Sara Balbi Di Bernardo et Laurence Marie, entre poésie et art visuel, une complicité fertile Puisque la poésie est aussi une question de vue car elle éclaire le lieu tout intérieur d’où procèdent le balbutiement de nos sens, leur éveil, leur disponibilité, pourquoi ne pas la confier à des images ? C’est ce à quoi nous convient Sara Balbi Di Bernardo et Laurence Marie. La première écrit et la seconde dessine. Elles travaillent ensemble dans une complicité fertile qui donne naissance aux Poésies à la verticale. Lorsque j’ai découvert la poésie de Sara Balbi Di Bernardo, j’ai ressenti combien elle brasse d’éléments sensoriels tirés d’un monde à la fois sonore, visuel et toujours mouvant. Quelques vers tirés du recueil Biens essentiels résument l’impression laissée par les lectures que j’en fais : « parfois / elles me surprennent / marquent / ma rétine comme un feu ». Surprise, oui. Fraîcheur d’un jeu lumineux, tantôt tendre, tantôt abrupt, où ce qui apparaît est déjà marqué par sa disparition. Une énergie supplémentaire naît de la rencontre entre cette écriture et la création plastique de Laurence Marie. Les mots se posent sur un territoire visuel et charrient en retour des formes renouvelées qui tentent de se saisir de ce qu’elles savent pour nous, les « biens essentiels » Qui d’entre la poète et la plasticienne ouvre le chemin et qui le reprend ? Comment laisser aller à leur marche particulière les mots et les images ? S’agit-il d’additionner ou d’élaguer ? Telles sont quelques-unes des réflexions qui ont nourri notre entretien. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Paris, 15 avril 2023 Cyclamen, hommage à Cy Twombly, texte de Sara Balbi di Bernardo, illustration de Laurence Marie Comment vous êtes-vous rencontrées ? Depuis quand travaillez-vous ensemble ? Sara Balbi Di Bernardo (SB) : Nous travaillons ensemble depuis deux ans, en revanche, nous nous connaissons depuis trente ans et nous sommes amies. Nos parcours sont parallèles et nous partageons les mêmes problématiques. Il y a entre nous une énergie qui fonctionne et qui nous porte. Laurence Marie (LM) : Notre amitié est comme un élastique qui se détend et se retend. J’ai d’abord découvert les poètes que Sara publiait sur Twitter. Lorsqu’elle est venue vers moi pour me proposer d’illustrer son premier recueil, inédit alors, Les biens essentiels, je n’étais pas très motivée car le monde de la poésie m’ était encore étranger, mais je me suis prise au jeu et je ne le regrette pas. Je crois profondément que les choses arrivent parce qu’elles devaient arriver. Nous nous sommes trouvées et cela était sans doute écrit quelque part. Nos rencontres se sont peut-être déjà passées, car le temps est relatif. Tout cela tient un peu de la magie. Que représente la création pour chacune de vous ? SB : Dans ma poésie, il me semble que je retrouve mon tout premier texte. J’avais alors 8 ans et mon grand-père venait de mourir. J’ai décidé de lui écrire sur le papier à lettre que l’on m’avait offert le jour de mes 4 ans, ce cadeau est d’ailleurs mon tout premier souvenir. C’était un papier à lettre blanc, avec le dessin d’un chat, que je trouvais si merveilleux que je n’avais jamais osé l’utiliser. J’ai écrit le texte avec de très grandes lettres et je l’ai posé sur le rebord de la fenêtre pour que mon grand-père puisse le lire depuis le ciel. Je me rends compte aujourd’hui que souvent, dans mes poèmes, on retrouve un chat, une fenêtre ou cette quête de communication vers l’au-delà. Par la suite, j’ai écrit des scénarios, des romans et des nouvelles. Il y a quelques années, durant une période difficile de ma vie, j’ai découvert la poésie et cela a été salvateur. J’ai d’abord énormément lu, puis je me suis mise à l’écriture. Depuis mes débuts en poésie, j’ai changé, je ressens le besoin de m’isoler dans ma maison, entre ses murs blancs, dans le silence. Mon recueil Biens essentiels a été écrit pendant le confinement à partir d’une situation concrète que la poésie m’a fait envisager différemment. Je vais vers le monde par l’écriture. Le véritable bien essentiel est la poésie qui parcourt mes poèmes. La poésie est pour moi un choc des sens et des significations. Lire Georges Bataille, en tout premier, puis René Char, Marina Tsvetaeva, Emily Dickinson et Marie-Claire Bancquart a été comme une addiction. Je lis de nombreuses autrices. Je ne fais aucune différence entre la poésie des hommes et celle des femmes, simplement j’essaie de rattraper le retard imposé aux femmes et je lis davantage leurs textes. Les vers de Bataille dans L’Archangélique, très courts, très puissants, avec leurs images fortes, pleines d’interprétations qui étendent le champ des possibles et ouvrent tant d’univers, ont été pour moi un choc. Je crois que la poésie est la plus puissante des drogues : elle modifie notre façon de penser, elle ouvre le champ des possibles. J’aime aussi la photographie, en particulier celle de Robert Adams, Francesca Woodman et Saul Leiter. Et le cinéma, énormément. Je trouve le cinéma et la poésie très proches : je pense aux décors de Kubrick, aux dialogues de Godard, aux images d’Antonioni, au non-dit chez Chantal Akerman. Les films néoréalistes italiens me touchent particulièrement. Enfant, ils m’ont bouleversée. J’aime aussi la Nouvelle Vague et Godard. J’adore Fellini. J’aime infiniment Antonioni, cinéaste de l’incommunicabilité. Dans ma poésie, on retrouve souvent des références cinématographiques : dans Whisky, on aperçoit Lost Highway de David Lynch. Fellini, Godard et Chantal Akerman habitent d’autres textes. Sara Balbi di Bernardo, « Whisky » (extrait), Biens essentiels, Bruno Guattari Editeur, 2023 LM : Pour moi toutes ces formes d’art sont de l’ordre de la création. Je ne fais pas différence entre elles. J’adore la photo et toute création. Une lecture peut me porter. Le cinéma m’inspire car j’y vois des tableaux. J’ai peint une toile à partir de la couleur rouge qui domine dans le film La Reine Margot. J’ai adoré les personnages torturés de Lucian Freud et d’Egon Schiele. Les femmes créatrices comme Camille Claudel me fascinent et je