Béatrice Pardossi Sarno, « la lecture en partage » Béatrice Pardossi Sarno a fondé avec son amie Marie Michaux, la plateforme « Tout avec presque rien » sur laquelle elles créent et diffusent des podcasts consacrés à la littérature : des « Voyages littéraires » autour des livres et leurs auteurs, des lectures de « contes de fées » et des interviews « Aux marges de la littérature ». Béatrice prête sa voix. C’est elle qui compose et enregistre chaque émission – lectures, commentaires et musiques. Marie illustre les émissions, mixe le résultat final et s’occupe de la mise en ligne. Elles sont toutes les deux animées par un même désir de partage : transmettre leur enthousiasme et donner à leurs auditeurs l’envie de lire à leur tour. C’est de cette expérience dont témoigne aujourd’hui Béatrice. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 18 février 2022 La découverte des livres Le plaisir de lire est venu tardivement à Béatrice. Mais il est venu avec surabondance et dans le rire. C’est un livre, puis tant d’autres livres, qui lui ont ouvert des chemins où elle se lance avec passion. Mon moteur, c’est le partage : relever ce qui est beau, ce qui vibre, ce qui est vivant, et s’en émouvoir avec d’autres. C’est redoubler le plaisir ! La lecture a été une révélation tardive. J’avais autour de 35 ans quand j’ai vraiment aimé lire la première fois. Un jour, sur un conseil d’une amie, j’ai lu Marguerite Duras, non pas le livre dont elle m’avait parlé, mais Le marin de Gibraltar. La chaleur écrasante du mois d’août à Florence, l’état de torpeur dans lequel le héros est plongé au tout début du livre, je connaissais cela pour l’avoir vécu durant les étés de ma jeunesse, ma famille étant originaire de là. Je trouvais remarquable que cela puisse être aussi bien écrit. Puis, lorsque le héros se retrouve dans un musée, en extase devant une toile, un détail a déclenché en moi un tel fou rire que je n’arrivais pas à me calmer, même en relisant le passage. J’ai pris conscience tout à coup du pouvoir des mots et de leur effet physique. Comme je suis entière, depuis j’ai lu tous les Duras que j’ai trouvés. J’ai été subjuguée par son écriture, mais surtout par ses compositions. Par exemple, pour écrire Le Ravissement de Lol V. Stein, Duras part du point où naît ce ravissement. Le reste du livre, ce sont des ondes. Elle construit tout à partir de ce point-là. La littérature a changé ma vie. Elle est devenue une compagne quotidienne. Maintenant avec les podcasts, j’imagine aller chercher les personnes qui, comme je l’ai été, n’y sont pas encore sensibles. Avant d’aimer lire, j’ai toujours écrit des textes brefs. Des jeux avec les mots et les sons. J’écrivais aussi pour les enfants des histoires que j’illustrais car j’aime dessiner. J’ai pris une année sabbatique pour donner une forme à tout cela. Le matin, j’accompagnais mes enfants à l’école puis je partais marcher pendant des heures au cours desquelles je prenais des notes. En rentrant, je faisais ce que j’appelais des « gammes » parce que je suis musicienne : je jouais avec un mot, ses sonorités et la forme des lettres qui le composent. Quand je marchais dans Paris, par exemple, je faisais des gammes à partir des noms de stations de métro dont certains sont très énigmatiques. J’ai créé le blog « Ceci est une boîte à jeux ». Après les gammes, je faisais des « morceaux », de courts textes ou des nouvelles que je travaillais. Je les groupais dans des pêle-mêle que j’éditais, chaque fin d’année, à petit tirage artisanal, numéroté, sous le nom d’édition « Tout avec presque rien ». J’ai édité sept pêle-mêle en tout. Le premier livre que j’ai publié chez un éditeur extérieur s’intitule « Madame Betty ». Ce sont des chroniques, des textes humoristiques inspirés par la concierge de mon immeuble à Paris. La semaine de sortie du livre, l’éditeur m’a proposé de présenter mon travail d’écrivain et m’a donné un créneau de quelques minutes chaque jour pendant une semaine sur sa webradio. Grâce à mon frère musicien qui avait un studio d’enregistrement, j’ai inventé un format de lecture accompagné de musique. J’ai compris que mettre en valeur les mots passait aussi par les sons. À la fin de la semaine, l’éditeur m’a offert de faire une émission tous les mercredis soirs, pour parler des livres que j’avais lus et aimés. Ainsi est née l’aventure des podcasts littéraires. Le podcast : une lecture subjective et créatrice. Depuis Duras, chaque fois que je lis un livre j’écris des notes de lecture. Elles sont subjectives. C’est comme si je dialoguais avec le livre. Je note ce qui me surprend et m’émeut. Parfois, je m’indigne contre l’auteur, sur tel ou tel passage. Je repère avec précision les procédés d’écriture et comment ils déclenchent des effets. Je recopie les extraits qui m’ont touchée. J’aime beaucoup recopier des textes que j’aime. C’est un peu comme reproduire une peinture, on se fond en quelque sorte dans la peau de l’auteur. Ces annotations sont le squelette de mon podcast. J’y ajoute des recherches sur le contexte et l’auteur. Le but, c’est d’essayer de cerner son univers. Le premier livre que j’ai choisi est celui de Romain Gary, La vie devant soi. J’ai eu aussi parfois la chance de travailler étroitement avec certains auteurs comme Caroline Rocca et Jean-Michel Neri. L’année dernière, j’ai été sollicitée par le festival de la Francophonie, organisé par l’Ecole française de New York. J’y ai participé de façon virtuelle. Dans la liste d’auteurs qu’ils m’ont proposés, j’ai choisi Alexandre Feraga et son livre, Après la mer. Ça a été un bonheur car il m’a raconté les circonstances d’écriture de son roman et des anecdotes que je n’aurais jamais pu connaître. Du coup, le podcast s’est construit en plusieurs couches : ce que j’ai lu et relevé, ce que l’auteur m’a appris et les musiques qu’il a choisies. Comme il est amateur de jazz, j’ai découvert de très beaux titres grâce à lui. Parce que les 20 minutes du podcast ne permettent