nouages

dialogues avec un livre

« En beauté je nais ici où je laisse courir le fleuve sans le vouloir », Mohamed Jaber (Irak)

Katty Verny-Dugelay ou la parole ardente

Isabelle Poncet-Rimaud, « Katty Verny-Dugelay ou la parole ardente » Le 13 janvier 2024, le monde de la poésie a perdu l’une de ses plus ardentes voix, celle de Katty Verny-Dugelay que la maladie a fait taire après une lutte acharnée et digne, à l’image de cette poétesse tendue tout entière vers la lumière de la vie… De la vie à l’art Katty Verny-Dugelay est née en 1930 dans une région où règne le soleil, près de Clermont l’Hérault dans le Languedoc, au hameau de Fouscaïs. Ce nom de lieu, si souvent prononcé par l’auteur, signifie « les fonds baptismaux où naître » et évoque la fontaine, source vive et constante, l’eau qui « adoucit la rugosité » dit-elle dans son recueil Labyrinthe du rêve. A ce lieu originel, sa poésie viendra boire inlassablement… Katty Verny-Dugelay a vécu sa vie d’adulte à Paris, mais son enfance et sa jeunesse, c’est important, se sont déroulées dans ces paysages du Languedoc qui ne cesseront de l’imprégner. La mer, la flore, la faune, les lieux et le climat de la méditerranée imprègnent sa vie et son écriture. « La vie » écrit la poétesse » « tient son scalpel /dans les doigts d’une main ». De fait, la vie lui fera connaître le bonheur, certes, mais ne lui épargnera pas la douleur et le deuil. Mariée au peintre Yves Dugelay, Katty aura trois enfants dont deux disparaîtront avant elle. Courageusement, avec lucidité, elle écrira dans La pointe du souffleur, « les lames de fond sont les seules qui t’apprendront à sécher tes larmes » et obstinément elle se tournera vers « le guet du soleil et de la joie », vers la recherche de la lumière et l’apaisement de l’espérance. De 1984 à 2022 paraîtront onze recueils aux titres délicats : Empreintes, Corolles de l’ombre, Herbe ouverte, par exemple. Son dernier titre, Le chant de l’être clôt le chemin et rend grâce à la vie par ces mots sobres et ciselés dont la poétesse a le secret et qui mettent à nu le cristal de l’être tout brillant de la saveur de vivre. Tous ces recueils en vers libres ou en prose poétique sont des itinéraires intérieurs, des trajets initiatiques où, comme le dit Rilke, « faire de l’art » creuse « le chemin vers soi-même ». Art et vie sont intrinsèquement liés chez Katty Verny-Dugelay. Ces chemins parcourus déshabillent du superflu et révèlent l’essentiel, c’est-à-dire, l’être. Le paysage est celui « dont on se vêt » (Sente buissonnière) et le lieu géographique ou physique d’où l’on part est seulement prétexte pour arriver au lieu intérieur, où se concentre toute la densité de l’être. Le poème se fait alors « médiateur » et « lances de lumière » (Le chant de l’être). Décrypter le réel Cette poésie s’appuie sur le réel, le concret pour mieux donner forme à l’invisible. La poésie de Katty Verny-Dugelay, en s’appuyant sur l’expérience, le vécu, l’observé, révèle la transparence des choses. Son œuvre poétique cherche « l’intime réponse » ( Le chant de l’être) à partir de signes souvent ténus que son âme de poète lui propose de décrypter. La sobriété, la précision de ses mots ouvrent alors l’écorce de l’apparence pour en révéler l’amande cachée. Tout est prétexte à « recueillir l’écho » de ce monde offert, « d’avancer plus loin que (sa) soif et de ressentir « ce lointain proche » (Le chant de l’être) à partager. La poésie de Katty Verny-Dugelay peut donner l’apparence de la légèreté. Mais au fur et à mesure de la lecture se dessine au contraire une gravité intense, celle de l’être en son unicité. Sous la légèreté se dit en réalité la recherche de la transparence, celle qui révèle « l’enfant d’une autre naissance/sorti des eaux pures de la mémoire » (Corolles de l’ombre). Un sentiment prégnant de « nostalgie originelle » baigne tous les recueils de la poétesse. Poésie du bruissement, de l’air, de l’eau, poésie du murmure interprété comme le signe d’autre chose, comme un appel, un pressentiment de l’habité, la poésie de Katty Verny-Dugelay est célébration. Ce qu’il faut entendre chez elle, c’est qu’il y a derrière le paysage, derrière la plante ou l’animal auxquels elle donne langue, « un langage à traduire/jusqu’à l’épuisement/ jusqu’au bouche à bouche des étoiles » (Rhizome) ainsi qu’une prière secrète que « les oraisons du vent/le balancement du pin/ ensemble récitent (en) une litanie d’instants » (Herbe ouverte). « Chercher l’autre côté des choses » est une constante de l’œuvre de Katty Verny-Dugelay. Elle s’interroge : « que me veut chaque chose contemplée » et son regard introduit un retournement où les choses alors s’offrent dans une fécondité inépuisable à nos yeux dessillés. Le voyage intérieur La poésie de Katty Verny-Dugelay est « rhizome », racine multiple et souterraine qui trouve la force de ses mots dans la sève tirée des terres adultes fortifiées par l’enfance et la mémoire. Cette parole dit la précarité de l’être, du désir, du sens mais aussi et surtout la puissance de l’amour. Celui qui ouvre et « mène au-delà des mirages/à la vie et au puits » (Rhizome). Parole de délicatesse, de finesse, elle suggère mais n’impose pas. Poésie toute de concision qui crée un mouvement du regard de l’extérieur vers l’intérieur, aval et amont des choses, flux et reflux de la luxuriance qui cache, mouvement vers l’essentiel qui dénude la parole et se dit en creux de l’image. L’intime et l’infini, deux extrêmes que côtoie la poétesse et entre lesquels elle « invente (son) paysage » (La pointe du souffleur). Cette parole est voyage intérieur « dans l’opalescence de soi » pour « entendre le chant de l’être » (Le chant de l’être) et nous mener à une véritable conversion intime où « la lampe du regard/éclaire du dedans » (Saison du silence) faisant ainsi grandir toutes choses autour de nous et nous offrant le poème comme cet « instant éveillé » qui a « le goût du jour à vivre » et devient parole « mellifère » qui nourrit l’âme et la guide vers « l’aurore à venir » (Le chant de l’être) … Katty Verny-Dugelay était mon amie et sa parole forte et vibrante continuera son chemin en moi, comme une « main ardente » par-delà l’absence. Isabelle Poncet-Rimaud, mars 2024 Patience du jardinier Épilant les pins Son seul soin Trouver l’harmonie (Un souffle de pétales – Éd. Du

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Isabelle Poncet-Rimaud, « Sonia Elvireanu, un regard infusé de lumière »

Isabelle Poncet-Rimaud, « Sonia Elvireanu, un regard infusé de lumière » Lecture par Isabelle Poncet-Rimaud du recueil de Sonia Elvireanu, Le regard… Un lever de soleil /Lo sguardo… Un’ alba, traduction Giuliano Ladolfi, Giuliano Ladolfi Editore, 2023 Prix François-Victor Hugo de la Société des Poètes Français – 2023 « La langue de la lumière » Dans ce nouveau recueil de Sonia Elvireanu, tout est une question de lumière, éclairage du regard que l’on pose sur l’impénétrable, sur l’apparence, le visible, le mystère de l’invisible et de l’absence, sur la beauté du monde en noir ou en couleur et ce regard nous entraîne sur les sables de la quête du poète, celle de l’Amour et de l’art qui font se lever le soleil du sens et de la vie. Ce beau recueil de Sonia Elvireanu ne se laisse pas aborder si facilement. Il s’ouvre et se referme sur le dialogue entre deux regards : la parole d’un peintre qui bute sur le mur des vers du poète, se sent étranger au mystère qu’ils recèlent. Il est difficile de pénétrer le mystère des vers, /impénétrable, je suis comme un mur/ dit-il – Il n’y a pas de mur à ne pouvoir décrypter, lui rétorque le poète : le langage des vers et celui de la couleur sont à même de faire se lever le soleil. Car le mur parle, à sa manière. Il oblige à regarder, à découvrir le travail de la lumière, à le franchir et à regarder le monde derrière lui qui s’y reflète. C’est donc le regard qui fait advenir la lumière. Pinceau du poète, il rejoint celui du peintre qui rompt la nuit profonde de l’être par la touche de couleur qu’il y met comme le poème, lui, s’illumine d’un grain, noyau de vie. Dans l’œil qui regarde s’allument ou s’éteignent /les couleurs de la vie nous dit le poète. Décrypter serait donc accomplir son destin, sa mission sur la terre …Trouver le sens, percer l’impénétrable, entrer dans l’univers de l’autre peut être un défi. Ne pas se sentir compris est une blessure : « Quelqu’un ne comprenant pas mon rêve, a secoué l’échelle, /un éclat de verre pointu ronge la ficelle maintenant, /il déchire petit à petit le rayon de lumière«  » Mais la vie coule dans tout désert et la langue de la lumière finit, elle, par ouvrir le cœur. « Ombre infinie de l’attente » Sonia Elvireanu est un poète qui parle dans une langue peu connue, une langue singulière faite de la lumière du ciel accoudée aux fleurissements du souvenir, de la beauté du monde et de l’amour. Ses poèmes sont accompagnés de présence ou d’absence sans qu’il soit toujours possible de savoir qui est l’ombre de qui. Ombre infinie de l’attente qui ajoute au charme du mystère poétique. Et nous laisse pressentir une présence suggérée, celle d’un Absolu vers qui se dirige sa marche. La poésie toute de délicatesse, de touchers aussi subtils qu’ailes de papillon, de traces légères et de douleurs contenues de Sonia Elvireanu nous entraîne vers les rivages verts/et bleus du silence poème. Ainsi, ce superbe poème : Une feuille d’érable emportée par le vent verse sur mes genoux le sang d’une plaie profonde, Les eaux de l’attristement de la solitude, la pointe d’une flèche, La feuille sanglante d’érable La feuille de l’amour étoilé tourbillonne vers les rivages éloignés Sonia Elvireanu, dans ce recueil-ci, nous emmène sur les sentiers du monde, qu’ils soient ceux des sables du désert, de la Grèce ou du paysage familier. Dans la brume laiteuse ou la lumière crue, ils gardent en eux le noyau du mystère, cet œil du ciel… Les couleurs, les senteurs, la vie en ses broussailles, l’eau, source ou mer, les ciels et les ponts entre deux mondes que sont les arcs-en-ciel, ces éléments qui forment l’univers du poète dans toute son œuvre poétique prennent ici une nouvelle gravité teintée d’attente tantôt offensée tantôt apaisée, symbolisée par l’ombre constamment présente. Malgré toutes les résistances, rien ne peut s’opposer au rayon de lumière qui conduit à l’heure destinée au cœur du mystère caché dans la touche de couleur ou le mot du poème et devient alors, éclat vivant d’un don qui s’offre. De la blessure a surgi la vie. L’art du peintre et celui du poète ont déchiré le noir et franchi le mur de l’impénétrable. L’un comme l’autre a fait se lever le soleil. Isabelle Poncet-Rimaud – février 2024 Le regard … lever de soleil « Un mur », écrit le peintre, Je vois tous les murs en couleurs, bleu, violet, jaune, vert, orange ou un mélange qui réabsorbe les couleurs, le mur peut être une métaphore, le vers une couleur, l’inscription : « Ne dépouille pas les mots de levers de soleil » la sensation d’impénétrable se brise ainsi un mystère existe dans tous les coins du monde, le regard est lever de soleil. Un rayon de lumière Rien ne s’oppose à la lumière, même pas l’homme-mur, il peut s’emmurer tout seul sombrant dans les ténèbres de son esprit, à l’heure destinée, la nuit fond en lui, coule telle le cierge allumé un rayon de lumière grandit en lui. Le don On portait sur nos épaules blessées de trop lourds fardeaux, on traversait le dos courbé les matins, sans être touchés par leurs scintillements, on s’est rencontré en été, deux voyageurs épuisés, une brise étrange a enlevé de nos épaules tous nos chagrins, des ailes de papillons ont poussé sur nos corps et notre envol évoquait une lumière. Pour suivre le travail d’Isabelle Poncet-Rimaud

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Isabelle Poncet-Rimaud, L’écorce du silence

Isabelle Poncet-Rimaud, L’écorce du silence Note de lecture par un musicien, Damien Charron L’écorce du silence, recueil de poèmes d’Isabelle Poncet-Rimaud, vient de paraître en janvier 2024 aux éditions Unicité. L’autrice a déjà publié une quinzaine de recueils, sans compter les parutions dans des revues ou des anthologies. Le titre m’ayant d’emblée interpelé, je voudrais partager mon approche du texte en tant que compositeur. Je connais Isabelle Poncet-Rimaud depuis de longues années et je suis régulièrement sa production poétique. Sa parole opère à travers des textes assez concis portant des images et des sensations prégnantes. Elle est traversée par des interrogations de nature métaphysique, spirituelle. J’ai eu la chance, en tant que compositeur, de l’analyser et d’en saisir la cohérence profonde lorsque j’ai mis certains poèmes en musique. J’ai d’abord écrit en 2000 un cycle de mélodies pour soprano et basson d’après des poèmes tirés de divers recueils, Dans la soif des mots. Puis en 2019 et 2020, deux mélodies pour mezzo-soprano et harpe : Une pomme au creux et Vanité des vanités, éditées dans le CD Varietas, mélanges pour harpes en carton, voix et harpions, paru en 2022. Le titre de ce nouveau recueil associe une image sensorielle forte, tactile, d’enveloppe protectrice (est-elle rugueuse, râpeuse, granuleuse ou au contraire lisse ?) à une notion presque philosophique, le silence. Je me suis donc demandé de mon point de vue de musicien ce que la poète allait tirer de cette alliance surprenante. D’autant que ce rapprochement opéré entre la matérialité d’une sensation et l’immanence du concept est réitéré dans les sous-titres des trois parties qui composent le recueil : « feuillures de silence » (le monde tactile avec l’emploi d’un terme rare avec son sens d’entaille, de rainure), « à l’ombre des silences » (l’univers de la lumière), « les cordes du silence» (la sensation de toucher, au moins dans son sens premier). Étant moi-même attaché au rapport entre le silence et la création, je souhaiterais mettre en évidence les traces d’un mécanisme d’auto-engendrement, qui m’a semblé transparaître dans ce discours poétique. Je pars de l’hypothèse que l’artiste inscrit en filigrane (consciemment ou non) tout ou partie de sa démarche au cœur de sa production. Je propose donc au lecteur de partir à la recherche d’une sorte d’art poétique. Écoutons le premier poème du recueil : « De l’imperfection du silence naissent les sons du monde. Balbutiement de parole ou clarté cristalline, vibrations secrètes qui écrivent leurs partitions sur le parchemin du temps. » Le premier vers introduit instantanément une sorte de décalage. Et de ce défaut surgit tout un processus, qui mènera jusqu’au phénomène de l’écriture. On pourrait aussi rapprocher la métaphore de la « faille » qui « souffle les mots » dans un autre texte. Ainsi le silence se voit attribuer divers caractères qui peuvent sembler paradoxaux : il est question d’« épaisseur » ou de couleur. Insensiblement, on passe d’un « imperceptible bruissement » à un « balbutiement de parole ». Ce qui était inarticulé (« cri muet ») devient « langage » puis « eau courante de la parole ». Et pour finir en écrit ou en « partition ». Cette dualité initiale se manifeste aussi dans des oxymores comme « silence sonore ». Plus largement, tout semble s’ordonner selon un principe d’opposition des contraires : « nuit / jour », « ombre / lumière », « bien /mal ». Comme l’énonce un poème de la deuxième partie, « Tout se tient et se féconde / dans les plis mêmes des contraires ». Ce jeu d’opposition structure sur un plan formel le poème suivant, où l’on peut observer un double chiasme : « Blanc du silence, silence blanc d’un autre côté où le temps même se tait. Silence blanc, blanc de silence. tout mot suspendu dans l’imperceptible bruissement d’un au-delà de l’instant. » Antichambre, Couvent de la Tourette, à Lee Ufan, plasticien Pour mieux comprendre l’agencement formel de cette inversion complexe, on pourrait la figurer par la séquence « ab/ba…ba/ab », où les lettres « a » et « b » remplacent respectivement « blanc » et « silence ». Il n’est pas anodin du reste que la double permutation affecte les deux termes signifiants « blanc » et « silence » pour faire ressortir leur parallélisme, voire leur confusion recherchée. Je voudrais terminer par un dernier exemple, où il apparaît que la poésie a en quelque sorte contaminé le monde au point de se substituer à lui, dans un parallèle saisissant entre la vie et l’écriture : « La dernière note de ton dernier souffle indéfiniment flotte suspend son temps, ne sachant, indécise, où poser l’écho mortel du mot fin. » Le recours à un nombre limité de sons facilite un jeu de reprise de sonorité, par des assonances (« suspend », « temps », « sachant »), ou par des répétitions (« dernière » « dernier »), ou encore par le choix d’une rime (« note et « flotte ») . Mais ce resserrement phonétique met également en œuvre un rétrécissement de l’univers des possibles, où s’inscrit la paronymie « mortel » / « mot » : la dérivation sous-entendue affirme alors leur intrication. Remarquons au passage la présence constante de sensations sonores faisant souvent référence à la musique. Dans le premier texte cité, les deux substantifs « vibrations » et « partitions » orientent l’esprit de l’auditeur vers l’univers musical, de même qu’à d’autres endroits quelques vocables un peu techniques comme « notes » (dans la dernière citation), « battements », « aigu / grave ». Ou encore une évocation du chant des oiseaux. On trouvera en guise d’instrument les « cloches du troupeaux » et même « la pluie à quatre mains [qui] pianote sur le clavier ». Au reste, c’est en raison de cette permanence discrète, mais certaine, que j’interprète le titre de la troisième partie comme un renvoi à une famille d’instruments de musique après la lecture attentive du dernier vers : « jouer des cordes du silence ». Dans ce court périple, j’ai tenté d’assembler, un peu à la manière d’un puzzle, les indices d’une force agissante de la création artistique, dépassant son propre message pour se signaler en tant que telle. Dans le souci d’y confronter ultérieurement ma propre démarche de compositeur. Bien sûr, je n’ai fait qu’effleurer un aspect de la poétique de l’autrice, laissant de côté des figures prégnantes comme l’arbre ou le jardin, et renonçant à aborder les thématiques de la mort ou de l’enfance. Lisez L’écorce du silence ! Isabelle Poncet-Rimaud, L’écorce du silence, poèmes, Editions Unicité, 2024 https://editions-unicite.fr/auteurs/PONCET-RIMAUD-Isabelle/l-ecorce-du-silence/index.php Site d’Isabelle Poncet-Rimaud : https://www.isabelleponcet-rimaud.com/ Site de

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Au plus près de la lumière : « Sygne » de Marguerite Genest

Au plus près de la lumière : Sygne de Marguerite Genest Alors que je préparais une « Promenade urbaine » architecturale et poétique à Aulnay-sous-Bois, consacrée au groupe des jeunes poètes de l’Orphéon, la fille du peintre Gabriel Robin m’a donné à lire Sygne de la poétesse Marguerite Genest publié en 1973. Le recueil est signé M. A. Genest : « M » pour Marguerite, « A » pour Ambrosini. La poétesse prend pour nom de plume Genest. Elle est « une voix », liseuse à la radio, dit d’elle son fils, le poète Bernard Hreglich. Elle fut dans les années 1950 la compagne du poète Serge Wellens. « Marguerite, ma seule aurore », écrira Wellens, en titre du recueil qu’il publie aux Cahiers de l’Orphéon en 1956. Tous deux se sont rencontrés à Aulnay lors des rencontres poétiques organisées sous le préau d’une école, auxquelles le groupe de l’Orphéon conviait les habitants. Marguerite Ambrosini interprétait la poésie et notamment les poèmes de Wellens. M. A. Genest, Sygne, Guy Chambelland, éditeur, 1973 Je suis entrée dans ce texte comme par un grand saut, surprise par son intense et immédiate vitalité. Dès la première page, la liberté ! Le souffle y court sans se dérober. Les mots abattent les obstacles. Sans gaspillage, par le hasard aérien du rythme du sang, ils ferraillent à travers l’ombre et la lumière dans l’étendue inapaisée du poème. Parfois, le territoire où vit Marguerite Genest ressemble à un champ de bataille où s’usent les appels et les peurs que la fin illumine malgré tout : « lumière comme une arme à bout portant ». D’autres fois, absence ou oubli, ses mots se lèvent en une eau abondante, « une larme brille quand la mer revient ». Puis vient le silence. J’aime ce territoire poétique soulevé au plus près de la lumière. Sans timidité ni fausse pudeur. Avec une fidélité à l’urgence qui me touche. Les mots secoués, éperdus, comme un battant sonnant à la volée. Vitalité ! ici, Marguerite Genest joue à se sentir vivante, là, elle vit de destruction. Mais toujours les mots l’emmènent ailleurs, au rendez-vous des arbres, des vents, d’un merle. Cris, plus que paroles. Cris, pour se rappeler à l’ordre souverain d’une vitalité inépuisable. A l’heure vague où la parole manque, où les désirs se retournent contre eux-mêmes, les cris ont la tendresse tenace ; ils nous démasquent, ils nous poursuivent, toujours plus haut, plus loin, hors des cercles étroits. Alors, en lisant le recueil de Marguerite Genest, il me semble que la poésie rend la distance moins grande entre cette femme et moi comme entre moi et moi-même. Ses mots se portent en flèches de lumière, accentuant les ombres – mais comme ces ombres nous aiment – ; et j’y trouve des mots pour étreindre ce qui voulait s’exprimer : un fil de souffle, des contradictions unifiées, « une planète / ronde unie et forte comme une sphère / Comme une pomme aussi / qui a le goût de la blessure ». La lecture me laisse pressentir que la colère, la douleur et l’effroi même dont témoigne la poète donnent l’énergie. Car la poésie ouvre – « rouge de franchise » – sur beaucoup plus que l’expression de sentiments. Instant d’inattention de la raison – les retenues sont débordées : une musique – sans acte de volonté – se dérobe à la saisie. Et trébuche de mot en mot. Mots : ces vocables simples et parfois endormis, où la musique se réfugie, que la musique effleure et délivre, que la musique entraîne vers un ailleurs. Là, la lecture installe sa nécessité. Lorsqu’elle s’accorde avec le rythme d’une énonciation, un cillement, la marche « sur dix routes différentes » et un peu de poussière résolument écartée, s’élèvent la stupéfaction de comprendre une langue étrangère, le courage de regarder et la jubilation. Une plénitude entraperçue dont je retiens quelques fragments d’or, comme la poète ces mots notés sur une page, signes de la lumière entrevue. AMZ, automne 2023 Sang profond Sang profond. Ne saviez-vous pas ? Moi, depuis que je connais l’Assassiné-Vivant, je sais. Il y a trop de sang. Une petite saignée, une fois, n’a pas suffi. Il en a encore beaucoup trop. Il l’entend couler, rougir, bondir, se battre, hurler, chanter, pleurer, se calfeutrer, faire le mort, ressurgir plus vivace, hâtivement se remettre à filer de la vie (filer, filer, il faut filer injurier et encore filer), bâtir, construire, chercher, trouver, dire Oh, dire Merci, cascader, pénétrer, aimer. Si peu digne, si dure merveille, cher sang détesté, je suis à toi. J’ai si longtemps connu l’Hiver Et pourtant Soleil tu sais ma volupté quand tu me manges Soleil silence au faîte de mes cris. De longs jours sans bouger De longues années sans brûler Il n’y avait personne Maintenant comment vivre L’horreur de la nuit déborde sur la vie A nouveau ne bougeons plus Inertie splendeur réelle Mort seul acte lumineux qui me reste Pourtant ton cri autoritaire merle dans cet après-midi de mai Qu’ai-je à faire d’un cadavre ? Des cadavres il y en a tant et tant Mais vous les morts que j’aime levez-vous soyez les vivants absents Levez-vous Enlevez ces peaux mortes qui couvrent le plancher et cette odeur d’herbe carnivore de planète disloquée Levez-vous il reste encore quelqu’un Un seul suffirait à tout déblayer Un seul mais vivant Le geste lent la voix qui sait – très peu de mots – le son de cette voix presque le silence Le silence la patience Etre en dehors du temps Itinéraire contraire ! Achevée ma chair natale … Ne plus être dans le temps ? Y aura-t-il encore des sourires des éclairs ? et des mots qui seraient plus que des mots … Etre plus que je ne suis. Signature Je suis à tous Je suis à un seul C’est peut-être cet oeil doux et anxieux dans le dedans dans le dehors C’est peut-être cette épée qui caresse C’est peut-être ce noyau immobile et secret Il ne s’est jamais rien passé que ce regard cette caresse cette immobilité de pénombre et de bruit Pour la promenade urbaine, Les

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Denis Emorine, « Sonia Elvireanu, un regard de poète au cœur du monde »

Denis Emorine, « Sonia Elvireanu, un regard de poète au cœur du monde » Lecture par Denis Emorine du recueil de Sonia Elvireanu, Le regard… Un lever de soleil /Lo sguardo… Un’ alba, traduction Giuliano Ladolfi, Giuliano Ladolfi Editore, 2023 Rien ne s’oppose à la lumière, constate Sonia Elvireanu dans un des poèmes de ce recueil. La palette du peintre évoqué en liminaire permet à la poésie d’éclore à la faveur d’un lever de soleil. Soleil… Le mot revient souvent ici: « le soleil glissant à travers tous les murs », « les scintillements du lever de soleil », « le soleil du lieu où les dieux/ont ensemencé le rivage », « …sous le rayon/de soleil ». Cette métaphore filée imprègne et illumine forcément tout le recueil. Inévitablement, la lumière baigne cette poésie. Même l’ombre, l’obscurité semblent factices : « Le noir infusé de lumière n’est pas opaque,/les rayons du soleil s’y reflètent,/brisent l’obscurité comme la lune dans la nuit » « comme dans une symphonie de couleurs » « comme le rayonnement de l’amour » . Le titre nous l’indique clairement, tout est révélé par le regard attentif de la poétesse. Avec Sonia Elvireanu, le bleu semble presque une couleur chaude sous « les ailes de la terre amoureuse», nous dit-elle. Tout resplendit ici. Tout est accord au sens musical du terme. Sonia évoque les dieux, les lieux sacrés où la nudité d’un corps de femme consacre l’éternité du monde et l’accord suprême entre une femme et un homme. Dans le poème Nu sur la terrasse -on croirait le titre d’un tableau- où la poétesse se met en scène, Le regard de l’aimé glisse sur ce corps offert, la nature est un miroir qui reflète un désir sous-jacent, prélude au sacrifice de la femme complice ,à la faveur d’un rite païen en harmonie avec la nature qui préside à la cérémonie : l’autel sur lequel tu es prêt à me sacrifier, l’œil de l’amour sans crépuscule, cette scène de théâtre épiée par le lecteur voyeur est l’ expression même du désir. * Dans ces lieux visités par Sonia Elvireanu, « la lumière perce l’obscurité «  même dans un hiver gris » et le poème monte vers un ailleurs entre sable, mer et ciel, là où les dieux ont laissé une empreinte de mystère. Avant de disparaître ? « Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. » écrivait Lamartine.1 * Et pourtant la beauté, l’harmonie , la sensualité célébrées par Sonia n’empêchent pas une allusion à la guerre, si peu voilée qu’elle nous atteint particulièrement. Dans Folie ténébreuse, rien ne nous est donné, aucune indication géographique, même pas un simple nom de ville, une ville en flammes : laquelle ? nous ne le savons pas et c’est d’autant plus impressionnant. Le paysage est flou, voilé par l’horreur ; le brouillard de la démence, s’exclame Sonia Elvireanu tandis que nous pensons à l’Ukraine. L’expression une ceinture de feu revient deux fois. Le contraste avec tout le recueil est violent. Est-ce pour nous mettre en garde contre la beauté toujours évanescente d’un paradis menacé sur terre ? On ne peut répondre avec certitude. Qu’importe. Il est difficile de refermer -et le faut-il vraiment?- cette parenthèse. * Sonia Elvireanu écrit en symbiose avec le monde. Peut-on parler de panthéisme dans cette poésie tellement la nature semble un temple vivant là où l’homme limité et même entravé par sa condition de mortel devrait retrouver le premier matin du monde avec dans la bouche un goût d’éternité ? Le temps semble parfois suspendu en un « commencement sans fin ». Rien ne s’oppose à la lumière même pas l’homme-mur Par la grâce de sa poésie, nous pouvons retrouver le sens de la lumière qui irradie un monde harmonieux, sans fin où il devrait faire bon vivre. Sonia Elvireanu en est la prêtresse, le démiurge Sans guide, nous ne savons pas à quelle porte frapper, où retrouver l’entrée d’un monde perdu ; revenir sur le lieu qui n’appartient qu’à toi croire que tu peux retrouver ton histoire… Les dieux parlent par la bouche de Sonia Elvireanu. Elle est aussi « sur le sable Nausicaa [qui ] accourt pour accueillir/l’étranger jeté sur le rivage par les eaux » Et me revient en mémoire ce bel aphorisme de Nietzsche : « Il faut quitter la vie comme Ulysse quitta Nausicaa avec plus de reconnaissance que d’amour (2) » 1 Méditations poétiques 2 Par- delà le bien et le mal https://www.ladolfieditore.it/index.php/it/catalogo/zaffiro/le-regard-un-lever-de-soleil-lo-sguardo-un-alba.html

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Eva-Maria Berg, Tant de vent négligé – So viel Wind ungenutzt

Eva-Maria Berg, Tant de vent négligé / So viel Wind ungenutzt Ecriture à contre-jour. Ombre découpée sur une lumière venue de l’horizon. Elan ! pour rejoindre le lointain. Eva-Maria Berg écrit comme le voyageur se met en marche. Prend le parti du néant. De la faiblesse. De la cendre. De la peine mêlée aux choses du monde. Descend lentement sur l’échelle des mots et se suspend au-dessus d’une déchirure d’où s’élève une musique :  » absolument / jouer / avec la langue / pour ne pas la perdre / comme si un poème prenait au sérieux / le mot et l’enfance / et le début toujours nouveau / commence par lui-même / du premier cri au dernier / souffle à la poursuite de sa tonalité / pour trouver son propre son « . Dans Tant de vent négligé comme dans les autres recueils, l’écriture d’Eva-Maria Berg est sans complaisance. La poésie dépasse en cela la grâce d’une impression. Ce qu’elle économise, je le reçois en plein coeur et j’apprends à travers elle à me séparer du flou, du rêve, de l’illusoire. Car il s’agit de voir,  » les yeux / et la bouche l’oreille / ouverts « , au prix de la vie : « combien de bleu / supporte l’oeil / sans se noyer / ou se disperser / dans l’air ». La langue se fait précise. Elague. Se décante. S’accorde avec les discordances et le silence. Etire ainsi la ligne de vie assurant comme elle peut le voyageur. L’esprit plonge alors en une méditation intime dans laquelle le lecteur convié se retrouve parfaitement lui-même. … ainsi que l’écrit Eva-Maria Berg dans un des derniers poèmes du recueil :  » et celui qui lève encore les yeux / ne voit plus de ligne point / d’idée quand sera enterré le mot / dans l’anonymat «  so viel wind ungenutzt die menschen nicht fähig zu fliegen die häuser verankert niemals zu versetzen die energie zu belastet sich in luft aufzulösen doch die augen ein leichtes sie mitzureissen wohin auch immer tant de vent négligé les hommes incapables de voler les maisons ancrées jamais à déplacer l’énergie trop polluée pour se dissoudre dans l’air mais les yeux il est facile de les entraîner n’importe où was bildest du dir ein beim schreiben schaust du tatsächlich von dir weg siehst die gesichter näher kommen mit jedem wort gibst du versprechen sie festzuhalten sie zu retten was bildest du dir ein beim schreiben hast du die augen offen für all die angst und hoffnung auf eine bleibe wenigstens im text ein dach über dem kopf bevor der stift abstumpft qu’est-ce que tu imagines en écrivant regardes-tu vraiment au plus loin de toi vois-tu les visages s’approcher avec chaque mot te promets-tu de les retenir de les sauver qu’est-ce que tu imagines en écrivant as-tu les yeux ouverts face à toute angoisse et tout l’espoir d’une demeure au moins dans le texte un toit au-dessus de la tête avant que le crayon ne s’émousse mistral du wirbelst den sand ins zimmer auf wessen spuren gehe ich hier dessen abdruck am ufer nun fehlt mistral tu souffles le sable dans la chambre sur les traces de qui je marche ici dont l’empreinte manque dès lors au rivage wieviel schichten menschheit sind überbaut wir legen das ohr au den boden erschüttert wird jemand denn uns nachspüren und gibt es dann dafür noch grund sur combien de couches d’humanité a-t-on bâti nous collons l’oreille au sol bouleversé est-ce que quelqu’un fera des recherches sur nous et y aura-t-il encore une raison à cela Eva-Maria Berg, Tant de vent négligé -So viel Wind ungenutzt, édition bilingue, traduit de l’allemand par l’auteur en collaboration avec Max Alhau, Editions Villa-Cisneros, 2018 http://www.eva-maria-berg.de/

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Jean-Marc Barrier, La nuit élastique

Jean-Marc Barrier, La nuit élastique Dans le travail de Jean-Marc Barrier, j’aime l’attention portée à l’intervalle qui semble séparer irrémédiablement le poète du monde. Jean-Marc Barrier est aussi plasticien. Lorsqu’il peint, brode ou écrit, il joue de l’entrechoc de lignes, de nappes, de points sur la feuille blanche et de mots entre les silences où s’éveillent des images à traverser :  » c’est l’écart que tu prononces « , dit-il. Ecart : Le recueil La nuit élastique franchit l’espace d’un  » double monde dehors dedans « , affleurant en des questionnements, des combats et un abandon, en la grâce désirée d’un flux et une instance éphémère qui contredit toujours le désir d’éternité. Les mots sont des amers, repères placés dans la cadence de la phrase. Lorsque la respiration s’élargit, des signes se lèvent comme des turbulences. Apparitions, oui, car « le corps finit dans les yeux », écrit le poète-peintre. De la camera obscura – chambre noire ouvrant le recueil, où  » jamais je … toujours naître / et nulle aube ne sera blanche  » – à la camera lucida – chambre claire – « , s’éloigne la poésie des ruines « . Depuis ma place de lectrice, durant ces moments où la lecture fait se lever en moi, avec le même caractère tout à la fois subtil, impalpable et insistant, les signes apparus au poète, je me saisis moi aussi des mots jalons dont je décrypte le témoignage. Le monde double de La nuit élastique n’est pas un objet, mais un milieu parfois animal et parfois végétal, où l’être cherche à comprendre sa place dans  » le bleu infini « . Arbres, eau, pavots et mauves, ciel, dune, roches, pluie, étoffe de la nuit… occupent le poème. Pourtant le poète y est bien présent. Il apparaît en notations rapides, « il », « je », « l’être », « tu », échappant à toute clôture grâce à l’inclusion de l’être dans le paysage. C’est alors le moment périlleux. Car sait-on jamais quand, avant de s’effacer à nouveau, une présence advient et n’a d’autre objet que d’être un effet de lumière ? regarde en toi les arbres noyés : une apnée tient mon aube seul solo possible dans ces eaux dans mes os des semblants de bois mort et cette lumière trop rare trop suave qui traverse l’espace affolé entre le trop-près et le si-loin une immobilité énonce le murmure têtu par nous tous écouté : en-deçà tu t’ensauvages : au-delà les signes renoncent quelle profondeur nous tient ? la lumière molle fuse peuplée de mauves et de pavots un pas et une histoire s’achève : une présence attendrie et droite se dessine entre tes côtes. (Camera obscura) en ce fouillis têtu de fibres et de vent la même peau toujours gneiss ou amandier : entre deux nuits la soif abonde en creux foisonnent les chants et les lumières le mica … l’ombre enfin repose : dans la pierre la puits : dans l’insecte l’oubli et la charpie du vouloir quand la graine parle une langue où la mort est enclose … le rebond le temps converge … la chair se décrypte : l’oiseau est une colonne héros défait … terre devenue terre : jardin d’être tu sombres là où naît une noce languide le corps finit dans tes yeux (Camera lucida) un mât sépare le ciel en deux en moi le bleu se divise son bruit d’eau calme … sans les pierres ligne à ligne avec la main le temps faseye une page que le vent frôle : le grincement d’une poulie un fanal … et le bleu labile de l’eau où tout s’amenuise mes poumons sont dans l’arbre paix de l’air et du sang : voir …par ses yeux voir même … l’ombre oubliée et ce monde soudain blanchi derrière la vitre sale je tourne l’air en ma faveur (Camera lucida) Jean-Marc Barrier, La nuit élastique, Phloème, 2022 https://www.editionsphloeme.fr/de-langue-française/oeuvres/la-nuit-élastique/ https://jeanmarcbarrier.fr

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j’acques estager, aux effilées de leurs doigts

j’acques estager, aux effilées de leurs doigts Je lis le texte de j’acques estager, aux effilées de leurs doigts, avec la joie d’éprouver en une forme écrite un souffle si inlassablement plié et déplié. Et qu’aimer de plus que ce souffle qui passe là ? Que dévoile-t-il entre ses plis ? Presque l’invisible. Une saison étrange où les mots se suspendent, blancs et ciselés, à la phrase défeuillée. Mots ouverts à tout ce qui s’égare. Un bredouillement. Une ombre. Un rythme. Une musique autrement vibrante de devenir si substantielle. Il suffit d’écouter. De tendre le miroir à la bouche pour reconnaître qu’il s’embue et que l’être est vivant. Il y a dans cette lecture une part de mimétisme auquel le corps est convié. C’est le début de l’aventure intérieure. Un corps à corps avec les mots. Ô combien emporté et insouciant comme l’esprit le devient quand le vent balaie les pensées. Si attentif aussi lorsque surgit, inattendue et peut-être illusoire, la manifestation d’une permanence. La langue écrite au féminin m’effleure en cela plus subtilement encore. Je lis le recueil en reprenant les mots du poète, « je dirais alors que c’est moi ». * dans un enclin sur des blés, des blés !, dans une nuit d’où couchée sous des blés !, j’étais, d’y chercher une brume éternelle toujours le même soir fantômal, la brume et les mêmes fantômes marchent les prairies autour de la rivière dans le village, fantôme de la brume à la brume, dans l’ombre partout, cette promenade lente l’immobilité partout, la brume… la terre… de partout, la brume jusque d’à ses ombres de sous la brume, j’en veux dire à la halte de son corps de brume, effacer sa parole de sa voix, toute de moi toute, jusqu’au ciel, il y a, dans la brume, mêmes absence et présence, … îles… … nuits d’elle à elle, … * la nuit, à l’estompe je vois dans la pénombre mes habits en lambeaux, ou « souvenirs vagues et délicieux », ce qu’il y a et si la nuit est longue je ne suis pas si pâle, je suis si pâle, ce n’est tant que je suis, ne suis si reposée, c’est de soirée que l’ombre je suis dans la fraîcheur des ténèbres. Je me pelotonnerais bien, de là, sur les reflets des eaux … * … je suis, calme, même, orante, à l’image, même, calme, orée, dite. Les demies voix les toutes voix, c’est la nuit, c’est se respirer, on se murmure, c’est la voix, l’à travers après-midi de anges, âmes, ombres, errantes. Le songe. il y a seulement un siècle que nous étions allongées tout unes nuits, c’est de cette nuit-même, dans ces paysages … c’était où tout est calme… j’acques estager, aux effilées de leurs doigts, poésie, Rosa canina éditions, 2022 https://rosacaninaeditions.jimdofree.com/les-auteurs/jacques-estager/

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Robert Bares, La pluie tombe comme la lune

Robert Bares, La pluie tombe comme la lune « Restent les trajectoires aléatoires de la goutte d’eau à la vitre qui ne sont pas des chemins mais des modalités d’existences glissées… », écrit Robert Bares à la fin de son ouvrage, La pluie tombe comme la lune publié par les éditions du Petit Véhicule. De trajectoires erratiques, quelquefois très hasardeuses, souvent improbables, il est question dans ce récit d’apprentissage. L’auteur, artisan charpentier devenu éducateur, et les jeunes gens dont il croise la route apprennent les uns des autres à sortir des marges et des cases toutes faites. L’atelier devient le lieu de l’inattendu.  » J’ai cru à la force de l’exemple, à la mise en jeux de cet intérieur, sans filet, et sans enjeu autre que celui de la monstration, du partage et de la rehausse, en valorisant l’outil le plus proche de la main, le moins productiviste et le plus ralentissseur, pour, enfin écarté de l’inassouvissabe immédiateté, t’initier à la perception de la pensée constructrice, bâtisseuse, au long cours… et toi qui croyais avoir achevé ton travail, alors que tu venais juste de le commencer … je t’ai montré cette exigence et tu l’as faite tienne ; entre mes mains un bout de ta ferraille mal dégrossie est devenue miroir, et tu as pu, partant, dégager la lame de samouraï rêvée, de toute sa symbolique guerrière pour la transfigurer en lame d’air, en parure … que d’apaisements dans ces changements de tempo, de rythmique, où passer de la pluralité fantomatique du jeu fantasmé à la consistance singulière du je apprenant, en recherche mélodique continue … irrigué par ta fierté, il m’est arrivé d’éprouver de la satisfaction et de me sentir, parfois, vraiment utile … tu es devenu musicien m’a-t-on dit … «  La langue de Robert Bares est dense et sans cesse en mouvement pour tâcher d’atteindre le « grand conservatoire du vivant »… « le lire, l’épurer, le façonner, lui donner corps ». Elle tâtonne. Elle suit des intuitions. Elle sonne juste en cela qu’elle témoigne d’un double cheminement : celui de l’apprentissage des jeunes gens et celui de l’auteur aux prises avec une émotion artistique qui le taraude et à laquelle il tente de donner un corps littéraire et graphique.  » Tu parlais une langue d’inversions, de croisements, de débits saccadés, fondue dans un alliage non fixé, en résistance contre la rouille du temps, défensive, au lyrisme pétrifié dans l’injure … lapidaire, en constante demande d’assentiment, et à ce point gorgée d’indicible, qu’elle se conditionne toute à l’appartenance … mais une appartenance dé-historicisée, sans retour possible sur ses chaînes mentales. une langue globale avec beaucoup de couleurs voyageuses et très peu d’habits … une langue de témoignage, apprise dans une autre classe, sur un tableau de bitume … une langue inventive dans sa musicalité, sa rythmique … une langue de corps, suants, transbahutés, contraints … une langue comme une danse, extraordinairement dynamique, de muscles et de nerfs, avec une place à tenir, une langue samouraï … de chassés, de droite en pleine figure, d’attitudes, d’honneur et de vengeance, de famille … une langue qui coupe cour, qui désigne et qui verrouille … genrée jusqu’à l’absurde … une langue de rue, de trottoir, de parking et d’écran, dé-féminisée, de corps à angles droits … une langue sans âge … Et c’est au long de ce lime de palissades et de tours de guet que nous nous tenions, l’arc en main et le carquois plein à craquer de phrases académiques, alternativement lancées en jets continus ou retenues par incapacité à évaluer la distance … Singeant aussi parfois, comme s’il suffisait. «  Robert Bares, La pluie tombe comme la lune, avec des dessins de l’auteur, Le Petit Véhicule, 2021 https://lepetitvehicule.com/la-pluie-tombe-comme-la-lune-de-robert-bares-avec-des-dessins-de-lauteur/

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Denis Emorine, Identités brisées

Denis Emorine, Identités brisées Note critique par Isabelle Poncet-Rimaud,mai 2023 La mort en berne et Identités brisées, les deux romans de Denis Emorine, ont pour trait d’union Dominique Valarcher, écrivain écartelé entre deux amours auxquels il ne sait ou ne veut renoncer. Identités brisées commence là où se terminait La mort en berne. Dominique Valarcher a laissé un mot à sa femme Laetitia pour lui annoncer son départ provisoire, sans aucune autre précision sinon celle de son besoin de recul. Dominique Valarcher se veut et se dit un mari fidèle, très amoureux de sa femme à laquelle – affirme-t-il souvent – il appartient. Oui, mais No̓ra, une jeune étudiante hongroise qui prépare un master sur son œuvre, est venue troubler ce bel équilibre. Quelle est la nature de cet amour ? Celle d’un homme flatté par l’intérêt que lui porte une jeune fille cultivée, celle d’un homme en désir inavoué et rassurant de séduction, celle d’une tentation venue de l’Est, cette partie du monde qui le hante et le déchire depuis son enfance ? Peut-être tout cela à la fois… L’écrivain Dominique Valarcher, de lointaine ascendance russe qui cultive sa sensibilité slave et se ressent aussi latin par son pays de naissance et sa culture, éprouve une attirance mortifère pour cette partie du monde qui l’aimante et le repousse tout autant. Son œuvre n’est que questionnement sur ses identités contradictoires qui ne lui laissent aucun répit. Dans Identités brisées, le personnage de Laetitia prend une épaisseur presque supérieure à celle de son mari. La souffrance amoureuse de cette femme qui questionne son âge et en vient à prendre conscience de sa valeur personnelle par, ou grâce, au manque terrible que créent l’absence physique et les interrogations sans réponse, touche profondément. Laetitia est un cri d’amour, prête à tout pour retrouver celui qu’elle aime. Les espoirs et la désespérance qu’exprime cette femme sensible, cultivée, musicienne, rayonnante rendent d’autant plus cruelle l’impossibilité de Dominique Valarcher à trancher. Homme de fractures, Dominique Valarcher porte douloureusement sa propre culpabilité et celle d’un passé familial qui ne lui appartient pas, ainsi que celle d’un territoire marqué par l’Histoire. L’écrivain aux identités morcelées, ne sait choisir et semble se complaire en lui-même et en sa propension à la fuite. Quant à Nóra, elle voue un culte à « son » écrivain et laisse planer le doute sur la réalité de ses sentiments. Ce qui arrange bien le côté lâche de l’écrivain. Nóra, jeune fille innocente, opportuniste, amoureuse ou seulement admiratrice de l’homme et de l’écrivain ? Nóra serait-elle l’incarnation de ce que hurle sans cesse l’écrivain dans son oeuvre : l’amour porte toujours en lui la mort, surtout quand il vient de l’Est ?… Dominique Valarcher saura-t-il trouver la réponse à cet écartèlement qui fait de lui un funambule exilé, en équilibre instable entre deux cultures, deux amours, deux fidélités, deux univers émotionnels, vie et œuvre, intimement liées ? On le suit dans son combat personnel à Garouze, lieu de sa retraite, mais aussi dans sa vie antérieure, celle d’un homme tourmenté et écrivain reconnu, aimé, admiré du public et de son éditeur, dans les souffrances qu’engendre sa personnalité fragmentée grâce à l’écriture forte et précise de Denis Emorine qui nous entraîne jusqu’au dénouement dans un même élan. Dans ce deuxième et beau roman, Denis Emorine a su donner corps et sensibilité à des personnages complexes et parfois déroutants. La mort en berne et Identités brisées, deux romans que l’on peut lire comme une suite mais aussi indépendamment l’un de l’autre. Longtemps après les avoir quittés, le lecteur continue son chemin en compagnie de Dominique, Laetitia et Nóra … Identités brisées de Denis EMORINE – 5 Sens Éditions – Suisse – 2023 https://catalogue.5senseditions.ch/fr/36_denis-emorine https://www.isabelleponcet-rimaud.com

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