Jean-Marc Barrier, « Ne rien prévoir, ne rien vouloir, s’aventurer ainsi » « tu le sais tu ne sais rien sinon qu’un geste t’attend entre deux phrases » Jean-Marc Barrier vit dans les montagnes de l’Hérault, où il se consacre à l’écriture, au dessin, à la photographie et au plaisir de faire des livres avec des amis. Il dirige la collection fibre.s aux éditions La tête à l’envers, anime un atelier mensuel La table d’écriture et co-anime l’émission Les arpenteurs poétiques sur Radio Pays d’Hérault. Arpenter… Ecrire, dessiner et photographier. Rentrer avec des croquis et des encres à broder (ou pas). Jean-Marc Barrier nomme sa pratique artistique « poésie littéraire et visuelle ». Dans cet entretien, il nous parle de ses gestes de peintre et de brodeur, de la manière dont ils accompagnent son écriture, de l’irréductible et féconde différence entre l’image et le texte. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 10 juin 2022, Marché de la poésie, Paris Être dans l’étonnement « Le monde est un vaste jardin. Comment ne pas y aller ? », écrit Jean-Marc Barrier dans la postface d’Ailleurs debout. Au cours de ses voyages, il photographie et relève les vestiges, empreintes, traces infimes et signes sensibles de notre étonnement de vivre. L’étonnement : pour représenter cette puissante émotion, « notre main magique a dansé depuis la préhistoire sur les murs ». J’ai commencé à dessiner très tôt et j’ai beaucoup aimé cela. À 7 ans, mes parents m’ont inscrit à l’École des beaux-arts d’Annecy. Lorsque j’ai eu mon bac, j’ai hésité entre des études scientifiques et artistiques. J’avais grandi dans les trente glorieuses, un temps assez matérialiste, mais je trouvais la vie ‘extra-ordinaire’, j’étais dans un étonnement de tout. Ce qu’on me proposait ne correspondant pas à mon sentiment de la vie, j’ai voulu tracer ma route sur des axes plus spirituels. À ce moment-là, j’ai fait le choix de devenir religieux. Entrer dans une vie de communauté m’a libéré de toutes les programmations de mon milieu d’origine. J’ai mis ma vie sur un axe différent et choisi. Cela m’a donné beaucoup de liberté dans toute ma vie, notamment dans mon rapport à l’argent, aux lieux. J’ai fait les vœux temporaires de trois ans de suite, dans un ordre salésien. Puis j’ai voulu être un homme qui vit largement sa vie d’homme. Je faisais alors mes études aux Beaux-arts de Lyon. Peinture et dessin. Découverte de la couleur. J’ai voulu être peintre. Puis j’ai eu 6 enfants – très heureux d’être père. Comme il me fallait des revenus réguliers, je suis devenu graphiste indépendant. Mais cela a été très difficile pour moi d’arrêter de peindre – même si j’ai développé dans le graphisme un art personnel. Le livre La Rue infinie est nourri de cette perte: lorsque j’ai dû cesser de peindre, je suis allé photographier dans les rues des « peintures perdues ». Elles m’ont gardé proche de l’intention de peindre, de la peinture. Je ramassais ces images, œuvres fragiles et vouées à disparaître. Elles sont devenues un manifeste et en les relevant, je me relevais moi-même. Il y a ici une sorte d’utopie qui me plaît d’un art spontané, gratuit, généreux et partagé par tous. Ne pas tout dire « Pauvreté claire », «petites choses », « rien », « retrait », « vide », « souffle »… une ligne flotte entre le silence et les mots. Sur cette ligne les images apparaissent. Inspiration, « tu n’es pas obligé de tout dire même si tu vois plus fort ». Expiration, « ce qui se tait protège l’espace où tu respires ». Ces trois dernières années, j’ai eu une méditation intime sur le curseur de ce qui se partage ou pas, notamment dans Virga, un livre qui essaie de s’approcher de l’ineffable. Dans mon enfance, les adultes ne parlaient jamais de leurs émotions, et je n’ai de cesse dans ma vie de chercher des lieux où partager des ressentis d’une manière éclairée. J’ai été un militant de la parole sensible partagée. Puis j’ai compris que c’était une réaction à mes années d’enfance et que je demeurais sans doute dans le même schéma, (dans le -1, on reste dans le 1). Je me suis mis alors à chercher au plus près quel espace intime je souhaitais garder, plus conscient que les choses émanent d’une qualité de présence, sans besoin de mots ni de commentaires. C’est un réglage tardif, qui préserve des trésors personnels, intérieurs. J’ai eu une envie de livre, Pierre limite, sur ces géométries de l’intime. Elle s’est transformée, et c’est devenu ce livre, La nuit élastique, qui sort en juillet aux éditions Phloème (mon premier livre de texte seul, sans image). J’aime dans la poésie partager beaucoup d’intime, mais par la médiation du poème. Ainsi dans le poème, on laisse des blancs dans le texte sans trop expliquer. Le lecteur peut y être dans une lecture active, s’approprier le texte dans son imaginaire et son vécu propres. Pudeur et impudeur sont mêlées – les deux sont précieuses à mes yeux. Quand je peins, je suis totalement dans ce que je fais. Cela me met dans un état limite. Surtout les encres. Je laisse venir… Ne rien piloter, être dans l’instinct. Il n’y a pas de mots, le son disparaît. Lorsque je brode, c’est différent. Je mets des musiques que j’aime. Elles m’accompagnent dans une méditation lente, le temps disparaît. Ces deux temporalités sont si différentes, j’aime qu’elles se musclent mutuellement dans l’œuvre. L’encre et le corps vivant La peinture est mouvement. Elle est soulèvement et emporte la vue. Sa pulsation entraîne le corps dans la danse jusqu’au bout du pinceau. La peinture est lumière, couleur et matière, eau, huile, pigments, grains dont le peintre nomade fait son espace. Il devient lui-même la feuille – « d’un côté le sable, de l’autre les vagues et l’infini » – sur laquelle s’inscrit « ce peu de gestes qui nous dessine ». Wrac’h, Jean-Marc Barrier Quand j’ai recommencé à peindre il y a 6 ans, j’ai pensé que j’allais reprendre là où je m’étais arrêté, mais ce n’était pas juste. Jeune, je faisais des peintures à l’huile sur toile, des images essentielles, grand format, dans le sombre. La peinture à l’huile est un acte assez réfléchi, il y a