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Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein (France)

Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein “s’élargir comme un estuaire le désir est estuaire mettre au monde est estuaire parler est estuaire l’orgasme est estuaire mourir est estuaire écrire est estuaire” 20 juin 2022 : écrire comme on avance à tâtons… dans l’invisible et le silencieux – tendre accalmie – une soudaine floraison. Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein, suivi de le tunnel, Editions Phloème, 2021 https://www.editionsphloeme.fr/de-langue-française/oeuvres/sumballein/

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Sara Balbi di Bernardo, “Chambre 12” (France)

Sara Balbi di Bernardo, “Chambre 12” “elle est de l’autre côté du bureau & de la vie de celleux qui rentrent le soir j.e. est frag-menté cuisses serrées paumes serrées dents serrées sourire de téléréalité soleil de théâtre grosses ficelles elle répète le mot stable comme table comme pierre comme fer à repasser tissu lisse sans pli” 19 juin 2022 : D’infimes signes honorent la vie. Gestes et mots emmènent malgré tout. Sara Balbi di Bernardo, “Chambre 12”, extrait, Point de Chute, n°4, printemps 2022 https://revuepointdechute.fr/

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Christine Pezzana, Simultané (France)

Christine Pezzana, Simultané “Chemin fait d’un peu de terre Le paysage blanc glacé entend les craquements gelés plaisant à respirer Mais le champ abandonné attend le jour Aveugle léger à porter les sensations d’un coeur encore silencieux Quelquefois des choses au dos de la buée transportent les rêves Tu peins ce champs en mouvement à la lumière de l’aube Etreignant cette beauté l’autre main choisissant la couleur” 18 juin 2022 : être sensible à l’image, beau mystère. Sa pulsation, sa trace et son débordement… le monde offrant son intimité. Christine Pezzana, Simultané, Editions du Petit Véhicule, 2019. Coll. : Galerie de l’Or du temps. Couverture : Danse Ose, sculpture de Claude Hartmann https://lepetitvehicule.com/produit/galerie-de-lor-du-temps-n163-christine-pezzana-simultane/

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Denis Emorine, “Vers l’Est ou dans l’ornière du temps” et “Mots déserts. Suite russe” (France)

Denis Emorine, Vers l’Est ou dans l’ornière du temps et Mots déserts. Suite russe Denis Emorine publie Mots déserts. Suite russe (Editions Unicité) et Vers l’Est ou dans l’ornière du temps/Verso l’Est o nel solco del tempo (Giuliano Ladolfi Editore), deux recueils scandant le douloureux et impossible cheminement d’un deuil. La guerre, ses massacres, ses cruautés et ses horreurs. Un pays, la Russie quittée à jamais. La mère arrachée à l’enfant. L’enfant resté orphelin. Le poète tentant de relier tout cela et de détourner la mort avec ces petites faux que sont les mots : les mots pour faucher l’absence, la peur, l’abandon, l’injustice. Retenir quelques pensées avant qu’elles ne s’effacent tout à fait. Empoigner la douleur qu’elles suscitent. S’aventurer sur un territoire hostile. Écrire, comme rituellement, pour attacher entre eux les souvenirs anciens et les nouvelles du présent. Car la parole libère et restitue. Le poète s’accommode de n’en percevoir que partiellement les dimensions : dans la profondeur, une enfance, dans la hauteur, tant d’ombres. Écrire lui sert de guide, mais il se tient à l’écart du chemin qu’il ouvre devant nos yeux de lecteur. Aux bordures, il livre le combat qui le tient au corps depuis toujours. Au centre, une jeune femme au regard clair lui tend la main. Nous entrons dans un lieu qui ressemble à la mémoire. Une étendue aussi précise et indéfinissable qu’un rêve. Le cauchemar s’y arc-boute. L’homme conjure ses souvenirs. Chaque poème allume une lampe aveuglante accentuant l’obscurité. Tenir en main ces deux recueils de deuil et s’en saisir délicatement, car ils appartiennent à la mémoire d’un homme dont ils marquent à la fois les limites des lieux familiers et perdus, et le territoire qui lui propose une trêve. “Mes lèvre tremblantes s’accrochent aux mots éteints” « C’était moi le chef d’orchestre / il y avait cette fosse à remplir / encore une fois ». Un son aigu, des échos persistants, des contrepoints violents : il y a du réel dans la langue poétique de Denis Emorine. Des ruptures à maints égards utiles et fécondes. Hurler, blasphémer, mordre, vomir, laisser pourrir exprès, écrit le poète, qui ne comprend plus la langue de son enfance, et parce qu’il ne sait plus la prononcer, va la chercher au fond de lui et l’extrait dans un mouvement à rebours. Survivre : « enfoncer ta tête dans la boue du temps » Aimer : « tranche-moi la gorge » Écrire : « des lambeaux de poèmes émergent ça et là » La poésie se fait le vecteur d’une remontée sensible de la langue maternelle. À travers le corps, sans autre vase, elle recueille « la musique disparue sous la terre » et « les mots défunts » qui réapprennent à l’homme à parler. Le poète balbutie. Libère un flux qui passe autour des mots comme un fleuve laisse libres quelques roches : « toi », « enfin », écrit-il en exergue, dans l’espace réservé d’un retour à la ligne. Le flux de la parole sinue. Forme des boucles, « mon amour / mon amour », « lentement / lentement » et « stagne presque comme un cœur qui cesse de battre ». « Le niveau de l’eau monte sans cesse dans mon cerveau j’ai la tête lourde et bientôt je n’arriverai plus à la tenir droite » (Vers l’Est ou dans l’ornière du temps, p. 88) “La forêt où j’ai perdu mon enfance est profonde” Un paysage retient l’attention avant même qu’on ait compris où Denis Emorine nous emmenait. Un rideau de bouleaux fait office de seuil ouvrant sur des espaces glacés. Saisissement d’un enfant prisonnier d’une histoire. Comme dans les contes, « la forêt de bouleau me griffait les yeux ». L’initiation ici est faite de frottements, de griffures, d’arrachements. Le vent passant sur la forêt est le précurseur du malheur : « le vent s’engouffre / dans ma tête / et il oublie toujours de frapper ». Mais le vent lève aussi la lumière et dévoile une image si présente qu’exister à côté d’elle équivaut à n’être presque rien. Dans ce paysage si aigu et si blanc parfois, nous pénétrons à la suite de l’enfant sur la scène de crime. Combinaison de mots : guerre, ville en ruine, uniforme noir, pieds et poings liés, cris, poignard, sang, cadavres, fosse béante, tombes. Tout est vécu. Et noté. « je ne peux plus faire un pas / devant l’autre / sans que le sang jaillisse de ma vie. » « je briserai des os en marchant / je n’en croirai pas mes yeux / mais il sera trop tard / pour revenir sur mes pas » Lorsque se décante la vision, se lève l’image impérieuse d’un camp de la mort. « Aujourd’hui la prairie est recouverte de sang les herbes folles zèbrent ton visage Autour de toi rien ne pousse tu voudrais mettre le feu à tes souvenirs et t’arrêter là avant de mourir ou graver un dernier poème sur le vent d’est qui vient de te rejoindre Ta main tremble Tu ne connais plus ton nom puisque tu n’en as plus besoin » “Je suis tenté de revenir sur mes pas pour étreindre quelques fantômes” La mort tient compagnie au point d’être préférable à la vie d’orphelin. En ses ravages éclate sa puissance. Se tait toute chose. Elle réclame qu’on se livre à elle et promet, fallacieuse, de faire franchir « l’ornière du temps ». Pourtant, on peut entendre la poésie de Denis Emorine comme une rumeur quasi silencieuse. Le texte devient le réceptacle de petites choses éparpillées, liées entre elles par l’intensité d’une douleur et qui retiennent l’instant. Des notations précieuses sur des yeux fermés, des bras espérés, une mouche importune, le bruissement des feuilles, la musique des voix de femmes, la pluie, la neige, un arbre. Quelques couleurs, des sons, des lumières, la douceur d’un corps et ses odeurs exhortent à la résilience. Le passé est un fantôme vulnérable et résistant qui tient tête à la mort. « J’ai perdu l’écho des voix qui m’aimaient il y a longtemps si longtemps je me suis égaré tant de fois en le recherchant plus rien ne résonne à la surface de la terre Je continue d’avancer en remplissant ma tête de mots déserts qui m’aidaient à respirer je suis tenté

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Jean-Marc Flapp, “Que la littérature me projette hors de moi en une extase !” (France)

Jean-Marc Flapp, “Que la littérature me projette hors de moi en une extase !” Jean-Marc Flapp lit (beaucoup), écrit (pas assez selon lui), est directeur de la revue DISSONANCES qui vient de fêter ses vingt ans. Avec son équipe, il a fait de la revue un laboratoire vivant d’écritures à la fois poétiques et narratives. Notre entretien s’est articulé autour de quelques mots choisis pour leur récurrence dans ses textes poétiques et dans ses chroniques. Parmi ceux-ci, il en a retenu certains : « extase », « voyage », « monstre », « compassion », qui ont guidé notre conversation. D’autres ont surgi au fil de la rencontre, comme « bienveillance », “urgence” ou “vérité”. Ainsi s’esquisse le portrait à multiples facettes d’un éditeur poète et lecteur. Entretien avec Anne-Marie Zucchelli, Paris, 14 mai 2022 Extase Chez Jean-Marc Flapp l’expérience de la littérature – écriture ou lecture – brûle, incendie et prend au corps. Du texte d’Emmanuel Adely, La très bouleversante confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté, il écrit : “100 % adrénaline ! Ce que j’attends en fait de la littérature c’est qu’elle me secoue, me projette hors de moi en une extase telle que je suis vraiment ailleurs (que je deviens vraiment autre) le temps de la lecture.” Lui-même pulvérise le langage en des phrases scandées et palpitantes, mimant les spasmes du corps. Pour entrer dans le vif du sujet, il a choisi de commencer l’entretien avec le mot « extase ». L’extase, c’est ce qui arrive à Lancelot dans Le chevalier à la charrette (dont l’incipit est l’exergue du nouveau DISSONANCES) lorsqu’il voit la reine passer au loin et que sa pulsion d’amour le catapulte hors du château… par la fenêtre ! C’est aussi ce que j’attends de l’art et de la littérature : qu’ils me fassent sortir de moi, du niveau premier des choses, de mon vécu concret, qu’ils m’envoient valdinguer dans une dimension parallèle. Et c’est capital pour DISSONANCES : à chaque thème nous attendons de voir où vont nous amener les textes proposés et les œuvres de l’artiste invité, nous sommes à l’affût, et au final chacun fait son voyage qui n’est celui d’aucun des autres. Nous sommes par ailleurs vraiment au service des auteurs et des artistes que nous publions. Ce qui nous comble, ce sont les retours d’auteurs et d’artistes heureux de comment nous les avons traités, mis en valeur. Il peut y avoir des tensions, mais c’est rare : nous donnons tout ce que nous pouvons pour rendre chaque œuvre publiée (qu’elle soit textuelle ou visuelle) la plus efficiente possible dans le cadre de notre charte graphique. L’œuvre est une machine à produire de la sensation, à projeter dans un ailleurs. Pour lui donner encore plus de pouvoir, depuis le dernier numéro de DISSONANCES, nous offrons à chaque texte une double page illustrée : chacune d’entre elles constitue ainsi un univers autonome dans le thème global. Faire exister une revue comme DISSONANCES est bien sûr extrêmement chronophage. Une partie de mes fonctions y est d’être chroniqueur (deux recensions par numéro) et je fais avec certains auteurs un important travail de correction et d’éventuelle réécriture. DISSONANCES est par ailleurs un très réel travail d’équipe (cinq des six personnes qui l’animent forment le comité de lecture et la sixième anonymise les textes, les grandes décisions sont toutes collégiales) : en tant que directeur, je suis en position de pivot, je recueille et je fais circuler. Cela mange beaucoup de mon temps et de mon énergie, cela réduit d’autant la possibilité d’écriture personnelle. Cela m’a d’abord frustré. Mais je me suis rendu compte qu’animer cette revue est une forme d’expression aussi forte que complète. Je dirais donc que dans mon œuvre personnelle, il y a aussi DISSONANCES : je me retrouve absolument dans son côté pluridisciplinaire, je m’y exprime vraiment. Et c’est aussi très… distrayant : choisir les textes, les mettre en pages, c’est comme faire un puzzle (et j’adore les puzzles). DISSONANCES se présente comme « revue pluridisciplinaire àbutnonobjectif ». Cela peut sembler une boutade mais ce n’en est pas une. Nous savons que parmi les 300 ou 400 textes que nous recevons à chaque fois, une autre équipe ferait d’autres choix. À l’intérieur même de l’équipe les diversités de réactions sont étonnantes : certains textes qui paraissent indispensables aux uns peuvent être détestés par d’autres. Le travail du comité de lecture est de faire avec cela, s’affronter, négocier, du chaos initial faire naître un cosmos. “puisqu’il n’y a plus rien étendu sur le dos et les yeux au plafond tu t’écoutes respirer tu sais que tu as ta dose mais marre absolument de tous ces os qui craquent tu presses le bouton et la morphine court qui s’engouffre et t’inonde un éblouissement tout le corps aboli douleur évanouie tu dis dieu que c’est bon tu n’es plus que du vide et n’as en même temps jamais été si plein car le vide c’est du rien qu’une chose contient et tu es cette chose et beaucoup plus que ça n’ayant plus de contours détaché et entier tu es tellement content d’autant que pile à l’heure débute la grande parade que tu veux applaudir mais tu n’as pas de mains puisqu’il n’y a plus rien et tu le connais bien ce joli lapin blanc sur décor de jardin petit lapin malin qui passe à fond de train secouant sa queue houpette et qui hoche la tête c’est une chanson bête caquète une poulette que tu connais aussi car elle s’appelle henri c’est bête tout autant elle avait donc raison c’est une sage poulette tu ris et elle aussi et puis elle se dissout dans un froissement doux tes yeux se sont rouverts sur le plafond très blanc comme l’était le lapin et tu hoches la tête saluant le feuillage derrière la fenêtre du grand arbre bruissant sous la brise du soir ou du matin peut-être le soir ou le matin il n’y a plus de temps …” Jean-Marc Flapp, “Le Saut de l’ange”, extrait, DISSONANCES # 21 LE VIDE Voyage À propos de Johanne de Marc Graciano, Jean-Marc

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Bryan Nash Gill, “Saule”, 2011 (USA)

Bryan Nash Gill, “Saule”, 2011 (USA) Bryan Nash Gill, Saule (Willow), de la série WoodCuts, 2011, 49 5/8″ x 38 3/8″ 25 avril 2022 : Enduire le bois coupé d’une fine couche d’encre, prendre une feuille de papier washi fabriqué à partir de longs morceaux d’écorce, faire courir ses mains sur la surface : prendre l’empreinte de l’arbre autrefois vivant, unique comme l’est une empreinte digitale : ” Vous ne saurez jamais ce que vous manquez si vous ne trouvez pas un moyen d’entrer et de regarder.” Bryan Nash Gill https://www.bryannashgill.com/woodcuts

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Lumière !

Lumière ! « Oui, oui ! Muriel à l’envers ça fait lumière ! Quand elle est sortie en serrant ses paquets contre elle, la bouteille contre sa poitrine, je me suis dit, tiens on lui a offert une rose ! Et puis elle en avait l’air. Elle avait cette façon de sourire. Mais non, c’était le bouchon de sa bouteille d’eau, un bouchon rouge. Tu sais, je souhaite qu’il n’y ait pas de fin. » Le train s’arrête. Les deux hommes suivent des yeux une fille à la peau très blanche, descendue sur le quai, les jambes en ciseaux rapide, le dos droit, les cheveux en coulée de feu sur sa veste. Dessin de Marc-Antoine Beaufils, 2018

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Herberto Helder, “Le poème” (Portugal)

Herberto Helder, “Le poème” (Portugal) ” Chanter où la main nous toucha, où l’épaule s’embrasa, où s’ouvrit le désir. Chanter dans la table, dans l’arbre abîmé en extase. Chanter sur le corps de la mort, pierre à pierre, flamme à flamme – levé, aimé, connu. “ Le poème (extrait) 16 avril 2022 : ce miracle intérieur – la puissance chantante du monde. Herberto Helder, La cuiller dans la bouche, 1961, traduit du portugais par Marie-Claire Vromans, Ed. La Différence, 1991, collection Le Fleuve et l’écho

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Isabelle Poncet-Rimaud, “Attendre la germination de la parole” (France)

Isabelle Poncet-Rimaud, “Attendre la germination de la parole” Dans son écriture, la poète Isabelle Poncet-Rimaud se saisit du bruissement de la vie en son intimité et son partage. Parce que la poésie – “Imperceptible murmure”, “poussière du rien” – questionne l’existence, la présence de la mort et le désir de vie, elle devient une terre de résistance où la poète trace sans cesse de nouveaux chemins. Isabelle Poncet-Rimaud est autrice d’une quinzaine de recueils. Son parcours littéraire se nourrit de la collaboration avec d’autres artistes, écrivains, musiciens et peintres. C’est de ce qui fonde son désir d’écriture, l’enracinement et l’envol, l’aspiration au très proche et au très sensible ainsi que l’adresse à autrui, dont Isabelle Poncet-Rimaud témoigne dans cet entretien. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 26 mars 2022 Respirer La poésie est un chemin pour moi. Elle l’a toujours été. Elle est une trajectoire humaine et spirituelle. Pendant des années, elle a eu une dimension sacrée. Je la voyais comme le reflet d’une parole divine qui passait à travers elle. Cela n’existe plus pour moi maintenant. La perte de la foi a fait disparaître quelque chose que je suis incapable de retrouver, mais dont je n’ai pas envie non plus. J’ai pris conscience que je ne suis qu’un maillon et que je suis reliée aux autres. La poésie m’a permis de me libérer, car « on ne peut se rendre vers l’autre qu’après être rendu à soi ». J’ai commencé à écrire dès l’âge de huit ans. Mes parents avaient fait tous les deux les beaux-arts. Comme j’étais incapable de dessiner, je me suis dirigée vers la musique des mots. J’avais besoin de faire sortir ce que je ressentais très fortement. J’écrivais de petits contes. Puis en grandissant j’ai arrêté d’écrire. À la naissance de ma seconde fille Mathilde, un jour, en écoutant une émission, j’ai eu le sentiment qu’il fallait que je reprenne ce chemin. C’est devenu important Lorsque nous nous sommes installés à Strasbourg, je suis entrée en relation avec la poète Sylvie Reff qui m’a demandé un texte pour un numéro spécial de la Revue alsacienne de littérature, écrit par des femmes. La nouvelle que j’ai envoyée a été acceptée. Quand elle a paru, cela m’a fait un effet si important et violent que je me suis dit, maintenant je peux mourir ! Dans ma vie quotidienne, la poésie est devenue une respiration. Quand mes filles étaient à l’école, je m’asseyais par terre contre un radiateur avec une couverture et j’écrivais. J’avais deux ou trois heures devant moi, tous les jours, quoi qu’il arrive. Le soir, ma poubelle était pleine. Après Verlaine, dans mon adolescence, qui fut pour moi, un pont vers le langage des mots, les poètes qui m’ont d’abord aidée à me libérer sont Jacques Prévert et Boris Vian. J’étais fascinée par la force crue et pourtant tendre de leur regard sur le monde. Ils ont osé utiliser le quotidien pour le dépasser. Ils avaient une liberté qu’ils m’ont communiquée et ils m’ont donné une permission d’écriture. Arracher A cette époque et pendant des années, c’est parce qu’un titre m’apparaissait qu’un recueil pouvait naître. Chaque fois le travail s’étalait sur deux ans, jusqu’au moment où j’écrivais un poème dont je savais que ce serait le dernier. Alors apparaissait un autre titre. Ce n’est qu’à la fin, en rassemblant le recueil, que je comprenais pourquoi ce titre était venu et quel chemin il avait permis de constituer. Comment aller au plus près de soi grâce à l’écriture ? Je subissais l’influence maternelle et je ne savais pas de quel bord j’étais. « Bord à bord » est le titre de mon premier recueil : entre l’enfance et l’âge adulte il y avait un gouffre qu’il fallait que je franchisse. J’étais blessée par ce que je percevais du monde et par les étiquettes qui étaient collées sur moi. Je voulais me dépouiller, écrire mon « visage voulu nu », évoquer les différentes facettes de mon être et du monde, comme l’indique le titre de mon second recueil, « Les pays d’être ». Je commençais à naître. J’arrachais du fond de moi ces mots qui disaient ce que j’étais, « Les chairs de l’aube ». Je n’ai jamais eu de facilité d’écriture. Le poème prend d’abord la forme d’un mot, d’un groupe de mots ou d’une phrase qui resteront et que je n’enlèverai pas. Mais je ne sais pas ce qui viendra après. Il faut que je laboure au fond de moi. À l’époque, cela voulait dire rester très longtemps en silence. Attendre puis élaguer. Renoncer avec douleur à certaines phrases. C’est très proche de la méditation. La parole procède de ce silence. ” De quel arc vibrant suis-je la corde tendue sous les ongles implacables de l’adieu ? De quel deuil me faut-il résonner à l’aigu pour qu’en vol vertical s’échappe l’oiseau blanc d’écriture, reflet d’eaux en musique voguant sur l’incandescence du Verbe? “ Les chairs de l’Aube, Editions Oberlin, 1990 Poème mis en musique par Damien Charron, extrait du cycle de mélodies, Dans la soif des mots, 2000 http://www.damiencharron.com/sound-clips.php Se mettre en chemin J’ai besoin de me nourrir des autres poètes. Pour pouvoir descendre dans le silence, je m’installe sur mon lit et je m’entoure des recueils que je lis. La rencontre avec les mots des autres me permet une descente intérieure. Leurs mots me mettent en chemin. Certains ont une résonance incroyable. Je ne peux pas être en état poétique pour écrire moi-même, si je ne suis pas dans cette présence poétique aux mots des autres. Certains poètes ont été importants dans mon cheminement. Henri Meschonnic par exemple, car il m’a apporté une exigence d’élagage. Sa poésie réduite à l’arête m’a aidée à aller au cœur des mots, à les faire s’entrechoquer pour créer les images. Gilles Baudry a aussi été très important pour moi. Nous avons fait de la traduction biblique ensemble et nous sommes devenus amis. Il est moine et sa poésie a une dimension spirituelle sans prêchi-prêcha. Elle témoigne de joie et de questionnements. Chez lui, tout devient prière sans l’être. Dieu est partout

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Sonia Elvireanu, “Ensoleillements au coeur du silence” (Roumanie)

Sonia Elvireanu, Ensoleillements au cœur du silence (Roumanie) “Ensoleillements au cœur du silence” ou l’arc-en-ciel du silence, note de lecture par Isabelle Poncet-Rimaud Dans son dernier recueil, Sonia Elvireanu écrit depuis le silence, pour et par le silence et passe d’un silence habité à un autre. Dans ce nouveau parcours poétique, tout n’est que pont d’un amour à l’Autre, d’une rive solitaire à un rivage peuplé, d’un ciel blessé à un ciel confondu, du rêve au réel, d’un chant bleu au chant immortel. L’arc-en-ciel qui enjambe le recueil, lien de lumière et de couleurs, est ceinture entre le ciel et la miraculeuse argile. Parce que ce silence en elle Sonia Elvireanu le provoque, l’écoute et voit le monde qui l’entoure avec les yeux du ciel. Je me suis retirée dans la solitude/pour être près de toi, te chercher et te parler, écrit-elle. Et par ce vers, on distingue le double mouvement qui dans ce recueil anime la parole de la poétesse : se recueillir en sa solitude pour retrouver l’amour perdu mais aussi se rapprocher d’un autre Amour qui englobe le premier. Dès le premier poème, Sonia Elvireanu donne le ton. La poésie pour elle, est ce seul murmure en langue bizarre où la voix étrange du Poète s’élève et celle du Très Haut descend en parfaite communion. Je t’écris où toutes les choses parlent car parler c’est lumière. Et tout parle en couleurs, en lumières, en explosions de fleurs, de fruits, en parfums délicieux, en langages d’oiseaux qui remplissent le vert/silence de la solitude comme un lien entre terre et ciel. Les bras du silence…/s’accrochent aux odeurs et la poésie peut devenir l’eau miraculeuse de la guérison. Il y a dans cette écriture une forme d’élégance soyeuse ( le mot soie est récurent), un sentiment d’intemporalité symbolisée par les papillons blancs messagers ou écailleurs d’ombres ( à l’aube, des ombres écaillées de papillons) , un effleurement des pas sur l’ardoise du sable où la poétesse écrit l’amour, la solitude, une tentative d’aller au-delà des lointains, là où attendent l’amour et peut-être cet Amour qui signera la fin de la solitude. Dans le même temps, s’exprime tout au long du recueil une souffrance vigilante qui refuse l’orage des mots noirs qui risquent d’entraîner vers la chute et veille à refaire chaque fois, le pont écroulé pour que l’arc-en-ciel s’y pose. La poétesse devient la myrrhe de l’amour, celle qui cicatrise et encense en élevant son parfum vers le ciel. Cette poésie bruisse, bouge, frôle, coule. L’eau – océan, source, fontaine, ruisseau- est aussi présente que la lumière, aussi subtile et essentielle. Sonia Elvireanu écrit aussi depuis le cri noir du confinement, des ravages du virus , ce rouge qui s’étend comme la rougeole alors même que le printemps se montre dans sa splendeur et qu’un arbre vert/pousse en nous. Ce silence de tombeau l’incite à la prière comme un appel à la lumière de la Résurrection. Peu à peu, la sérénité se fait chemin en la poétesse qui commence à voir la beauté/ dans tout ce qui (l’)accueille et féconde les terres stériles de la solitude des fleurs de la parole poétique. La langue de Sonia Elvireanu, toute de délicatesse, de touches infimes tel un flocon/dans la chute des neiges ou l’effleurement des papillons/ sur les eaux de l’oubli, atteint les tréfonds du silence telle la perle/souffle de psaume. Le silence alors parle, articule la lumière, la beauté, l’attente, la solitude et la soif de l’Amour car le mot a pris corps, il est incarné, il est arc-en-ciel. Le psaume de la lumière ” La lumière se feutre en moi Comme la neige de la fleur de pommier, Y descend en flots diaphanes De soies effleurées par le vent, Doux scintillements, Vacillement lent sur les pierres, Aux tréfonds le silence telle la perle, Souffle de psaume. “ Sonia Elvireanu, Ensoleillements au coeur du silence, édition bilingue français/italien, collection Zaffiro Poesia, Ed. Giuliano Ladolfi, 2022 http://www.ladolfieditore.it

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