Audomaro Hidalgo, Mère saturne
Audomaro Hidalgo, Mère saturne Après une lecture, quand les intentions de l’auteur ont été un peu oubliées, même les plus explicites et nourries de réflexions, demeurent précieusement quelques images rayonnantes, le gonflement des phrases, un rythme, l’épanouissement d’une couleur, cet espace ravi par la sensibilité, posé dans le nid d’une langue. Mon berceau. Il faut simplement laisser faire le temps. Devenir soi-même filtre pour le temps. Le laisser se déposer à travers soi, dans son incarnation passagère, les mots. Ainsi, j’ai lu Mère saturne du poète mexicain Audomaro Hidalgo, puis dans la foulée, les autres recueils qu’il a publiés aux éditions Phloëme les deux années précédentes et traduits si sensiblement en français par Gaëtane Muller Vasseur, Incision et Les desseins de l’intempérie. Lecture à rebours comme j’aime le faire – prendre un livre par la fin et remonter le courant – qui s’est révélée être celle du temps de l’écriture. « Le temps est le faiseur » And ne forthtedon na … Le temps pousse comme poussent les petites fleurs colorées autour de la tombe. Le temps n’est pas le Rhône qui coule toujours plus loin, vert et monotone, sans pause. Le temps est la fleur que nous aimons et dont nous souffrons, la fleur que nous ne pouvons pas couper. Le temps naît, il émerge. Il ne vient pas du passé, c’est une vague qui surgit et se fond dans le feu de l’instant : le fleuve nocturne des heures s’écoule de sa source, qui l’éternel demain* … (*Miguel de Unamuno, Rosaire de sonnets) Le temps, titre et sujet du recueil. Il est le temps suspendu à la profondeur des souvenirs – grand-père, voix, forêt, oiseau -. Le temps farouche de Saturne dont le vide est l’angoisse. Tombe et berceau du temps où reposent les êtres aimés disparus et où grandissent ceux qui naissent. Il est aussi le temps de la terre, vieilli sous la forme d’un continent où les accords sont plus lumineux, où le mot feu n’est pas assez ardent, le Mexique et l’Amérique du Sud incarnés par les écrivains, Jorge Luis Borgès, Octavio Paz, Alfonso Reyes… Il est obscur, il s’apprivoise, il enseigne la patience et distribue sa tendresse « comme une douce rafale dans le vent ». Il apprend au poète à méditer les yeux fermés et à accepter de ne jamais savoir comment il va pouvoir s’en saisir par l’écriture. Arcane XVIII … Alors qu’il s’était emparé d’une feuille et d’un crayon pour tenter d’écrire son prénom, je l’ai vu un jour totalement désemparé. Mon grand-père, en revanche, pouvait lire les journaux et la Bible dont j’ai héritée, et qui reste ouverte sur la table de travail de mon appartement minuscule, tandis que je parcours ce pays des rêve dont des fragments me reviennent en mémoire : Comme une seule vague qui est toute la mer* qui naît soudain et avance et grandit et avance et grandit et finit par se briser sur ton visage, pour rassembler ensuite les débris d’un naufrage, les ramasser, les recoller au mieux, en cherchant un retour non par l’ordre mais au chaos naturel, organique, originel. … (*Octavio Paz, « Mutra ») « Errer est le chemin » Dans Mère saturne, Audomaro Hidalgo articule la prose et les vers. De la réflexion et de l’analyse à l’ expression pure d’une sensation, il ouvre largement l’éventail des possibilités poétiques, toute forme stylistique glissant dans cette errance choisie. Car le temps se moque bien de nos compréhensions quand il se retourne comme un gant, nous donnant à connaître sa matière bien vivante de désir et de sang, de mort comme une fête*. (*Citant Borgès, « Cette nuit, Abramowicz, tu m’as dit, sans parole, que nous devons entrer dans la mort comme on entre dans une fête ».) J’aime dans la poésie, sentir se disperser la volonté, tandis qu’à tâtons à l’intérieur d’un texte se précipitent les mots, furtivement les mots. J’aime que le poète reconnaisse combien l’écriture est une langue qui passe de bouche en bouche. Parce qu’on trébuche soi-même, toujours l’inquiétude, l’impuissance, toujours la dernière heure, la dernière fois qu’on a embrassé, serré, bavardé avec ceux qu’on aime, parce qu’on pleure sans le savoir, parce qu’on s’enflamme de joie, n’ayant d’autre garde-corps que ceux qu’on aime … J’aime partager avec le poète ce sentiment que le flot du monde serait inconcevable sans la poésie de Borgès, de Paz ou de Reyes. J’aime aussi à côté des vers mouillés de désir, entrer dans les rêves murmurés par d’autres, jardins, forêt d’où émane une odeur que je froisse à mon tour entre mes doigts. Arcane XVIII La Lune Ecoute l’aboiement du chien, le hurlement tenace du loup dans la pénombre ouverte. Ecoute-les, ils sont ton ombre manifeste, ils te demandent les pages écrites avec courage, pas avec des mots. Fumée sont les objets si tu les touches, si tu regardes à travers le verre igné de la nuit, la lune. Tes poèmes, le rêve où en d’autres temps meurt sans affliction ton père, tes intimes misères, tes pensées, la racine du désir, chaque image atroce qui te hante façonne ton trésor, te laissant parfois vaincu. Ecoute comment palpite l’univers autour de toi, à l’intérieur de toi. Ecoute le profond silence des eaux, le paysage sans lumière de la blessure. Ecoute l’herbe croître dans le bassin vide des morts. « Que les cendres des morts redeviennent feu » Il y a dans cette poésie des lointains où les nuits bleuissent, forêt profonde, gorge d’oiseaux, quiscale, Pierre du Soleil et Feu nouveau. C’est un monde d’opulence, de sang et de parfums qui surgissent. Un monde d’images comme la photographie qui est le point de départ des premiers textes du recueil. Un monde de sensations qui emportent le poète où qu’il vive dans le monde : le grand vent du Havre, « le soleil blanc qui se révèle dans toute sa beauté juste au-dessus de l’église Sainte-Anne et du square Holker où, inlassablement, j’aime lire, écouter le délicat murmure de l’eau, réfléchir à la manière de façonner une pensée sensible. » Fiorito La photographie que nous avons devant
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