nouages

éclats du jour

« Les petits vols de l’inconnu sur l’horizon », Iro Nikopoulou (Grèce)

Philippe Malone, Les Chants anonymes, 2021 (France)

Philippe Malone, Les Chants anonymes, 2021 « Certaines mains se tendent la nuit, se confondent à l’ombre, certaines mains plongent dans l’obscurité, t’agrippent et te hissent hors de l’eau, certaines mains ont la douceur d’un rayon de soleil nageant dans une chute d’eau, la voix chaude d’un souvenir, certaines mains susurrent « viens », quelque chose d’approchant, tu ne comprends pas, cela n’a pas d’importance, pas encore, tu saisis juste cette main, le mouvement de cette main, la langue pour plus tard, tu en traverses tant, peu s’incrustent dans ta bouche, mais les mains, certaines mains persistent et hissent et parlent, elles ont les traits d’un visage, un paysage de plaine, des rides claires qui ondulent dans la nuit, certaines mains sont ouvertes comme des visages souriants, n’ont pas la gueule d’un squale, la dureté d’un poing, une double rangée d’ongles, certaines mains caressent et arrachent de l’errance, de l’obscure traversée, l’obscurité n’est pas fiable, parfois cabane souvent piège, l’insécurité des limbes, certaines mains ont la voix chaude d’une brise de surface, elles susurrent et confortent, un visage ouvert, une voix qui accueille, presque une langue, pas encore une langue, pour l’instant une modulation, l’intonation suffit, la caresse de la main, la caresse de cette voix suffit, elle t’agrippe et t’accueille, t’offre un thé, une couverture, certaines mains ont la forme d’une coquille pour y déverser ta voix, même oubliée, même bannie, ta propre voix étrangère à ta bouche, après tous ces voyages, érodée, égarée, trop lourde pour nager, une morte à transportée, ta langue noyée, ta langue de traverse, certaines mains tendent l’oreille, certaines ouvrent leur visage, disent « je ne te comprends pas mais je sais »… » 2 décembre 2021 : 27 personnes noyées. Un gros titre et l’image passant en boucle d’un zodiac chargé d’hommes, de femmes et d’enfants. Je m’émeus, je m’inquiète, mais mes mains sont vides et ma voix ne résonne qu’en moi. Notre corps social meurt quand sombrent tant de vivants. Philippe Malone, Les Chants anonymes, Ed. Espaces 34, 2021 https://www.editions-espaces34.fr/spip.php?page=espaces34_livre&id_article=492, https://www.philippemalone.com/ et https://soundcloud.com/artcena/lecture-les-chants-anonymes-de-philippe-malone

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Giorgos Séféris, Journal (Grèce)

Giorgos Séféris, Journal (Grèce) « [Mon journal] ne veut même pas être complet. Ce sont tout au plus des traces qu’on laisse en passant, des pas sur la neige, pour rappeler cette pièce de Claude Debussy, les traces de quelques moments qui ne sont pas toujours les plus importants, mais les plus libres, ceux qui sont venus. » 14 novembre 2021 : les mots ouvrent des chemins qui se referment derrière eux. A peine prononcés, à peine entendus, ils entrent dans le silence. Seules demeurent leurs traces. Dehors, les feuilles qui se détachent tombent avec tant d’abandon. Georges Séféris, Journées, 1925-1944, trad., préf. par Gilles Ortlieb, Ed. Le Bruit du temps, 2021 https://www.franceculture.fr/oeuvre/journees-1925-1944 Claude Debussy, Des pas dans la neige, Préludes, livre 1, par Daniel Barenboim : https://www.youtube.com/watch?v=Iq0x_gM8tZg

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Tal Nitzan, « Le point de la tendresse » (Israël)

Tal Nitzan, « Le point de la tendresse » (Israël) Le point de la tendresse « C’est ici le point de la tendresse, Même si le cœur en silence fut englouti dans la ville comme une pierre – sache que c’est le point de la tendresse. Donne-moi la main de par le monde. J’ai vu une mère parler avec haine à son enfant tuant des mots, j’ai vu un bâtiment se plier en poussière, étage sur étage, lentement – combien il nous faut de pitié combien nous devons apaiser. Quand la nuit se referme sur la nuque privée de baisers c’est irréparable: à l’étouffement dans chaque gorge, un seul remède, regarde, tout simplement, c’est le point. » 11 novembre 2021 : c’est le brouillard qui apaise en premier. Puis vos visages, beaux à trancher la lumière. Ma tendresse appareille. Tal Nitzan, Soirée ordinaire, traduit de l’hébreu, Al Manar, 2011, coll. Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée https://editmanar.com/book-author/nitzan-tal-1/ et https://talnitzanpoet.wordpress.com/

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Sheila Hicks, Cordes sauvages Pow Wow (Etats-Unis, France)

Sheila Hicks, Cordes sauvages Pow Wow (Etats-Unis, France) 4 novembre 2021 : Saison précise sur le mur, la vigne tels le sang et le feu qui se figent. C’est pourtant vers le rouge que le cœur se réchauffe accroissant sa lumière entrouvrant sur le mur une idée folle de ciel et d’incendie. Sheila Hicks, Cordes sauvages Pow Wow, 2015 26 éléments, 250 x 20 cm, coton, laine, soie, bambou, fibres synthétiques https://www.sheilahicks.com

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Lili Frikh, « Bleu, ciel non compris /N°054 » (France)

Lili Frikh, « Bleu, ciel non compris /N°054 » « Dieu me manque. A la place j’ai un Bleu. Je l’appelle « Turquoise ». Un Bleu profond, dès la surface. Bleu la couleur. Profond le trou. Je dis « Mon Bleu ». Je ne dis pas ma robe. Même plus mon amour. Je suis sans « il y a ». Dans cette carence infinie. Je veux « Mon Bleu ». Il m’en faut. Plus que du Potassium. C’est comme ça qu’il existe. Sans aucune preuve. Dans l’épreuve du manque. » 3 novembre 2021 : Je préfère le poids de la matière et ses couleurs, pull, manteau, chaussures. Et les couleurs dans les yeux, sans commentaire superflu. Lili Frikh, Bleu, ciel non compris, Gros Textes, 2012 https://grostextes.fr/publication/b-l-e-u-ciel-non-compris/

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Martine Audet, Rêve sur rêve (Québec)

Martine Audet, Rêve sur rêve (Québec) « Il me faut des écarts pour plus de beauté. Il me faut des orages qui, se mêlant aux pierres, refusent d’éclater. Je rêve qu’une autre langue m’enfonce dans un rêve. A perte de vue, la mer est de nuit noire. » 5 novembre 2021 : Mélange de noir, de désordre et de froid. Une nouvelle peau pousse sur les yeux. Naturellement plonger dans la nuit. Martine Audet, Rêve sur rêve, dessins d’Alexandre Hollan, La Tête à l’envers, 2020, coll. fibre.s https://www.editions-latetalenvers.com/Commandes.H/s276320p/Reve_sur_reve_Martine_Audet

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Alain Roger, « Dans le jardin soustrait à l’horizon » (France)

Alain Roger, Dans le jardin soustrait à l’horizon « Le jardin donne une forme au temps, offrant sa prise tremblée à cette immense force dont je ne sais rien dire d’autre que : elle existe et traverse toute chose et tout être. Poussées, éclosions, déploiements, flétrissures, mûrissements, mais aussi pourritures, inclinaisons lumineuses, … le temps s’incarne en menus détails que la fréquentation quotidienne du jardin permet de relever y miroitent des temps enchevêtrés : lente croissance appliquées des branches et des feuilles, très court instant d’une lumière posée sur une fleur, brève apparition d’un motif et tout ce temps accumulé pour le rendre en peinture, rêvasserie, quête, jeu de patience et de vivacité » 20 octobre 2021 : sous la pluie, entrée dans le jardin comme dans un vase, par une telle nuit lorsque Gallé dépose sur le verre soufflé la libellule. Alain Roger, Ebauches d’un horizon & Dans le jardin soustrait à l’horizon, Inclinaison, 2015, coll. Cordes tissées 19 https://alain-roger.pagesperso-orange.fr/alainrogerecrits.html

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Marie Denizot, « Le souffle court » (France)

Marie Denizot, « Le souffle court » « Le souffle est à bout car Au retour du parc Le souffle est à bout Par cœur il siffle car Le souffle est à bout Au détour d’une courbe par hasard, par passade, pour rire, il halète sans raison car Le souffle est à bout. » 15 octobre 2021 : dans le train. Voyageurs, corps dociles, gestes ténus, mots discrets, expressions répétées, phrases inachevées, tension palpable du désir de dire. Marie Denizot, Au bout de la nuit le jour nécessairement, poèmes accompagnés par douze encres de l’auteure, Ed. Delatour France, 2016 http://www.maried.sitew.fr/

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