Adrienne Rich, Le Rêve d’un langage commun
Adrienne Rich, Le Rêve d’un langage commun Grâce à Isabelle Marical, libraire de La Petite Librairie au Havre, j’ai découvert la parole vive d’Adrienne Rich, figure tutélaire de la poésie états-uniennes. Dans Le Rêve d’un langage commun / The Dream of a Common Language, recueil écrit entre 1974 et 1977, elle explore sa vie intime de femme en lutte. Le recueil est aussi un chant d’amour. Un chant désordonné tout entier dont le poème essaie de se saisir. « Si dans ce sommeil je parle c’est avec une voix qui n’est plus personnelle (je voudrais dire avec des voix) Quand le vent nous a finalement arraché notre souffle nous n’avions plus besoin de mots Depuis des mois des années chacune de nous avait senti son propre oui grandir en elle se former lentement quand elle regardait par les fenêtres attendait des trains raccommodait son sac à dos peignait ses cheveux Ce que nous devions apprendre c’est tout simplement ce que nous avons trouvé là-haut quand parmi tous les mots ce oui a rassemblé ses forces s’est fusionné et juste à temps pour faire face à un Non de non-degré le trou noir aspirant le monde » extrait de « Phantaisie pour Elvira Shataeva » « Mon corps s’ouvre au-dessus de San Francisco comme la lumière du jour qui pleut chaque pore pleurant le changement de lumière je ne suis pas avec elle Je me suis réveillée par intermittence toute la nuit avec cette douleur pas simplement l’absence mais la présence du passé destructrice de la vie ici et maintenant Pourtant si je pouvais m’instruire moi-même, si on pouvait apprendre à apprendre de la douleur au moment même où elle nous étreint si l’esprit, l’esprit qui vit dans ce corps pouvait refuser de se laisser écraser par cette étreinte elle se relâcherait La douleur serait obligée de prendre ses distances et d’écouter son souffle obscur toujours sur moi mais l’esprit pourrait commencer à parler à la douleur et la douleur serait obligée de répondre » extrait de « Ruptures » « Une conversation commence par un mensonge. Et chaque locutrice du soi-disant langage commun sent la rupture de la banquise, la dérive comme impuissante, comme confrontée à une force de la nature Un poème peut commencer par un mensonge. Et être déchiré. Une conversation a d’autres lois se recharge avec sa propre fausse énergie. Ne peut pas être déchirée. Infiltre notre sang. Se répète. Inscrit avec son stylet sans retour l’isolement qu’elle nie. » extrait de « Cartographies du silence » Adrienne Rich, Le Rêve d’un langage commun / The Dream of a Common Language, traduit de l’anglais par Shira Abramovich et Lénaïg Cariou, L’Arche, 2025, coll. Des écrits pour la parole
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