuple a oublié son rêve général de Mai 68. A l’heure où, hors de chez lui, tous ses capitaux prennent la fuite et où l’imagination n’est guère plus au pouvoir que pour lui reprendre, un à un, ses acquis, avec son bon vouloir. Où est passé mon peuple, mon peuple épris de démocratie ? Où est passé mon peuple ? Mon peuple est pris de crise d’amnésie! Mon peuple doit réapprendre de cette première citation : « Un peuple qui ne connait pas son passé, ses origines et sa culture est comme un arbre sans racine. » Marcus Garvey prônait pour les descendants d’esclaves déportés le retour en Ethiopie. En réponse au colonialisme, il avait créé une utopie ! Mon peuple doit réapprendre cette seconde citation : « Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice. » George Orwell, l’auteur de ces mots, a lancé l’alerte, nous a prévenus que notre fascination pour Big Brother précipiterait notre perte ! La résignation de ma nation n’est pas fortuite. leurs campagnes publicitaires ne sont jamais gratuites. Leurs propagandes s’adressent à nous pleine de perversité, afin que nos libres arbitres n’aient plus droit de cité, afin que naisse, servile, comme par enfantement, le désenchantement, dans leur fabrique de notre consentement. Alors, fini de nous laisser aller, fini de les laisser faire. Notre espèce descend de Lucy et non pas de Lucifer ! Où est passé mon peuple, mon peuple épris de démocratie ? Où est passé mon peuple ? Mon peuple est pris de crise d’amnésie ! » Mathieu Amans, Parler vrai mais pas fort, Editions Porte 7, 2024 Quartier populaire « Moi, j’adore rentrer tard le soir. Les pas sur le trottoir, la musique des zonards… c’est un quartier populaire, des travaux, des travelos. De Danton au Bistrot en passant par chez Théo, chez Momo, avec les gigolos, les écolos, les prolos. La gentrification a du bon, quand t’as connu la prison. C’est un quartier populaire, des quinquas débonnaires, des loubards, des gavroches. Des gars qu’ont sous les yeux des poches et pis le vendeur de sacoches, Le Tonton tête de pioche. C’est un quartier populaire. A no man’s land, a no man’s land, a no man’s land, a no man’s land. Du Rond-Point au tramway un no man’s land is my way. My way is no man’s land, my way is no man’s land, my way is no man’s land. Il y a Fernande la Marchande, avec elle, toute sa bande. Des clopes en contrebandes. Il y a aussi la ménagère, la femme d’affaires, la boulangère, la poivrote fière. No dress code, mais y a des gens à la mode. Sandales, chaussettes, futals, baskets. Qu’t’aies des locks, un bombers, une burqa, un pyjama, qu’t’aies un voile, qu’t’aimes la voile. Du bol d’être en sécurité, dans toutes ces mixités. Vaccinés ou pas, les gens sont responsables, moi j’y crois. Le monde fout le camp, un ptit joint de temps en temps, de la musique tout le temps, du garage, du quatre temps. C’est un quartier populaire. A no man’s land, a no man’s land, a no man’s land, a no man’s land. Du Rond-Point au tramway un no man’s land is my way. My way is no man’s land, my way is no man’s land, my way is no man’s land. … » Fab Rebel, Le Cancre slam, Editions Le Tirelarigot, 2024 Fab Rebel, Le cancre slam, Editions Le Tirelarigot, 2025 avec des dessins de Sébastien Fleury Certains textes sont accompagnés d’un enregistrement audio accessible par un QR code. Mathieu Amans, Parler-vrai mais pas fort, Editions Porte 7, collection Paroles Eklectiks

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