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Val Britton, « Deluge », 2014 (Etats-Unis)

Val Britton, « Deluge », 2014 (Etats-Unis) Val Britton, Deluge, 2014, oeuvre installée dans l’exposition « Passage », Gallery Wendi Norris, San Francisco, CA. installation spécifique sur le site de papiers découpés à la main et au laser, encre et fil « Marcher autour, dessous, dedans, sentir son corps par rapport à cette quantité de matière. En travaillant avec ces feuilles de papier délicates, en les froissant et en les tordant, j’ai senti que cette fragilité de la matière se rattachait émotionnellement à ce que j’essaie de transmettre dans ces œuvres, un sentiment de ténuité, de tension où l’on ne sait pas si les formes sont en train de se construire ou d’exploser. » (Val Britton) https://valbritton.com/detail/deluge/in-set/featured voir aussi : http://artpulsemagazine.com/the-psychogeography-of-val-britton

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Atiq Rahimi, Les mille maisons du rêve et de la terreur (Afghanistan)

Atiq Rahimi, Les mille maisons du rêve et de la terreur (Afghanistan) « La mère de Yahya est revenue, pour dire « dormez bien » et me laisser seul, me livrer à mon ombre tremblante hantée par ses deux doigts ; ces doigts qui, dans les moments les plus sombres, viennent cueillir mon angoisse et l’emportent avec la mèche de cheveux autour de son oreille. Je me demande quel mystère peut bien receler ce geste qui aimante ainsi mon regard, me coupe le souffle et parvient à chasser mes doutes et mon anxiété ? Ce geste donne à ses mains une douceur particulière, ou plutôt vient révéler leur douceur. Quand la mèche de cheveux voile la moitié de son visage, son oeil orphelin est rempli d’angoisse ; il me rend mal à l’aise. Mais dès que ses deux doigts balayent la mèche de cheveux en dévoilant son regard, il n’y a plus de trace d’angoisse. » 23 mars 2022 : parce que le sens tient à des gestes si ténus qu’il faut s’arrêter pour les percevoir Atiq Rahimi, Les mille maisons du rêve et de la terreur, traduit du persan (Afghanistan) par Sabrina Nouri, P.O.L., 2002

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Claire D., « Les livres s’augmentent de leurs lecteurs » (France)

Claire D., « Les livres s’augmentent de leurs lecteurs » Les livres ont toujours accompagné Claire. Ils lui ouvrent des portes multiples sur des territoires inattendus, parfois oniriques et d’autrefois très ancrés dans les questions contemporaines. Les deux territoires se recouvrent et interrogent un même rapport au monde. Les livres se partagent, cherchent leurs lecteurs et prennent vie grâce aux lectures. Qu’ils soient les contes de l’enfance, les pièces de théâtre découvertes et jouées pendant la jeunesse et maintenant le vaste domaine de la bibliothèque où elle travaille, Claire témoigne d’une lecture attentive, généreuse et créative, « comme aller vers l’autre ». Une histoire d’enfance : « j’étais dans le conte » Plus que le goût de la lecture, c’est d’abord celui des histoires qui a marqué l’enfance de Claire. Elle se souvient des premiers livres, de ceux qui ont fondé son imaginaire, des personnages des contes et de la nature fantastique qui cohabitent en elle avec le paysage du Sud au milieu duquel elle vivait. Enfant, je n’étais pas une grosse lectrice, mais j’étais dans une famille où il y avait des livres. Ce n’était pas un objet étrange ni qui faisait peur. Le premier livre dont je me souviens c’est Oui oui. J’étais petite et je goûtais mon indépendance à lire toute seule. J’avais du plaisir à lire les livres de la bibliothèque rose, la comtesse de Ségur et le Club des cinq, mais je n’avais pas d’émerveillement. Par contre, j’ai eu quelques albums que j’ai lus et relus et tout particulièrement le livre de Tom Pouce, avec des photos et des personnages en tissus qu’on a gardé jusqu’à ce qu’il tombe en ruine. Adulte, j’allais régulièrement y jeter un regard nostalgique. Une histoire qui a compté pour moi est celle de La forêt des lilas et de Blondine, Bonne-Biche et Beau-Minon. J’étais complètement fascinée par cette forêt qui se referme derrière la petite fille. Il se trouve qu’on habitait à la campagne dans le sud. Nous étions les dernières de sept enfants et mes parents se reposaient un peu sur les grands pour nous surveiller. Derrière la maison il y avait un espace de garrigue. Un jour, quand nous avons eu 5 ou 6 ans, ma sœur et moi nous nous y sommes perdues. Je me rappelle être sûre d’être passée par un endroit dans lequel pourtant on ne pouvait pas entrer car la végétation était trop serrée. Comme dans l’histoire, la forêt s’était refermée derrière nous. Nous y sommes restées de longues heures. J’étais dans le conte. Je n’avais pas peur. J’aimais le côté magique ! « Le jardin où Blondine se promenait dans sa petite voiture traînée par des autruches, avec Gourmandinet pour cocher, était séparé par un grillage d’une magnifique et immense forêt, qu’on appelait la forêt des Lilas, parce que toute l’année elle était pleine de lilas toujours en fleur. Personne n’allait dans cette forêt ; on savait qu’elle était enchantée et que, lorsqu’on y entrait une fois, on n’en pouvait plus jamais sortir. » Comtesse de Ségur, Histoire de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon, Nouveaux contes de fée, Hachette, 1896 Lorsque j’ai eu des enfants moi-même, j’étais déjà bibliothécaire. Ils ont donc eu une profusion de livres à leur disposition. Quand on commençait une histoire, mon fils aîné pouvait rester des heures sans bouger. Je leur lisais Tom Pouce avec le vieux livre qui partait en ruine. J’aime voir le regard des enfants quand ils écoutent une histoire ou quand ils dessinent, car ils se construisent comme cela. Ma mère est poète et écrit des chansons. Je l’ai toujours connue avec des lunettes qui lui font d’énormes yeux parce qu’elle est presque aveugle. Elle n’y voyait pas assez pour vraiment lire, mais mon père lui faisait la lecture à voix haute. Avec le temps, avec une autre de mes sœurs on s’est mise à lui enregistrer sur des cassettes des livres qu’elle achetait. On connaissait la poésie de ma mère à travers ses chansons. Elle en a écrit énormément et elle avait une jolie voix. Elle a fait des chansons pour chacun de nous, elle parlait de nature, d’amour et de mon père. Être comédienne : « Grâce au théâtre, je regarde la vie autrement » Claire est d’abord devenue comédienne: une façon d’incarner le texte et l’urgence de dire. Mon amour du théâtre a commencé au collège. J’avais la grande chance d’habiter non loin d’Avignon et d’avoir le festival à portée de mains. Mes parents avaient les moyens et la culture de nous en faire profiter. J’ai des souvenirs émerveillés de spectacles dans la cour d’Honneur. Ils ont changé ma vie. Je me rappelle d’avoir vu la Farce de Maître Pathelin quand je n’avais pas dix ans. J’ai tellement adoré ce spectacle que j’y pensais sans arrêt. Alors, quand je suis arrivée au collège, je l’ai monté avec des copains et copines. Moi qui étais une élève introvertie, discrète et timide, je jouais Maître Pathelin. En faisant rire tout le monde, je prenais une revanche. Mon second souvenir important a été de voir Ariane Mnouchkine dans la cour du Palais des Papes. Fascination complète. Puis mon père nous a emmenés voir son film sur Molière. J’en suis sortie en disant que je ferai du théâtre. Je suis entrée dans des troupes de théâtre où j’ai découvert Shakespeare, Beckett… J’ai fait une session professionnalisante au conservatoire d’Avignon, puis je suis devenue comédienne. Avec d’autres j’ai créé une petite compagnie. Ce n’était pas facile, mais j’y ai pris beaucoup plaisir. À chaque fois que j’ai travaillé sur un spectacle, j’ai fait de belles rencontres. La rencontre avec une œuvre qui se transforme et s’augmente grâce aux corps, aux voix et aux décors. Car la voix révèle la potentialité d’un texte. Je pense aux exigences de Jean Genêt que j’aime beaucoup et qui ajoutait dans les éditions de ses textes des commentaires sur la façon de monter les pièces. Genêt parle de choses très lourdes et subversives avec une écriture brillante et solaire. Il adorait l’interprétation des Paravents par Maria Casarès, monté

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Béatrice Pardossi Sarno, « la lecture en partage » (France)

Béatrice Pardossi Sarno, « la lecture en partage » Béatrice Pardossi Sarno a fondé avec son amie Marie Michaux, la plateforme « Tout avec presque rien » sur laquelle elles créent et diffusent des podcasts consacrés à la littérature : des « Voyages littéraires » autour des livres et leurs auteurs, des lectures de « contes de fées » et des interviews « Aux marges de la littérature ». Béatrice prête sa voix. C’est elle qui compose et enregistre chaque émission – lectures, commentaires et musiques. Marie illustre les émissions, mixe le résultat final et s’occupe de la mise en ligne. Elles sont toutes les deux animées par un même désir de partage : transmettre leur enthousiasme et donner à leurs auditeurs l’envie de lire à leur tour. C’est de cette expérience dont témoigne aujourd’hui Béatrice. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 18 février 2022 La découverte des livres Le plaisir de lire est venu tardivement à Béatrice. Mais il est venu avec surabondance et dans le rire. C’est un livre, puis tant d’autres livres, qui lui ont ouvert des chemins où elle se lance avec passion. Mon moteur, c’est le partage : relever ce qui est beau, ce qui vibre, ce qui est vivant, et s’en émouvoir avec d’autres. C’est redoubler le plaisir ! La lecture a été une révélation tardive. J’avais autour de 35 ans quand j’ai vraiment aimé lire la première fois. Un jour, sur un conseil d’une amie, j’ai lu Marguerite Duras, non pas le livre dont elle m’avait parlé, mais Le marin de Gibraltar. La chaleur écrasante du mois d’août à Florence, l’état de torpeur dans lequel le héros est plongé au tout début du livre, je connaissais cela pour l’avoir vécu durant les étés de ma jeunesse, ma famille étant originaire de là. Je trouvais remarquable que cela puisse être aussi bien écrit. Puis, lorsque le héros se retrouve dans un musée, en extase devant une toile, un détail a déclenché en moi un tel fou rire que je n’arrivais pas à me calmer, même en relisant le passage. J’ai pris conscience tout à coup du pouvoir des mots et de leur effet physique. Comme je suis entière, depuis j’ai lu tous les Duras que j’ai trouvés. J’ai été subjuguée par son écriture, mais surtout par ses compositions. Par exemple, pour écrire Le Ravissement de Lol V. Stein, Duras part du point où naît ce ravissement. Le reste du livre, ce sont des ondes. Elle construit tout à partir de ce point-là. La littérature a changé ma vie. Elle est devenue une compagne quotidienne. Maintenant avec les podcasts, j’imagine aller chercher les personnes qui, comme je l’ai été, n’y sont pas encore sensibles. Avant d’aimer lire, j’ai toujours écrit des textes brefs. Des jeux avec les mots et les sons. J’écrivais aussi pour les enfants des histoires que j’illustrais car j’aime dessiner. J’ai pris une année sabbatique pour donner une forme à tout cela. Le matin, j’accompagnais mes enfants à l’école puis je partais marcher pendant des heures au cours desquelles je prenais des notes. En rentrant, je faisais ce que j’appelais des « gammes » parce que je suis musicienne : je jouais avec un mot, ses sonorités et la forme des lettres qui le composent. Quand je marchais dans Paris, par exemple, je faisais des gammes à partir des noms de stations de métro dont certains sont très énigmatiques. J’ai créé le blog « Ceci est une boîte à jeux ». Après les gammes, je faisais des « morceaux », de courts textes ou des nouvelles que je travaillais. Je les groupais dans des pêle-mêle que j’éditais, chaque fin d’année, à petit tirage artisanal, numéroté, sous le nom d’édition « Tout avec presque rien ». J’ai édité sept pêle-mêle en tout. Le premier livre que j’ai publié chez un éditeur extérieur s’intitule « Madame Betty ». Ce sont des chroniques, des textes humoristiques inspirés par la concierge de mon immeuble à Paris. La semaine de sortie du livre, l’éditeur m’a proposé de présenter mon travail d’écrivain et m’a donné un créneau de quelques minutes chaque jour pendant une semaine sur sa webradio. Grâce à mon frère musicien qui avait un studio d’enregistrement, j’ai inventé un format de lecture accompagné de musique. J’ai compris que mettre en valeur les mots passait aussi par les sons. À la fin de la semaine, l’éditeur m’a offert de faire une émission tous les mercredis soirs, pour parler des livres que j’avais lus et aimés. Ainsi est née l’aventure des podcasts littéraires. Le podcast : une lecture subjective et créatrice. Depuis Duras, chaque fois que je lis un livre j’écris des notes de lecture. Elles sont subjectives. C’est comme si je dialoguais avec le livre. Je note ce qui me surprend et m’émeut. Parfois, je m’indigne contre l’auteur, sur tel ou tel passage. Je repère avec précision les procédés d’écriture et comment ils déclenchent des effets. Je recopie les extraits qui m’ont touchée. J’aime beaucoup recopier des textes que j’aime. C’est un peu comme reproduire une peinture, on se fond en quelque sorte dans la peau de l’auteur. Ces annotations sont le squelette de mon podcast. J’y ajoute des recherches sur le contexte et l’auteur. Le but, c’est d’essayer de cerner son univers. Le premier livre que j’ai choisi est celui de Romain Gary, La vie devant soi. J’ai eu aussi parfois la chance de travailler étroitement avec certains auteurs comme Caroline Rocca et Jean-Michel Neri. L’année dernière, j’ai été sollicitée par le festival de la Francophonie, organisé par l’Ecole française de New York. J’y ai participé de façon virtuelle. Dans la liste d’auteurs qu’ils m’ont proposés, j’ai choisi Alexandre Feraga et son livre, Après la mer. Ça a été un bonheur car il m’a raconté les circonstances d’écriture de son roman et des anecdotes que je n’aurais jamais pu connaître. Du coup, le podcast s’est construit en plusieurs couches : ce que j’ai lu et relevé, ce que l’auteur m’a appris et les musiques qu’il a choisies. Comme il est amateur de jazz, j’ai découvert de très beaux titres grâce à lui. Parce que les 20 minutes du podcast ne permettent

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Lambert Savigneux, De si loin un sillage, 2021 (France)

Lambert Savigneux, De si loin un sillage © Brigid Watson « Un peu d’air Août ! Mes vents défrisent la chaleur Ara ! Îles de plumes respirent les feuilles Impalpable criard ! Cette gorge répète à foison ce qui tord dans les lianes les feuilles agitent l’esprit le vent des bois Le frétillement de l’œil Ce soupçon d’amour Vif gueulard ! Flèche creusée dans les veines du bois la plume sorcière Silencieusement rieur Ara s’envole » (Ara s’envole, p. 65) Il est des textes qui naissent dans l’élan. Tels sont ceux de Lambert Savigneux, poète et peintre, dans De si loin un sillage. Le poète-peintre s’est mis en route à la recherche d’un territoire où être lui-même. Afrique ou Amérique du sud, où qu’il aille, il le trouve et le perd, puis recommence car il découvre partout des traces qui indiquent des chemins ; car partout il installe de nouveaux repères de son passage. Le recueil en relève les signes. Lambert Savigneux les traduit lui-même en anglais. Ils forment une carte à la fois précise, sonore et fortement imagée, mais aussi dévorée d’éclats de lumière et d’ombres. Pour orner cette carte, une autre artiste, la peintre américaine Brigid Watson saisit sous son pinceau les marques échevelées des courants, des vents, des ensoleillements et des tempêtes d’un voyage tout intérieur. La langue poétique creuse des effractions dans le cours ordinaire des jours. Effractions bienheureuses. L’écriture devient éruptive. Lambert Savigneux se guide au « frétillement de l’oeil » et aux soulèvements de l’air qu’il respire. De ses mots, il ouvre sur la page des espaces où il atteint une plénitude. Lambert Savigneux est aussi un poète-musicien qui cherche sa parole au creux chaud où elle murmure, résonne et se laisse attraper : « Quoi ? Écoute » Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli Aller au monde © Brigid Watson « Je tiens les sons des commencements Cette lettre en forme de nœud Ce murmure, cette eau solaire Les calmes irruptions des foudres Comme la jointure des ivresses Dans la résorption de l’ombre au pli du plein soleil une rayure tranche sur le rouge Ce son pourrait être n’importe quoi Emplit tout le mouvement Baise le son parfait S’étend se tend comme une eau ruisselle Au bleu des deux miroirs celui de l’air et de la peau Nu, ce pourrait être par quoi commence Cet élancement d’aile envolé » (Orion au bois lacté, p. 11) Qui écrit et qui peint ? Sans doute « l’enfant (qui) s’éveille » ? Car la mémoire est neuve. Il ne peut être question dans ce recueil de se remémorer le passé. Au contraire, le poète écrit pour que quelque chose passe, que quelque chose se mette en route et qu’enfin l’homme advienne. Il écrit pour naître au monde. Avec une espérance toujours renouvelée. Une intensité attendue. La langue tremble de désir. « Est-ce l’âme ce trou de lumière / Les traces vives des incarnas » ? Si elle se laisse porter, si elle hésite et se saisit tout à coup d’une évidence, c’est que le point de départ de l’écriture est le corps qui vient à la vie. Le poète chante le premier cri, ces « sons des commencements » ; la première lumière, cette « résorption de l’ombre au pli du plein soleil » ; la première sensation du corps « nu » « par quoi commence ». Il vient et revient au monde. Le désir ne s’en épuise pas. Il s’imprime aussi profondément dans la palette et la gestuelle de Brigid Watson. Il guide chez le poète le travail obstiné d’élargissement et de lâcher-prise – « Et faut-il laisser les mots transpirer / Les laisser dénouer ? » – où il se déprend de la conscience pour mieux s’incarner dans la matière du langage. Alors se mettent en place des réseaux d’images qui résonnent entre elles et tiennent ensemble les diverses parties du recueil : des paysages maritimes et insulaires, des oiseaux, le corps et sa sensualité, une perception organique du monde … Elles laissent dans l’esprit du lecteur des visions en partage. Qui demeurent, fortement charpentées d’ombres et de lumières. Qui nous offrent ainsi à pénétrer à notre tour dans ces paysages et les installent en nous. Terre ! « Moi dans le vent / le monde à vif ». Lambert Savigneux cherche l’aventure, ses luttes, ses naufrages et ses sauvetages. De si loin un sillage est un journal de bord ou bien la lettre glissée dans la bouteille lancée à la mer par un voyageur qui a perdu sa route et se découvre pris au hasard des « errements des courants » et de « l’emportement de l’avant ». Il faut à l’écriture l’énergie de la survie. Faire face, telle est l’urgence. Le corps accepte le naufrage dans l’espérance du salut. Le voyage est maritime et la carte un portulan où le poète dessine les contours des rives inconnues auxquelles il aspire. Il en appelle à l’eau : « Trempe / plonge / le fluide / au flot / du courant ». Pour être emporté plus loin encore vers des espaces inconnus, il convoque la tempête, les « irruptions des foudres », les « colères des lumières » et « les rugissements des fonds », dont la langue sonore forme un radeau pour ses mots. Il se fait naufragé volontaire. Voilà qu’au loin se dessine l’île. Il en atteint les rives. Terre ! « Îles de plume », « îles embarcadères » ! Pour le corps sauvé, le monde nouveau s’offre en mosaïque. Le mélange est mouvant. Mais l’œil sait voir et les mots rassemblent. L’intensité tient à l’accord qui s’établit entre ce qui est suggéré et les éléments que le poète remarque et accumule, des objets échoués soumis à l’abandon et au travail du temps. Aucun sentiment d’exotisme. Les rives ne recueillent que les fruits des naufrages : « Le ressac ramène / de l’île / à la rive / avare / le jeu de dupe / où lui / trouve / ce que l’autre perd ». Ceux qui demeurent là vivent dans l’espérance du départ. © Brigid Watson « La mer apporte autre chose des bouts de bois blanchis tortueux et tordus les membres des par-dessus bord reviennent en fantôme pâles entortillés qui dératent des cargos Pans de rouille filoches de bleu sale des fers tordus des tôles rongées rouge-morsures qui

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Sophie Loizeau, « Le Chant instinctif » (France)

Sophie Loizeau, Le Chant instinctif « fin mars fait la lumière à la crème la cerisaie idéalement blanche et onctueuse sa chair ambiante j’y demeure abrutie de blanc – ma respiration tient à cela qui me renouvelle quelque soit la saison être dans l’étroitesse du miracle » 11 février 2022 : sous la lenteur et l’hiver, l’impatience. Sophie Loizeau, La Nue-bête, Paris, Amandier Poésie, 2013, coll. Accents graves Accents aigus https://sophieloizeau.wordpress.com

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« La Nuit finie », poèmes d’Anne-Marie Zucchelli et peintures de Lambert Savigneux, Editions du Petit Véhicule, 2022

La Nuit finie, poèmes d’Anne-Marie Zucchelli, peintures de Lambert Savigneux, 2022 Entretien entre Anne-Marie Zucchelli et Lambert Savigneux, novembre 2021 Rencontre et complémentarité AMZ : Le recueil La Nuit finie est publié dans la collection la Galerie de l’Or de Temps, qui a la particularité de mettre en regard la poésie et l’art visuel. Pour accompagner mes textes, j’ai tout de suite pensé au travail de peintre du poète Lambert Savigneux. Contrastes puissants, matérialité, énergie du geste et rythme caractérisent ses encres et aquarelles. Elles sont tout à la fois aquatiques et terriennes, et entrent en résonance avec mon écriture. Depuis l’enfance, peintures, dessins et gravures sont pour moi un langage coutumier. Des images aux mots, je cherche un chemin qui se dessine dans leur entrelacement. LS : Voir apporte quelque chose d’autre à la poésie, peut être une proximité du monde. Ma rencontre avec Anne-Marie a été riche car chez elle aussi la peinture et la poésie se fécondent, semblent l’accompagner dans sa démarche et apportent une complémentarité d’approches et de compréhension. Sa façon d’écrire aussi, charnelle, visuelle, tactile, musicale et vivante, osant des percées comme des invitations à la suivre et sur laquelle j’avais envie de peindre. Pour moi, la pratique de la peinture est venue me sauver d’une incapacité à écrire comme je le voulais. Puis l’écriture est venue jouer son rôle d’explorateur pour prolonger ce que je ne pouvais qu’apercevoir et pour permettre un creusement. Une libération. C’est pourquoi j’aime quand les deux arts sont impliqués comme un biface. La construction d’une forme AMZ : Dans l’écriture, j’avance à tâtons. En accumulant et en retirant. Quelquefois la forme définitive du texte apparaît rapidement, mais c’est rare et quand cela arrive c’est précieux. J’accumule beaucoup puis je soustrais jusqu’à faire surgir quelque chose qui ressemble à une pépite. C’est un travail d’extraction. L’écriture se vit charnellement. Elle se décrypte à travers le labyrinthe du corps. J’expérimente souvent le fait que mon corps sait déjà ce que ma pensée met plus de temps à découvrir. Elle passe souvent aveuglément devant ce qui était pourtant sous ses yeux. Pour moi, il s’agit de voir. En écrivant. C’est pourquoi je trouve très précieux dans ce livre d’offrir la dimension visuelle en même temps que la parole. Les images réalisées par Lambert donnent une autre forme à une autre expérience de l’intime. Les formes que Lambert peint sont parfois statiques, lourdes de présent, et d’autres fois elles semblent aléatoires et ouvertes à des cheminements. L’ensemble forme une série, qui est une forme d’accumulation. À les regarder de près, comme si moi aussi je tenais le pinceau, j’y découvre une matérialité riche de paysages qui se renouvellent. La technique qu’il emploie, mélange de matière et d’eau, renvoie ses formes à des images à la fois aquatiques et terriennes. Elles parlent d’obscurité, de caverne, d’enfermement et de feu tout autant que de ciels. Dans son poème L’humain veille, il écrit : « Suspens du toucher les deux sens en contact », et plus loin : «  Le rythme plus fort que le sens », « c’est là que le son-couleur s’inscrit à l’espace, / dans cet outre-passement de l’injonction / là où le trait laisse aller les pleurs du surgissement / malgré son absence / un petit rayonnement entre les lignes / à saturation / cachent à force de hurler, / ni formes implicites / mais glissements. » Écrire et peindre semblent trouver leurs formes à partir d’une même énergie. LS : Je suis totalement en résonance avec la façon dont Anne-Marie cherche la forme. Je ne suis pas capable de visualiser par avance ce qui demande à trouver sa forme et qui vit de façon un peu souterraine et aveugle, comme un magma de lave. Il faut toujours plonger, se faire confiance et laisser advenir, en surgissement ou en coulure douce, se surprendre et voir. C’est entièrement le corps et mon intériorité qui font que je vais pouvoir le rendre visible. Un peu comme pour le poème. Mais pour qu’il vienne, j’ai le sentiment de devoir toujours inventer. Laisser la main faire. C’est comme cela que j’ai procédé pour La Nuit finie. Je me suis immergé dans la matière du texte sans forcément comprendre mais en tirant des fils, mots, idées, images, tons et sons. En terme de forme, la série n’est pas une accumulation mais plutôt une succession d’approches et d’attaques, un approfondissement rendu encore plus nécessaire par ma manière de peindre, très ramassée en un geste retenu, sans remord, court et rapide. Le pressentiment de là où m’emmène le texte poétique agit dans l’instant comme un éclat de ce que je peux entrevoir sans forcément tenter de l’épuiser ni d’en donner une forme précise et totale. Ma démarche est peut être allusive et orale car elle fait appel aux sens et à leur source lointaine qui se met à couler. Je fuis le mental et le vouloir-faire. Je me relie à un flux de matière et de sens qui se dessine, à un moment donné. Je pense que ma démarche poétique est semblable. Le recul qui fixe ainsi que les contours me sont étrangers. Je ne reviens sur le texte que pour mieux le désentraver. Dans cette série, j’ai senti qu’il fallait laisser parler la matière pour répondre à un texte qui se déroule avec ses creux et ses pleins, ses mots qui disent et ses mots qui retirent, ses couleurs et ses noirs, ses espaces trop pleins et ses vides qui parfois restent inexplorés. il passe et repasse en ses traces mais ne parvient pas à tant de rêves nulle part n’étant accomplie il lui faut le blanc son évidence tant sa lumière comble – dru plus que la neige ne cesse de donner mais lui n’est plus ou paraît il s’efface d’espaces en espaces immaculé Des thématiques : une aventure AMZ : Même si j’avais l’idée de ce sur quoi je voulais écrire, les diverses thématiques que j’ai abordées ne se sont pas données si directement. Mon recueil est un livre de deuil et

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Claude Ber, « Fenêtres » (France)

Claude Ber, « Fenêtres » « Oh ! Ma fenêtre intérieure donnant sur un noir d’âme tel une encre illisible dans une existence passée comme une ligne hors de la page Il y avait un puits, que mon nom cerne d’une auréole car j’ai moins choisi mon nom qu’il ne m’a choisie et personne ne prend la parole qui, toujours, est donnée, prenant qui la reçoit en ce même puits creusé par l’obstination de la vérité Oh ! Mes persiennes doubles, volets entrouverts sur la nuit blanche des fleurs d’amandier je sais que j’ai vieilli et je n’ai plus le temps de croire possible ce que j’ai guetté dans l’impatience ni ce que j’ai laissé sombrer dans l’impossible aveuglement Pourtant, ce fil de vie usé jusqu’à la transparence, je le passe à présent dans le chas d’une aiguille si fine que mes yeux la devinent plus qu’ils ne la voient et c’est un puits immense que cette fente imperceptible dans un métal moins épais qu’un cheveu et l’aiguille elle-même une verticale sans limite A coté de l’amandier poussait un néflier avec ses fruits à maigre pitance creusés de gros noyaux et un plaqueminier et un mandarinier et le mimosa, l’arbre joyau casqué d’aigrettes pâles et de touffes d’or doux des arbres, tant d’arbres comme une destinée vigilante Oh ! Mes fenêtres closes définitivement je me suis tant penchée pour voir venir ceux que j’aimais et toujours ils sont venus et moi de même espérée Désormais, sous l’ombre du figuier, le dernier survivant aux racines tenaces avec ses branches écailleuses d’orvet ou de lézard et ses fruits sexuels inattendus chez ce sec à peau revêche, mon nom appelé, épelé syllabe après syllabe, lettre à lettre, rassemble la braise consumée de mon histoire la mienne ma simple vie commune Trois maisons jaunes, une murette de pierre, une pelouse rase dans la lumière rousse d’une fin d’après-midi, où il passe le temps comme il vient, avec ces instants de nulle part qui ne prennent pas à la mémoire puis ressurgissent soudain d’on ne sait plus où ni quand… ma vie, comme je vous aimais juste à ces instants-là » Sinon la transparence (extrait) 23 janvier 2021 : car les mots révèlent des étendues bien plus vastes que nous et la poésie nous remet en chemin. Claude Ber, Sinon la transparence, Paris, Editions de l’Amandier, 2008, coll. Accents graves Accents aigus https://www.claude-ber.org

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