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Kelu Abstract, « Fight for your rights » (France)

Kelu Abstract, « Fight for your rights » (France) 12 octobre 2022 : frontal et nécessaire. Prendre acte de la violence et de la haine à l’œuvre. Les dénoncer. Ne pas renoncer à l’humanité. Paris 13ème, place de la Commune de Paris, Mars 2022 – Kelu Abstract https://www.keluabstract.com/ Vu sur le blog François-Régis Street Art, https://francoisregisstreetart.fr/ukraine-solidarite/

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Lili Frikh, « Carnet sans bord » (France)

Lili Frikh, « Carnet sans bord » Réussir Je n’y arrive pas… C’est quelque chose qui arrive. Toi tu ne le dis pas. Tu préfères l’entendre d’un autre. Ne pas le dire pour toi. Hors de question. Comment ça je n’y arrive pas ! Alors ok. Toi tu y arrives et moi je n’y arrive pas. Moi qui ? Moi seulement moi. Moi parce que c’est moi. C’est ça forcément. Sauf que moi justement je n’y arrive pas. Moi je n’arrive pas à moi. Je le dis. Alors moi seulement qui n’arrive pas à moi seulement. Moi qui n’arrive à rien de semblable. J’arrive peut-être à l’autre… Posted at sea 14:25 9 octobre 2022 : Impérieuse écriture qui tourne, tourne. Autour de… l’incontournable, l’inexplicable manque. Et qui prend des formes éphémères et multiples dans le rythme, la répétition, l’élocution d’une écriture mise en bouche. Mise dans la bouche de son lecteur. Le balbutiement de la poète, c’est le nôtre. Son irrépressible nécessité, c’est la nôtre aussi. Lili Frikh, Carnet sans bord, Editions La Rumeur libre, 2017 https://www.larumeurlibre.fr/catalogue/collections_la_rumeur_libre/plupart_du_temps/carnet_sans_bord_lili_frikh

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Joan Naviyuk Kane, « Hyperboréal » (Alaska, USA)

Joan Naviyuk Kane, « Hyperboréal » (Alaska, USA) 25 septembre 2022 : éclats, brisures, ruptures… dans sa forme poétique la langue fait corps. Et le corps du poème est celui de l’autrice. Proches, si proches, mus par la même énergie, animés par les mêmes sentiments. Inné Joue, langue, migraine – Je suis un être humain Fille, mère Séparées. Un éclat de roche. Ce qui était n’est plus. Rivière, vent, sel – Il y a quelque temps, J’ai eu mal. Personne n’en a conscience. Mère, j’oublie. Ilu Uluaq, ukak, niaqun – Inukguruna. Panik aakaa Avaak Uyagauramik. Maatnami imma pitaiqutuq. Kurgit, nugi, tagiuq – Akkuni, Atniqtuna. Nalurusi. Aakaa puuyanatuna.  » La langue inupiaq émaille les poèmes, mots laissés non traduits et poèmes d’une simplicité déchirante écrits dans la langue de toujours rappellent que sous l’anglais résonnent le vocabulaire et les sons si étranges de ce vieux peuple que la terre sibérienne a forgé (…) » Lambert Savigneux, Le mot du traducteur Joan Naviyuk Kane, poète inuit, Hyperboréal, poèmes traduits de l’anglais par Lambert Savigneux, Editions Caractères, 2022 https://www.editions-caracteres.fr https://aloredelam.com

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Dominicella, La poésie, « par le corps, le ventre, les larmes. Un frisson qui parcourt »

Dominicella, La poésie, « par le corps, le ventre, les larmes. Un frisson qui parcourt » Dominicella est éditrice. En 2019, elle fonde avec Teo Libardo les éditions Rosa canina qu’elle présente au marché du livre du festival Voix vives à Sète. C’est lors d’un autre festival, Voix de la Méditerranée, qui se tenait à Lodève, qu’elle découvre combien la poésie est source d’émotions fécondes et combien elle engage la vie des poètes qui l’écrivent, de ses lecteurs et de ses éditeurs. Dominicella témoigne ici du parcours et des rencontres qui l’ont conduite à devenir éditrice. Pour compléter la présentation de cet entretien, je me suis laissée guider par quelques vers de Teo Libardo, publiés dans le recueil, Il suffira (Rosa canina éditions, 2021). Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Festival Voix vives, Sète, 27 juillet 2022 « Je vis, je meurs ; je me brule et me noye. J’ay chaut estreme en endurant froidure : La vie m’est et trop molle et trop dure. J’ay grans ennuis entremeslez de joye : Tout à un coup je ris et je larmoye, Et en plaisir maint grief tourment j’endure : Mon bien s’en va, et à jamais il dure : Tout en un coup je sèche et je verdoye… » Louise Labé, Sonnets – XVIe siècle S’éveiller à la poésie « Il est des mots juteux / d’autres de pierre ardente » Je suis née à Lodève. Mon premier contact avec la poésie a eu lieu alors que j’avais quatorze ans, en 1998, lors de la première édition du festival Voix de la Méditerranée. Nous y sommes allées avec ma tante et ma mère qui voulaient me faire découvrir le chanteur Paco Ibáñez. J’habitais à proximité de Lodève, mais je ne pratiquais pas la ville. Le festival créait une ambiance tout à fait particulière, car il s’emparait de toutes les cours, les places publiques et les parkings… L’espace était vidé pour y installer des tentes et des tapis, et cela devenait par exemple un café oriental. La population d’origine maghrébine s’était impliquée dans le festival. Elle est très présente à Lodève parce que la ville avait accueilli dans les années soixante plusieurs familles de réfugiés harkis. Tout d’un coup, il se passait quelque chose. Tout d’un coup, je découvrais ma ville autrement. Lodève était sinistrée après la fermeture des mines, le départ des ouvriers et la population déclinante. J’ai d’abord aimé l’ambiance du festival, puis, de plus en plus, les lectures. Quelques ombres d’oliviers devant la Cathédrale de Lodève, lors d’une balade nocturne après la 10e édition des Voix de la Méditerranée, 2007 © Dominicella Jeune adulte fraîchement indépendante, j’allais en voiture à la confluence des deux rivières de la ville, aux nuits entières de poésie. Je me souviens de l’année 2005. J’écoutais les lectures en percevant surtout une ambiance, lorsqu’à la fin, Julien Blaine qui présentait la soirée, a fait monter sur scène Édith Azam. Tout d’un coup, cela s’est réveillé. Elle était totalement inconnue et pas programmée officiellement, mais Blaine avait insisté pour qu’elle lise. C’était une lecture comme je n’en avais jamais entendue, une lecture performée. Je me suis mise à ressentir des choses sans savoir trop quoi. À partir de ce moment-là, je me suis intéressée aux lectures pour retrouver cette sensation. L’année suivante, Édith Azam était programmée aux Voix de la Méditerranée. J’ai emmené mon compagnon, Teo Libardo, l’écouter et il a été touché lui-aussi. C’était une très grande émotion. Par le corps, le ventre, les larmes. Un frisson qui parcourt. « Trois heures matin Pupille somnambule et traverse la pièce. L’espace a disparu l’espace s’apparaît comme une paroi inventée. Bestiole a creusé dans la tête Pupille met du sable dedans. Pour cinq minutes somnambuler laisser Bestiole à sa grignote et puis sous le ciel presque blanc : avancer. » Édith Azam, Bestiole-moi Pupille, La tête à l’envers, 2020 Devenir lectrice « frottés / deux mots secs s’enflamment » La poésie est une sensation qui passe d’abord par le corps. Au départ, c’est comme une musique, ensuite viennent les paroles. J’ai voulu lire les textes d’Édith Azam. Au passage à l’écrit, ils me plaisaient moins car je ne les ressentais plus. Jusqu’à l’hiver dernier, lorsque nous avons acheté son Bestiole-moi Pupille publié par la tête à l’envers, là j’ai tout retrouvé. Pendant une longue période, les performances poétiques m’ont fait ressentir beaucoup d’émotions sur le moment, mais j’avais beaucoup de mal à repartir avec les livres de poètes « sonores et visuels », autrement que pour conserver un souvenir de la lecture vivante. Je suis devenue une lectrice avant d’être éditrice. J’ai mis du temps à m’orienter dans la diversité des expressions poétiques, à trouver des écritures qui me touchent. Quelquefois lorsque je lis, il ne se passe rien, mais d’autres fois une phrase déclenche en moi un amour pour le texte. Je crois que tous les textes que nous avons publiés ont déclenché un rappel de l’émotion première. Je ne lis pas vite, du coup je n’ai pas beaucoup lu. Pour lire, j’ai surtout besoin de la solitude et de la nuit. Ma lecture est silencieuse et matinale au premier réveil. Entre 5 heures et 10 heures le matin, personne ne me voit jamais lire. Devenir éditrice me permet d’accéder à cet espace de solitude sans culpabiliser. Il y a aussi une saisonnalité de la lecture. L’été est compliqué pour moi car je suis dans les marchés et les contacts. Je fais des provisions.  » c’est bien le moins d’être quelque une…, c’est le moment où l’air est l’air du soir…, c’est toujours le sol étendu sur la terre, la nuit tiède, mieux, sans un voile, s’il n’est la brume, les deux le mieux, profondes, tout le monde…, quand tout le monde disparaît de la soirée car tout le monde de soirée les silhouettes des tout le monde ne disparaissent, elles sont d’ombre : toute tout le monde (…) «  j’acques estager, aux effilées de leurs doigts, Rosa canina éditions, 2022 Tout d’abord, aimer fabriquer des livres « sensations assiégées / absolues exclusives / aveugles délices » Si je n’ai jamais été une très grande lectrice,

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Denis Emorine, »Foudroyer le soleil »

Denis Emorine, Foudroyer le soleil Denis Emorine ou l’inégal combat, note de lecture par Isabelle Poncet-Rimaud Chez Denis Emorine, le soleil se lève et meurt à l’Est… Comme un début, une fin, un sens, une impossibilité de dévier la direction d’une vie. Dans ce beau recueil, les poèmes sont forts, tranchants, impitoyables. Mais les mots, eux, sont piétinés et meurent une fois prononcés. Parfois glaives, ils se dressent pour dire la souffrance, la mort, mais ne peuvent rien pour le poète enfermé dans le filet du monde, de ce monde-temps relié à un passé qui n’est pas celui du poète et l’a pourtant dépossédé de son présent à lui. Le poète est resté prisonnier de la douleur d’une autre, douleur qui aura une fois pour toutes ourlé amour et mort en même blessure. L’horloge du poète s’est brisée le laissant pour toujours, seul, petit garçon/planté aux carrefours de la mémoire. L’Est, terre fantasmée, aimée autant que haïe. L’Est, lieu obsessionnel sur lequel poussent les forêts de bouleaux, où s’ouvrent les tombes des poètes et des proscrits morts d’avoir voulu dire, L’Est, source d’inspiration où règnent la mort, la vie et l’impuissance à être soi… L’Est, terre de ces femmes auxquelles s’adresse le poète et qui sont toutes incarnation du désir d’aimer, d’être consolé, tentative de retrouver une matrice protectrice. Pour le poète, orphelin des mots, trahi par eux, la beauté des mains partagées permet d’oublier un instant l’exil subi. C’est à l’Est encore que la lumière du soleil foudroie les mots et non l’inverse. L’Est, cet inexorable aimant qui tire à lui les pas du poète et rend son combat perdu d’avance. FOUDROYER LE SOLEIL est un titre- cri : douleur, désespérance, tentative d’en finir avec les cris du monde et les cris intérieurs du poète. Le soleil se lève à l’Est et pourtant avec lui s’étend sur le poète l’obscurité de l’amour perdu, de la mort, de la trahison. Chez Denis Emorine, le soleil comme l’amour ne peuvent se défaire de l’ombre de sa mort. Évoquer l’un fait apparaître l’autre en filigrane… Le poète s’est heurté à l’Histoire et à son histoire propre. Il se sent écartelé et seul dans un exil intime qui l’entrave. Où se situer entre le grand pays glacé qui lui renvoie ces voix qui parlent une langue inconnue, porte en lui l’amour et la mort et cependant le fascine et l’appelle et sa terre natale à l’Ouest où sa vie brutalement s’est froissée, le mettant face à l’amour et la trahison ? Le langage poétique, possible lien entre ces deux continents intérieurs reste pour le poète un exil dont il ne reviendra jamais. Toute la poésie de Denis Emorine tente de découdre la nuit qui s’est abattue sur lui, essaye d’abattre également la forêt de bouleaux qui pousse au secret du poète mais encore et toujours, inexorable, la mort vient de l’Est. Il semblerait pourtant que dans ce recueil, le poète ait franchi un seuil inhabituel dans l’intensité de la douleur exprimée, dressant une sorte d’acquiescement à son impossibilité à sortir de ses conflits intérieurs, à réparer ce qui fut brisé, à se suspendre aux branches du monde qui rompent trop facilement. La parole, elle-même, s’efface devant la mort… L’obscurité règne sur l’écriture du monde. Si les thèmes abordés dans ce recueil sont ceux qui façonnent le parcours poétique de Denis Emorine , ces poèmes écrits au moment de l’invasion russe en Ukraine ont ici une résonance particulière dans la détresse qu’ils expriment. L’Est est en feu/l’espoir se consume/aux quatre coins du monde/ l’Est/ Est/En/Feu et le poète est rejoint par la guerre nuits et jours. Denis Emorine est le poète des contraires, des mots durs et tendres, de la femme que l’on serre dans ses bras et de celle qui vous échappe, de la mémoire et de l’oubli, de l’exil en terre fantasmée et de l’ancrage dans la réalité de la douleur, du temps immobile qui boule le présent, de l’absence devenant présence et rencontre… La poésie de Denis Emorine ne peut laisser intact le lecteur. Silex incisif, elle taille large et fort en nous, laissant à la russe, douleur et amour s’entrelacer. Qui parle de foudroyer le soleil ? Qui te l’a demandé ? Le sang ruisselle des cimes pour inonder ton visage et tu voudrais vendre au plus offrant une poignée de mots recouverts de terre mais tes doigts sont trop gourds pour sculpter le visage de l’amour par-delà les années Chi parla di fulminare il sole ? Chi mai te lo ha chiesto ? Il sangue scorre dalle cime per inondare il tuo viso e tu vorresti vendere al miglior offerente una manciata di parole ricoperte di terra ma le tue dita sono troppo insensibili per incidere il volto dell’amore oltre gli anni Denis Emorine, Foudroyer le soleil – Fulminare il sole, traduit en italien par Giuliano Ladolfi, Editions Giuliano Ladolfi, 2022

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Alexandre Bord, « Défendre ardemment la création poétique contemporaine »

Alexandre Bord, « Défendre ardemment la création poétique contemporaine » Alexandre Bord est éditeur. Il dirige la jeune collection L’Iconopop en binôme avec la romancière et poète Cécile Coulon. Au sein des éditions de L’Iconoclaste, L’Iconopop défend une poésie ouverte à la chanson et au slam, parfois postée en ligne avant d’être publiée. Alexandre Bord est un lecteur fervent. Dans cet entretien, il nous parle de son amour pour la poésie et de son engagement pour la défendre et élargir son lectorat. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Sète, Festival Voix vives, 26 juillet 2022 Devenir éditeur Aimer la poésie : la lire, l’écouter, la dire… et l’éditer… ? Pourquoi devenir éditeur ? Quelle nécessité est à l’œuvre ? Quel cheminement y mène ? Quelles rencontres l’ont rendu possible ? Avant de devenir éditeur, j’ai travaillé à la Librairie de Paris, d’abord comme caissier pendant un an, puis libraire au rayon BD pendant deux ou trois ans. Après cela, j’ai eu l’opportunité de m’occuper du rayon poésie. C’est un rayon sur lequel les libraires ont une grande liberté car il est moins soumis à des injonctions médiatiques et commerciales. C’était pour moi un immense terrain de jeu. J’ai alors défendu ardemment la création poétique contemporaine, que je trouve si riche, en tentant de capter de nouveaux lecteurs qui étaient réticents à lire de la poésie. C’est à la Librairie de Paris que j’ai rencontré Cécile Coulon et nous avons découvert notre passion commune pour la poésie. Lorsque Sophie de Sivry, fondatrice des éditions de l’Iconoclaste, a eu l’idée de la collection Iconopop, elle a demandé à Cécile de la diriger. Mais Cécile ne se sentait pas de le faire toute seule. Elle m’a proposé de le faire en binôme avec elle. Je connaissais ce côté-là du métier du livre car j’avais fait le master d’édition à Paris IV et des stages chez Albin Michel et Plon. J’ai accepté de quitter la librairie pour me lancer dans l’aventure. L’idée de Sophie de Sivry était de créer une collection en adéquation avec de nouvelles pratiques d’écriture et de lecture, comme celles qu’on voit sur Instagram et Facebook. Il y a là une vraie liberté de fonds et la forme libre est privilégiée. Certains auteurs ont développé une communauté de lecteurs très importante sur les réseaux avant d’être publiés. Rupi Kaur, par exemple, canadienne anglophone qui a publié sur Instagram ses écrits et dessins. De même Cécile Coulon, publiant ses poèmes pendant une dizaine d’années sur Facebook. Cette écriture libre, courte, lapidaire, ressemble à s’y méprendre à la poésie. Il ne s’agit pas de chercher une définition de la poésie – elles sont multiples et dès qu’on lance le sujet c’est la cacophonie – mais de développer le goût de la lecture pour la forme brève, en vers principalement. Un éditeur engagé Ecrite, orale, mise en scène et en musique, la poésie est effervescente. Comment rendre compte de sa vitalité ? Comment faire de son métier d’éditeur un acteur engagé ? Nos livres doivent être vecteurs d’émotions fortes. C’est une volonté. La volonté de l’éditeur est le ciment d’une collection. Elle est assumée complètement. C’est notre ligne. Elle correspond à des affinités de lecture et à un message. Avec Cécile Coulon, nous dialoguons autour de ces émotions. Il faut que les textes nous touchent tous les deux. Une fois que nous les avons choisis, nous les soumettons à Sophie de Sivry qui donne le feu vert. Le lecteur et l’éditeur que je suis ne cherchent pas les mêmes choses : comme éditeur, je cherche à être traversé par des émotions fortes : toute la palette de colère, tristesse, rire, joie… C’est ce que j’ai envie d’envoyer comme message au lectorat de L’Iconopop. L’engagement vis à vis des auteurs est très important. Un auteur publié souhaite que ses poèmes soient lus. Parfois les éditeurs ne font pas le travail nécessaire. Ce qui me dérange aujourd’hui, ce sont certaines pratiques éditoriales avec des personnes qui n’ont pas la volonté de vendre les livres. Pour une grande partie des auteurs et des éditeurs de poésie, on sent comme un malaise à parler d’argent, de ventes, d’élargir le lectorat. Comme si rester confidentiel était satisfaisant. Comme si vivoter avec des bourses d’écriture, des aides à l’édition était suffisant. Je m’insurge contre cette pensée qui selon moi tire la poésie vers le bas. Je souhaite que la poésie soit pour tout le monde, et pour atteindre ce but, il faut changer de mentalité. Vendre un livre, c’est se donner des moyens de diffusion, en parler, être présent en librairie, trouver des techniques de distribution, faire du dépôt vente. Il ne faut jamais oublier que le livre est la première industrie culturelle de France. C’est une fierté. La poésie, cette pratique culturelle, artistique, littéraire, qui est l’essence même de l’humanité, est beaucoup trop invisibilisée en France – ce n’est pas le cas dans d’autres pays. C’est anormal et révoltant. Avec L’Iconopop, nous nous sommes décarcassés pour toucher un grand public et nous y sommes parvenus. Suzanne Rault-Balet, Des frelons dans le cœur, L’Iconopop, Ed. de L’Iconoclaste, 2020 Des lectures multiples La lecture prend des formes multiples. Comment la lecture évolue-t-elle quand elle devient un métier ? Lit-on pour éditer comme on lit pour soi-même ? Pour ma part, je suis instinctif dans mes choix de lecture. Autonome. Peu de gens me conseillent. La plupart du temps je me laisse guider par moi-même. Je suis un peu sauvage. Mon goût pour la lecture remonte à bien avant ma vie professionnelle, à l’enfance. J’aurais pu rester un lecteur en ayant une activité professionnelle éloignée du livre. Quand j’ai quitté mon master d’édition, je ne voulais plus travailler dans ce milieu. L’expérience m’a conduit à le fuir. J’ai débuté ma vie professionnelle dans un théâtre. J’ai adoré le théâtre, mais j’ai été rattrapé par les livres : c’est la Librairie de Paris où j’étais client qui m’a mis le grappin dessus. En tant que libraire, lorsque je lisais j’avais en tête la manière dont j’allais pouvoir parler des livres et j’envisageais la façon de les vendre. En

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Véronique Ellena, « Arbre dans le vent » (France)

Véronique Ellena, « Arbre dans le vent » Véronique Ellena, Arbre dans le vent, 2008-2021 8 septembre 2022 : sous le vent qui nous touche, l’arbre en son exaltation, motif de bien-être et de joie. Vu à l’exposition Le vent, « cela qui ne peut pas être peint », Le Havre, Muma, 8 septembre 2022 https://veronique-ellena.net http://www.muma-lehavre.fr/fr/expositions/le-vent-cela-qui-ne-peut-etre-peint

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Luc Vidal, « La poésie est révolte pacifique et tendresse efficace »

Luc Vidal, « La poésie est révolte pacifique et tendresse efficace » Luc Vidal est un poète et un éditeur sensible et passionné, traversé lui-même par un profond désir de lyrisme, un besoin impérieux de témoigner de ce qui porte le sens : l’amour et la beauté. Ce sont les poètes comme René-Guy Cadou ou Gérard de Nerval et les chanteurs Léo Ferré, Jean Ferrat ou Jacques Brel qui lui ouvrent le chemin et encouragent « le toujours nouveau départ / pour échapper à l’ombre / avec les yeux grands ouverts / et le désir incessant / de donner à l’amour / son espace et de le vivre ».* En 1984, il fonde la maison d’édition associative, Le Petit Véhicule, pour faire vivre la démocratie culturelle par l’échange et le partage. La maison d’édition permet les rencontres et l’accueil généreux. Luc Vidal est un lecteur attentif et ouvert. Parce que les arts « multiplient les regards du poète », les publications de poésie sont toujours accompagnées de peintures, de gravures, de photographies ou d’encres. Cet entretien est consacré tout particulièrement au cheminement de poète de Luc Vidal qui évoque ici les lectures et les rencontres qui lui permettent de s’accomplir dans l’écriture. * Eva-Maria Berg, « A la poésie de Luc », Le Maquis thaumaturge, éd. du Petit Véhicule, 2021 Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Festival Voix vives, Sète, 26 juillet 2022 © Gilles Bourgeade « Une simple table. Sur cette table les braises du langage, souffleur des murmures du vent. Ce présent constant est là à la table du cœur, vieux de dix mille ans… La poésie est la chanson profonde du cœur, le cri de la mémoire amoureuse et fraternelle et si nous sommes les naufragés du sentiment leur voix est le rappel évident de la nécessité d’être au monde, l’écho prolongé de notre véritable histoire à assumer. Devant nous le beau miroir de l’abîme, le chant introuvable, le mystère du questionnement sans réponse. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? L’écho cependant répond en pluies fines fertiles sur les terres de nos âmes sèches. L’émerveillement prend racine dans l’âme du poète. » Les yeux du crépuscules, textes de Luc Vidal, images de Gilles Bourgeade, Ed. du Petit Véhicule, 2016 Devenir poète « Aventure vivante, voyage rêvant » Mon premier rapport à l’écriture date de 1978-1980. Il est venu un peu par hasard car je ne pensais pas être poète. Mon premier poème s’intitule Juillet. Il est dédié à mon ami Jean-Yves Tralli, mort dans mes bras dans un accident de voiture, alors que nous filions en stop vers la côte, en juillet 1970. Quelques années après, j’ai écrit ce texte. C’est un poème sur la fraternité. J’y évoque la route filant bleu vers l’hôpital et je donne la parole à mon ami. Jean-Yves faisait du théâtre et disait des poèmes sur scène. Pas moi. J’étais alors un militant syndical dans le monde enseignant. J’avais grandi à Nantes dans un milieu ouvrier où mon père, qui était un militaire, était entré par idéal au Parti Communiste. La période syndicale a été fondatrice pour mon écriture et j’y ai appris à penser le monde par les mots. Mais je n’y trouvais pas mon compte car il me semblait que les gens voulaient changer le monde sans se changer eux-mêmes. Alors, peu à peu, je me suis fait à l’idée de quitter la vie syndicale, militante et politique. Parce que je crois depuis toujours à l’éducation populaire, j’ai fondé une association « amicale pour tous ». J’ai appris l’art de faire des marionnettes avec les doigts, comme Guignol. Ensemble, on adaptait des textes de Jules Verne et on tournait dans les écoles. J’ai découvert de cette façon le monde de la culture qui m’était inconnu jusque-là.  » … On est sauf quand la conque du temps devient refuge et lieu d’oraison Paraclet des instants, pigeon-vole des mots en cascade le poète suit le vent car c’est son compagnon d’infortune Les fleurs de l’aventure, il faut les cueillir à l’arrache parfois Fraises, pain essène, lait de brebis, œufs, orange, miel voilà le panier du poète … «  « Le maquis thaumaturge » (extrait), Le maquis thaumaturge, éd. du Petit Véhicule, 2021 Orphée « Je suis le poète sans nom celui qui file les lignes de la pluie dans l’étoffe des jours » Le temps passant, je suis devenu poète, comme malgré moi et presque par hasard. Au fond, la poésie m’était familière grâce aux lectures. Ce sont elles qui m’ont amené à l’écriture. Je pense que le couple lecture et écriture est indissociable. Il m’est venu alors l’idée de créer une petite maison d’édition au sein de mon amicale laïque. Ainsi sont nées les Éditions du Petit Véhicule. J’ai appris sur le tas l’art de la mise en page et le métier d’éditeur et je me suis entouré de gens compétents et d’amis poètes, comme Claude Bugeon, directeur des éditions du Nadir. Lorsque j’ai publié les premiers livres, je ne voulais pas m’éditer moi-même, car ce n’était pas encore assez mûr en moi. Certains de mes textes tenaient la route et d’autres moins. Progressivement je me suis rendu compte que j’avais une plume. Je me suis approché intuitivement de l’écriture en commençant par écrire des poèmes d’amour pour la Femme, Eurydice, dont le mythe ne me quitte jamais. Pour Orphée le poète, Eurydice est une quête amoureuse. L’écriture raconte ce défi. J’avais en moi une forme de lyrisme à exprimer. Un poème à offrir à la femme aimée. Si cela marchait, mieux valait l’amour que l’écriture ! © Marion Le Pennec  » Des fleurs de sang de mes noirs sont apparues dans mes rêves et leurs bouquets prouvent qu’en mon sein ils sont du pays de la folie et de la tendresse. Quand je regarde toutes ces toiles miennes, tableaux, feuilles, feuillages, arbres, drageons au noir sévère, joyeux, fertile, tout cela ouvre en mon coeur et estomac la furieuse envie de les créer et de les manger comme des merises noires au clair de lune. C’est ce noir-charbon que j’aime et qui calme mes inquiétudes. Je suis du pays

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Eva-Maria Berg, une poésie en dialogue avec d’autres arts

Eva-Maria Berg, une poésie en dialogue avec d’autres arts Eva-Maria Berg est poète. De langue allemande, elle publie également en français, anglais et espagnol. Son écriture est dense et sobre. Son attention au monde sensible s’enrichit d’interrogations et de réflexions. La poésie d’Eva-Maria Berg s’ouvre à des dialogues multiples. Ceux qu’elle mène avec les poètes qui traduisent ses textes. Et ceux qui la conduisent aussi intensément dans l’aventure de créations communes avec d’autres artistes, peintres, photographes, musiciens, performeurs ou danseurs. C’est cette part de son travail, ce dialogue fécond entre les arts, qu’Eva-Maria Berg évoque dans cet entretien. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Festival Voix vives,Sète, 29 juillet 2022 © Yannick Bonvin Rey  » wenn jemand kein blau mehr hat und eine andere farbe nimmt zwar nicht zum ersatz doch um das bild im kopf zu vollenden brennt der himmel und die ozeane strömen über vor rot «  (Picasso : « Wenn ich kein Blau habe, nehme ich Rot ») « quand quelqu’un n’a plus de bleu et prend une autre couleur même si ce n’est pas pour le remplacer mais pour en achever l’image dans sa tête le ciel brûle et les océans débordent de rouge » (Picasso, « Quand je n’ai pas de bleu je mets du rouge ») Eva-Maria Berg, Etourdi de soleil, Editions L´Atelier des Noyers, Dijon 2022 traduction en coopération avec Max Alhau et Olivier Delbard, peintures de Yannick Bonvin Rey Des coopérations et des amitiés En préparant cet entretien, je me suis rendue compte que dès mes premiers écrits et mes premières lectures, des artistes sont venus vers moi pour me proposer des coopérations. Les tableaux signifient beaucoup pour moi depuis toujours. Je suis sensible à tous les arts, mais tout particulièrement à l’art plastique. La langue parlée est limitée à la région où est née cette langue et les mots doivent être traduits pour certaines coopérations, alors que l’art plastique ou la musique et la danse sont universels. Dans des coopérations interdisciplinaires – en appréciation mutuelle du travail – la perception peut s’approfondir et s’élargir au-delà des mots et des images. Elle dépasse langues, frontières ou pays pour créer des œuvres indépendantes se répondant en « un écho ». Jusqu’il y a une vingtaine d’années, mes livres paraissaient en Allemagne ou en Suisse sans traduction. Depuis, j’ai la chance d’être publiée aussi et surtout en France, dans des éditions bilingues ou même trilingues. La plupart de mes livres sont liés aux artistes. Les rencontres étaient prévues ou pas. Ce sont les artistes qui sont venus vers moi. Moi je n’aurais pas osé. J’étais vraiment très surprise et reconnaissante de cette idée de travailler ensemble. Je me suis fait des amis artistes à partir de mon écriture. Ami est un très beau mot. C’est un grand bonheur que dans le processus de création des liens d’amitié se créent presque toujours. La collaboration prend un coté très humain. Je pense que la poésie est un art d’humains, qui ne connaissent pas de frontières, qui cherchent l’amour et la paix, l’idée universelle de l’unité entre les hommes. Pouvoir devenir des amis à travers le travail fait ensemble est un grand cadeau supplémentaire. Coups de foudre ! Les artistes avec lesquels j’ai travaillé sont très différents. Olga Verme-Mignot, par exemple, est une peintre péruvienne vivant à Paris. Elle fait des gravures presque toutes en noir et blanc. D’autres peintres, comme Jean-Christophe Molinéris ou Daniel Fillod, se servent de toute la palette de couleurs dans des tableaux à l’huile ou à l’acrylique. Jean-Christophe Molinéris peint souvent de très grands tableaux et ça peut être difficile de les faire rentrer dans une page de livre. Pour son travail avec moi, Die tägliche Abwesenheit / L’absence quotidienne, il a fait des collages. Nous avions reçu une subvention par le Förderkreis deutscher Schriftsteller in Baden-Württemberg e.V. et le Ministerium für Wissenschaft Forschung und Kunst pour faire un livre commun bilingue édité à Berlin en 2002. Nous savions la taille du livre et Jean-Christophe a créé des collages de la même dimension. En revanche, le tableau de couverture, qui porte aussi le titre du livre, L’absence Quotidienne, mesure 1 mètre sur 1,50 mètre . Je dois beaucoup à Jean-Christophe, car nous avons souvent et bien travaillé ensemble pour réaliser ce livre, mais aussi des catalogues, des expositions et des lectures bilingues dans nos deux pays. Et nous sommes de bons amis. Je n’ai pas de préférence entre l’art figuratif ou l’abstraction. Il y a des moments où l’un me touche davantage. Il peut y avoir chez les artistes des univers très différents. Avant de commencer à travailler avec eux, j’aimais déjà beaucoup aller dans les galeries ou dans les musées avec Aloys, mon compagnon. Je me souviens que deux fois nous avions choisi la même œuvre sans nous en parler. Nous étions contents d’avoir eu le même goût. C’était toujours comme un coup de foudre, même parfois sur des sujets très durs que les peintres avaient du mal à vendre. Et chez nous, dès nos jeunes ans, il y a eu beaucoup d’œuvres au mur. © Jean-Christophe Molinéris für Nina aus Bosnien du fliegst mit deinem rad auf spätem frühlingsduft die trauer sinkt in das gepäck paßt nur das lied von einem baum im glück kann nie die rede sein von noten und musik schallt dir das ohr so voll aus jedem haus ein anderer ton erfüllt die klingel vor dem läuten stürzt du den lenker in den zaun malt sich das muster mit den augen erblickst du zwischen laub den raum der stimmen überbrückt pour Nina de Bosnie tu t’envoles avec ton vélo sur les effluves tardives de printemps le deuil s’enfonce dans les bagages nulle place sinon la chanson d’un arbre en joie plus jamais mention de notes et de musique l’oreille te retentit si amplement de chaque maison un autre son emplit le timbre avant de sonner tu renverses le guidon dans le grillage se profile le dessin tu aperçois des yeux entre le feuillage l’espace qui jette un pont entre les voix Eva-Maria Berg, L´Absence

Eva-Maria Berg, une poésie en dialogue avec d’autres arts Lire la suite »

Victor Saudan, « Dans un langage le plus simple je tente de créer un chant »

Victor Saudan, « Dans un langage le plus simple je tente de créer un chant » La sensibilité au monde est le vecteur premier des émotions du poète Victor Saudan. Il s’ancre dans les paysages et prête son attention à l’écoulement du temps. Entre le monde, les objets et les êtres, le poète se fait passeur. Il offre au lecteur de l’accompagner. Victor Saudan témoigne dans cet entretien d’une écriture qui se tient au plus près de la sensation et en suit l’éclosion. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 27 juillet 2022, Festival Voix vives, Sète Les expériences sensorielles «  Vivre dans / l’intermédiaire / pas n’importe où / pas nulle part / ancrage multiple /mobile et mutant » Image Victor Saudan « Le paysage enfin royaume de mon être de mon retour de mon aller vers l’horizon. » « Et maintenant faire le ménage » (extrait), Lieux-dits J’écris pour moi. C’est une sorte d’enchantement. Les rythmes et les espaces me font du bien. L’écriture est un moment d’extase qui m’approche de la transcendance. Elle me met hors de temps. Cet état d’extase n’implique pas forcément la joie, mais il me fait prendre conscience de ce que je suis et de l’espace autour de moi. L’écriture me permet d’accéder à un état hors du temps. L’espace est là. Des couches d’espaces dans lesquelles je suis et je vibre, et qui me mettent en relation avec une vérité qui est la mienne et me dépasse. Qui me permettent d’être d’autres personnes, d’autres lieux, objets, arbres, cailloux… Être en connexion. En relation avec le reste de l’existence, c’est l’essentiel de ce que je recherche. Je suis arrivé à l’écriture dès que j’ai appris à écrire. À 10 ans, j’ai commencé une pièce de théâtre. Déjà la scénographie et l’espace me parlaient. Un des premiers textes, que j’ai conservé et que j’aime beaucoup, parle du quotidien : le quotidien sacré. J’ai toujours écrit un journal intime et je les garde tous. Ils sont une ressource. J’écris sur l’expérience sensorielle et sur la perception des phénomènes. L’espace extérieur est l’ancrage central. Je n’ai pas une vie intérieure indépendante. Elle est toujours en lien avec les phénomènes. Dans les années 1980, à Bâle, j’ai eu la chance de vivre dans un milieu artistique de musiciens et musiciennes et de peintres. À 25 ans, j’ai essayé d’aller vers l’écriture professionnelle. J’ai cherché des formes d’expression dans le cadre de performances, mais j’ai rapidement constaté mes limites d’expression. Je me suis demandé ce que je faisais là et je ne me sentais pas à ma place. Je n’aimais pas non plus l’isolement du travail d’écrivain. J’avais besoin de développer une carrière sociale. J’ai d’abord voulu faire une thèse sur les pratiques de composition dans le nouveau roman et en musique contemporaine. En travaillant dessus je me suis rendu compte que je m’étais trompé. La littérature, je voulais la faire et non pas écrire dessus. Au bout d’une année, j’ai arrêté cette thèse et j’ai écrit un récit littéraire. Puis j’ai changé de domaine universitaire et j’ai écrit une thèse en science du langage. Une expérience de l’altérité «  Respirer / la transparence » J’ai repris l’écriture personnelle en 2006. Le point de départ a été le jardinage et la broderie. À 40 ans, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’avoir un jardin. Les gestes de la plante m’ont donné envie de broder. Au départ, je photographiais les plantes dans les différentes étapes de leur croissance et je les brodais au moment où elles germaient. Je brodais sur du lin. En brodant, je traverse une surface comme la plante sort de la terre. La broderie forme un réseau comme les plantes. Cela m’a donné envie d’écrire. Broder était déjà une sorte d’écriture. Images : Victor Saudan Savoir m’écouter et me rendre compte de l’essentiel des choses vient d’une pratique de la maladie. Mon père était souvent malade et moi aussi. Ce n’est jamais trop grave heureusement. Après ma thèse, à 40 ans, j’ai occupé des postes importants dans le domaine de la recherche et de la stratégie éducative ainsi qu’au Conseil de l’Europe. J’ai lancé des réformes en Suisse concernant l’enseignement des langues surtout étrangères. Je me suis complètement plié à ma carrière. À 50 ans et jusqu’à 60 ans, j’ai quitté les fonctions stratégiques pour transmettre ma connaissance à mes étudiants, futurs enseignants de français. Ce qui relie ces domaines c’est l’expérience de l’altérité. L’altérité fondamentale implique une communication. Je pense que l’on est soi-même à travers l’autre. C’est un principe fondamental de la relation dont parle Edouard Glissant. C’est dans l’interaction que la réalité se crée. C’est le début de l’existence des choses. C’est être déjà deux êtres en soi-même. Cette altérité se pratique tout le temps à l’extérieur, avec les animaux, les phénomènes, les objets. C’est la source même de la culture humaine. Pour moi, dans l’enseignement des langues étrangères, je travaille beaucoup sur cette rencontre avec l’autre, qui est source d’évolution de soi-même. J’ai travaillé sur la manière dont les jeunes Suisses-Allemands et Romands se voient et se représentent. Comment cultiver l’altérité et évoluer ? Je faisais un exercice très concret avec mes étudiants : je leur apprenais à manger du Roquefort. Pour un Suisse, le fromage est une pâte cuite assez neutre, du genre comté ou gruyère. Le Roquefort nous confronte à une altérité forte que nous pouvons rejeter. Ce qui est pourri est dangereux en Suisse : c’est le symbole du mal. Apprendre à goûter du Roquefort ne veut pas dire qu’on aime, mais c’est une expérience descriptive des choses. On comprend que ce n’est pas dangereux de faire une expérience culturelle forte. Il y a une tradition du Roquefort qu’il faut connaître. Quand les étudiants apprennent l’histoire, tous sont contents même s’ils trouvent le fromage mauvais. Ils peuvent dire : ce n’est vraiment ce que j’aime le plus, mais c’est intéressant. La poésie est une autre manière de vivre cette altérité au monde. A 60 ans, j’ai senti que l’écriture me sollicitait de plus en plus et j’ai abandonné toutes les

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