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poètes et lecteurs : entretiens

« La recherche d’une vision qui parle sans cesse pour l’humanité », Eva-Maria Berg (Allemagne)

Jean-Marc Flapp, « Que la littérature me projette hors de moi en une extase ! » (France)

Jean-Marc Flapp, « Que la littérature me projette hors de moi en une extase ! » Jean-Marc Flapp lit (beaucoup), écrit (pas assez selon lui), est directeur de la revue DISSONANCES qui vient de fêter ses vingt ans. Avec son équipe, il a fait de la revue un laboratoire vivant d’écritures à la fois poétiques et narratives. Notre entretien s’est articulé autour de quelques mots choisis pour leur récurrence dans ses textes poétiques et dans ses chroniques. Parmi ceux-ci, il en a retenu certains : « extase », « voyage », « monstre », « compassion », qui ont guidé notre conversation. D’autres ont surgi au fil de la rencontre, comme « bienveillance », « urgence » ou « vérité ». Ainsi s’esquisse le portrait à multiples facettes d’un éditeur poète et lecteur. Entretien avec Anne-Marie Zucchelli, Paris, 14 mai 2022 Extase Chez Jean-Marc Flapp l’expérience de la littérature – écriture ou lecture – brûle, incendie et prend au corps. Du texte d’Emmanuel Adely, La très bouleversante confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté, il écrit : « 100 % adrénaline ! Ce que j’attends en fait de la littérature c’est qu’elle me secoue, me projette hors de moi en une extase telle que je suis vraiment ailleurs (que je deviens vraiment autre) le temps de la lecture. » Lui-même pulvérise le langage en des phrases scandées et palpitantes, mimant les spasmes du corps. Pour entrer dans le vif du sujet, il a choisi de commencer l’entretien avec le mot « extase ». L’extase, c’est ce qui arrive à Lancelot dans Le chevalier à la charrette (dont l’incipit est l’exergue du nouveau DISSONANCES) lorsqu’il voit la reine passer au loin et que sa pulsion d’amour le catapulte hors du château… par la fenêtre ! C’est aussi ce que j’attends de l’art et de la littérature : qu’ils me fassent sortir de moi, du niveau premier des choses, de mon vécu concret, qu’ils m’envoient valdinguer dans une dimension parallèle. Et c’est capital pour DISSONANCES : à chaque thème nous attendons de voir où vont nous amener les textes proposés et les œuvres de l’artiste invité, nous sommes à l’affût, et au final chacun fait son voyage qui n’est celui d’aucun des autres. Nous sommes par ailleurs vraiment au service des auteurs et des artistes que nous publions. Ce qui nous comble, ce sont les retours d’auteurs et d’artistes heureux de comment nous les avons traités, mis en valeur. Il peut y avoir des tensions, mais c’est rare : nous donnons tout ce que nous pouvons pour rendre chaque œuvre publiée (qu’elle soit textuelle ou visuelle) la plus efficiente possible dans le cadre de notre charte graphique. L’œuvre est une machine à produire de la sensation, à projeter dans un ailleurs. Pour lui donner encore plus de pouvoir, depuis le dernier numéro de DISSONANCES, nous offrons à chaque texte une double page illustrée : chacune d’entre elles constitue ainsi un univers autonome dans le thème global. Faire exister une revue comme DISSONANCES est bien sûr extrêmement chronophage. Une partie de mes fonctions y est d’être chroniqueur (deux recensions par numéro) et je fais avec certains auteurs un important travail de correction et d’éventuelle réécriture. DISSONANCES est par ailleurs un très réel travail d’équipe (cinq des six personnes qui l’animent forment le comité de lecture et la sixième anonymise les textes, les grandes décisions sont toutes collégiales) : en tant que directeur, je suis en position de pivot, je recueille et je fais circuler. Cela mange beaucoup de mon temps et de mon énergie, cela réduit d’autant la possibilité d’écriture personnelle. Cela m’a d’abord frustré. Mais je me suis rendu compte qu’animer cette revue est une forme d’expression aussi forte que complète. Je dirais donc que dans mon œuvre personnelle, il y a aussi DISSONANCES : je me retrouve absolument dans son côté pluridisciplinaire, je m’y exprime vraiment. Et c’est aussi très… distrayant : choisir les textes, les mettre en pages, c’est comme faire un puzzle (et j’adore les puzzles). DISSONANCES se présente comme « revue pluridisciplinaire àbutnonobjectif ». Cela peut sembler une boutade mais ce n’en est pas une. Nous savons que parmi les 300 ou 400 textes que nous recevons à chaque fois, une autre équipe ferait d’autres choix. À l’intérieur même de l’équipe les diversités de réactions sont étonnantes : certains textes qui paraissent indispensables aux uns peuvent être détestés par d’autres. Le travail du comité de lecture est de faire avec cela, s’affronter, négocier, du chaos initial faire naître un cosmos. « puisqu’il n’y a plus rien étendu sur le dos et les yeux au plafond tu t’écoutes respirer tu sais que tu as ta dose mais marre absolument de tous ces os qui craquent tu presses le bouton et la morphine court qui s’engouffre et t’inonde un éblouissement tout le corps aboli douleur évanouie tu dis dieu que c’est bon tu n’es plus que du vide et n’as en même temps jamais été si plein car le vide c’est du rien qu’une chose contient et tu es cette chose et beaucoup plus que ça n’ayant plus de contours détaché et entier tu es tellement content d’autant que pile à l’heure débute la grande parade que tu veux applaudir mais tu n’as pas de mains puisqu’il n’y a plus rien et tu le connais bien ce joli lapin blanc sur décor de jardin petit lapin malin qui passe à fond de train secouant sa queue houpette et qui hoche la tête c’est une chanson bête caquète une poulette que tu connais aussi car elle s’appelle henri c’est bête tout autant elle avait donc raison c’est une sage poulette tu ris et elle aussi et puis elle se dissout dans un froissement doux tes yeux se sont rouverts sur le plafond très blanc comme l’était le lapin et tu hoches la tête saluant le feuillage derrière la fenêtre du grand arbre bruissant sous la brise du soir ou du matin peut-être le soir ou le matin il n’y a plus de temps … » Jean-Marc Flapp, « Le Saut de l’ange », extrait, DISSONANCES # 21 LE VIDE Voyage À propos de Johanne de Marc Graciano, Jean-Marc

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Isabelle Poncet-Rimaud, « Attendre la germination de la parole » (France)

Isabelle Poncet-Rimaud, « Attendre la germination de la parole » Dans son écriture, la poète Isabelle Poncet-Rimaud se saisit du bruissement de la vie en son intimité et son partage. Parce que la poésie – « Imperceptible murmure », « poussière du rien » – questionne l’existence, la présence de la mort et le désir de vie, elle devient une terre de résistance où la poète trace sans cesse de nouveaux chemins. Isabelle Poncet-Rimaud est autrice d’une quinzaine de recueils. Son parcours littéraire se nourrit de la collaboration avec d’autres artistes, écrivains, musiciens et peintres. C’est de ce qui fonde son désir d’écriture, l’enracinement et l’envol, l’aspiration au très proche et au très sensible ainsi que l’adresse à autrui, dont Isabelle Poncet-Rimaud témoigne dans cet entretien. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 26 mars 2022 Respirer La poésie est un chemin pour moi. Elle l’a toujours été. Elle est une trajectoire humaine et spirituelle. Pendant des années, elle a eu une dimension sacrée. Je la voyais comme le reflet d’une parole divine qui passait à travers elle. Cela n’existe plus pour moi maintenant. La perte de la foi a fait disparaître quelque chose que je suis incapable de retrouver, mais dont je n’ai pas envie non plus. J’ai pris conscience que je ne suis qu’un maillon et que je suis reliée aux autres. La poésie m’a permis de me libérer, car « on ne peut se rendre vers l’autre qu’après être rendu à soi ». J’ai commencé à écrire dès l’âge de huit ans. Mes parents avaient fait tous les deux les beaux-arts. Comme j’étais incapable de dessiner, je me suis dirigée vers la musique des mots. J’avais besoin de faire sortir ce que je ressentais très fortement. J’écrivais de petits contes. Puis en grandissant j’ai arrêté d’écrire. À la naissance de ma seconde fille Mathilde, un jour, en écoutant une émission, j’ai eu le sentiment qu’il fallait que je reprenne ce chemin. C’est devenu important Lorsque nous nous sommes installés à Strasbourg, je suis entrée en relation avec la poète Sylvie Reff qui m’a demandé un texte pour un numéro spécial de la Revue alsacienne de littérature, écrit par des femmes. La nouvelle que j’ai envoyée a été acceptée. Quand elle a paru, cela m’a fait un effet si important et violent que je me suis dit, maintenant je peux mourir ! Dans ma vie quotidienne, la poésie est devenue une respiration. Quand mes filles étaient à l’école, je m’asseyais par terre contre un radiateur avec une couverture et j’écrivais. J’avais deux ou trois heures devant moi, tous les jours, quoi qu’il arrive. Le soir, ma poubelle était pleine. Après Verlaine, dans mon adolescence, qui fut pour moi, un pont vers le langage des mots, les poètes qui m’ont d’abord aidée à me libérer sont Jacques Prévert et Boris Vian. J’étais fascinée par la force crue et pourtant tendre de leur regard sur le monde. Ils ont osé utiliser le quotidien pour le dépasser. Ils avaient une liberté qu’ils m’ont communiquée et ils m’ont donné une permission d’écriture. Arracher A cette époque et pendant des années, c’est parce qu’un titre m’apparaissait qu’un recueil pouvait naître. Chaque fois le travail s’étalait sur deux ans, jusqu’au moment où j’écrivais un poème dont je savais que ce serait le dernier. Alors apparaissait un autre titre. Ce n’est qu’à la fin, en rassemblant le recueil, que je comprenais pourquoi ce titre était venu et quel chemin il avait permis de constituer. Comment aller au plus près de soi grâce à l’écriture ? Je subissais l’influence maternelle et je ne savais pas de quel bord j’étais. « Bord à bord » est le titre de mon premier recueil : entre l’enfance et l’âge adulte il y avait un gouffre qu’il fallait que je franchisse. J’étais blessée par ce que je percevais du monde et par les étiquettes qui étaient collées sur moi. Je voulais me dépouiller, écrire mon « visage voulu nu », évoquer les différentes facettes de mon être et du monde, comme l’indique le titre de mon second recueil, « Les pays d’être ». Je commençais à naître. J’arrachais du fond de moi ces mots qui disaient ce que j’étais, « Les chairs de l’aube ». Je n’ai jamais eu de facilité d’écriture. Le poème prend d’abord la forme d’un mot, d’un groupe de mots ou d’une phrase qui resteront et que je n’enlèverai pas. Mais je ne sais pas ce qui viendra après. Il faut que je laboure au fond de moi. À l’époque, cela voulait dire rester très longtemps en silence. Attendre puis élaguer. Renoncer avec douleur à certaines phrases. C’est très proche de la méditation. La parole procède de ce silence.  » De quel arc vibrant suis-je la corde tendue sous les ongles implacables de l’adieu ? De quel deuil me faut-il résonner à l’aigu pour qu’en vol vertical s’échappe l’oiseau blanc d’écriture, reflet d’eaux en musique voguant sur l’incandescence du Verbe? «  Les chairs de l’Aube, Editions Oberlin, 1990 Poème mis en musique par Damien Charron, extrait du cycle de mélodies, Dans la soif des mots, 2000 http://www.damiencharron.com/sound-clips.php Se mettre en chemin J’ai besoin de me nourrir des autres poètes. Pour pouvoir descendre dans le silence, je m’installe sur mon lit et je m’entoure des recueils que je lis. La rencontre avec les mots des autres me permet une descente intérieure. Leurs mots me mettent en chemin. Certains ont une résonance incroyable. Je ne peux pas être en état poétique pour écrire moi-même, si je ne suis pas dans cette présence poétique aux mots des autres. Certains poètes ont été importants dans mon cheminement. Henri Meschonnic par exemple, car il m’a apporté une exigence d’élagage. Sa poésie réduite à l’arête m’a aidée à aller au cœur des mots, à les faire s’entrechoquer pour créer les images. Gilles Baudry a aussi été très important pour moi. Nous avons fait de la traduction biblique ensemble et nous sommes devenus amis. Il est moine et sa poésie a une dimension spirituelle sans prêchi-prêcha. Elle témoigne de joie et de questionnements. Chez lui, tout devient prière sans l’être. Dieu est partout

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Claire D., « Les livres s’augmentent de leurs lecteurs » (France)

Claire D., « Les livres s’augmentent de leurs lecteurs » Les livres ont toujours accompagné Claire. Ils lui ouvrent des portes multiples sur des territoires inattendus, parfois oniriques et d’autrefois très ancrés dans les questions contemporaines. Les deux territoires se recouvrent et interrogent un même rapport au monde. Les livres se partagent, cherchent leurs lecteurs et prennent vie grâce aux lectures. Qu’ils soient les contes de l’enfance, les pièces de théâtre découvertes et jouées pendant la jeunesse et maintenant le vaste domaine de la bibliothèque où elle travaille, Claire témoigne d’une lecture attentive, généreuse et créative, « comme aller vers l’autre ». Une histoire d’enfance : « j’étais dans le conte » Plus que le goût de la lecture, c’est d’abord celui des histoires qui a marqué l’enfance de Claire. Elle se souvient des premiers livres, de ceux qui ont fondé son imaginaire, des personnages des contes et de la nature fantastique qui cohabitent en elle avec le paysage du Sud au milieu duquel elle vivait. Enfant, je n’étais pas une grosse lectrice, mais j’étais dans une famille où il y avait des livres. Ce n’était pas un objet étrange ni qui faisait peur. Le premier livre dont je me souviens c’est Oui oui. J’étais petite et je goûtais mon indépendance à lire toute seule. J’avais du plaisir à lire les livres de la bibliothèque rose, la comtesse de Ségur et le Club des cinq, mais je n’avais pas d’émerveillement. Par contre, j’ai eu quelques albums que j’ai lus et relus et tout particulièrement le livre de Tom Pouce, avec des photos et des personnages en tissus qu’on a gardé jusqu’à ce qu’il tombe en ruine. Adulte, j’allais régulièrement y jeter un regard nostalgique. Une histoire qui a compté pour moi est celle de La forêt des lilas et de Blondine, Bonne-Biche et Beau-Minon. J’étais complètement fascinée par cette forêt qui se referme derrière la petite fille. Il se trouve qu’on habitait à la campagne dans le sud. Nous étions les dernières de sept enfants et mes parents se reposaient un peu sur les grands pour nous surveiller. Derrière la maison il y avait un espace de garrigue. Un jour, quand nous avons eu 5 ou 6 ans, ma sœur et moi nous nous y sommes perdues. Je me rappelle être sûre d’être passée par un endroit dans lequel pourtant on ne pouvait pas entrer car la végétation était trop serrée. Comme dans l’histoire, la forêt s’était refermée derrière nous. Nous y sommes restées de longues heures. J’étais dans le conte. Je n’avais pas peur. J’aimais le côté magique ! « Le jardin où Blondine se promenait dans sa petite voiture traînée par des autruches, avec Gourmandinet pour cocher, était séparé par un grillage d’une magnifique et immense forêt, qu’on appelait la forêt des Lilas, parce que toute l’année elle était pleine de lilas toujours en fleur. Personne n’allait dans cette forêt ; on savait qu’elle était enchantée et que, lorsqu’on y entrait une fois, on n’en pouvait plus jamais sortir. » Comtesse de Ségur, Histoire de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon, Nouveaux contes de fée, Hachette, 1896 Lorsque j’ai eu des enfants moi-même, j’étais déjà bibliothécaire. Ils ont donc eu une profusion de livres à leur disposition. Quand on commençait une histoire, mon fils aîné pouvait rester des heures sans bouger. Je leur lisais Tom Pouce avec le vieux livre qui partait en ruine. J’aime voir le regard des enfants quand ils écoutent une histoire ou quand ils dessinent, car ils se construisent comme cela. Ma mère est poète et écrit des chansons. Je l’ai toujours connue avec des lunettes qui lui font d’énormes yeux parce qu’elle est presque aveugle. Elle n’y voyait pas assez pour vraiment lire, mais mon père lui faisait la lecture à voix haute. Avec le temps, avec une autre de mes sœurs on s’est mise à lui enregistrer sur des cassettes des livres qu’elle achetait. On connaissait la poésie de ma mère à travers ses chansons. Elle en a écrit énormément et elle avait une jolie voix. Elle a fait des chansons pour chacun de nous, elle parlait de nature, d’amour et de mon père. Être comédienne : « Grâce au théâtre, je regarde la vie autrement » Claire est d’abord devenue comédienne: une façon d’incarner le texte et l’urgence de dire. Mon amour du théâtre a commencé au collège. J’avais la grande chance d’habiter non loin d’Avignon et d’avoir le festival à portée de mains. Mes parents avaient les moyens et la culture de nous en faire profiter. J’ai des souvenirs émerveillés de spectacles dans la cour d’Honneur. Ils ont changé ma vie. Je me rappelle d’avoir vu la Farce de Maître Pathelin quand je n’avais pas dix ans. J’ai tellement adoré ce spectacle que j’y pensais sans arrêt. Alors, quand je suis arrivée au collège, je l’ai monté avec des copains et copines. Moi qui étais une élève introvertie, discrète et timide, je jouais Maître Pathelin. En faisant rire tout le monde, je prenais une revanche. Mon second souvenir important a été de voir Ariane Mnouchkine dans la cour du Palais des Papes. Fascination complète. Puis mon père nous a emmenés voir son film sur Molière. J’en suis sortie en disant que je ferai du théâtre. Je suis entrée dans des troupes de théâtre où j’ai découvert Shakespeare, Beckett… J’ai fait une session professionnalisante au conservatoire d’Avignon, puis je suis devenue comédienne. Avec d’autres j’ai créé une petite compagnie. Ce n’était pas facile, mais j’y ai pris beaucoup plaisir. À chaque fois que j’ai travaillé sur un spectacle, j’ai fait de belles rencontres. La rencontre avec une œuvre qui se transforme et s’augmente grâce aux corps, aux voix et aux décors. Car la voix révèle la potentialité d’un texte. Je pense aux exigences de Jean Genêt que j’aime beaucoup et qui ajoutait dans les éditions de ses textes des commentaires sur la façon de monter les pièces. Genêt parle de choses très lourdes et subversives avec une écriture brillante et solaire. Il adorait l’interprétation des Paravents par Maria Casarès, monté

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Béatrice Pardossi Sarno, « la lecture en partage » (France)

Béatrice Pardossi Sarno, « la lecture en partage » Béatrice Pardossi Sarno a fondé avec son amie Marie Michaux, la plateforme « Tout avec presque rien » sur laquelle elles créent et diffusent des podcasts consacrés à la littérature : des « Voyages littéraires » autour des livres et leurs auteurs, des lectures de « contes de fées » et des interviews « Aux marges de la littérature ». Béatrice prête sa voix. C’est elle qui compose et enregistre chaque émission – lectures, commentaires et musiques. Marie illustre les émissions, mixe le résultat final et s’occupe de la mise en ligne. Elles sont toutes les deux animées par un même désir de partage : transmettre leur enthousiasme et donner à leurs auditeurs l’envie de lire à leur tour. C’est de cette expérience dont témoigne aujourd’hui Béatrice. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, 18 février 2022 La découverte des livres Le plaisir de lire est venu tardivement à Béatrice. Mais il est venu avec surabondance et dans le rire. C’est un livre, puis tant d’autres livres, qui lui ont ouvert des chemins où elle se lance avec passion. Mon moteur, c’est le partage : relever ce qui est beau, ce qui vibre, ce qui est vivant, et s’en émouvoir avec d’autres. C’est redoubler le plaisir ! La lecture a été une révélation tardive. J’avais autour de 35 ans quand j’ai vraiment aimé lire la première fois. Un jour, sur un conseil d’une amie, j’ai lu Marguerite Duras, non pas le livre dont elle m’avait parlé, mais Le marin de Gibraltar. La chaleur écrasante du mois d’août à Florence, l’état de torpeur dans lequel le héros est plongé au tout début du livre, je connaissais cela pour l’avoir vécu durant les étés de ma jeunesse, ma famille étant originaire de là. Je trouvais remarquable que cela puisse être aussi bien écrit. Puis, lorsque le héros se retrouve dans un musée, en extase devant une toile, un détail a déclenché en moi un tel fou rire que je n’arrivais pas à me calmer, même en relisant le passage. J’ai pris conscience tout à coup du pouvoir des mots et de leur effet physique. Comme je suis entière, depuis j’ai lu tous les Duras que j’ai trouvés. J’ai été subjuguée par son écriture, mais surtout par ses compositions. Par exemple, pour écrire Le Ravissement de Lol V. Stein, Duras part du point où naît ce ravissement. Le reste du livre, ce sont des ondes. Elle construit tout à partir de ce point-là. La littérature a changé ma vie. Elle est devenue une compagne quotidienne. Maintenant avec les podcasts, j’imagine aller chercher les personnes qui, comme je l’ai été, n’y sont pas encore sensibles. Avant d’aimer lire, j’ai toujours écrit des textes brefs. Des jeux avec les mots et les sons. J’écrivais aussi pour les enfants des histoires que j’illustrais car j’aime dessiner. J’ai pris une année sabbatique pour donner une forme à tout cela. Le matin, j’accompagnais mes enfants à l’école puis je partais marcher pendant des heures au cours desquelles je prenais des notes. En rentrant, je faisais ce que j’appelais des « gammes » parce que je suis musicienne : je jouais avec un mot, ses sonorités et la forme des lettres qui le composent. Quand je marchais dans Paris, par exemple, je faisais des gammes à partir des noms de stations de métro dont certains sont très énigmatiques. J’ai créé le blog « Ceci est une boîte à jeux ». Après les gammes, je faisais des « morceaux », de courts textes ou des nouvelles que je travaillais. Je les groupais dans des pêle-mêle que j’éditais, chaque fin d’année, à petit tirage artisanal, numéroté, sous le nom d’édition « Tout avec presque rien ». J’ai édité sept pêle-mêle en tout. Le premier livre que j’ai publié chez un éditeur extérieur s’intitule « Madame Betty ». Ce sont des chroniques, des textes humoristiques inspirés par la concierge de mon immeuble à Paris. La semaine de sortie du livre, l’éditeur m’a proposé de présenter mon travail d’écrivain et m’a donné un créneau de quelques minutes chaque jour pendant une semaine sur sa webradio. Grâce à mon frère musicien qui avait un studio d’enregistrement, j’ai inventé un format de lecture accompagné de musique. J’ai compris que mettre en valeur les mots passait aussi par les sons. À la fin de la semaine, l’éditeur m’a offert de faire une émission tous les mercredis soirs, pour parler des livres que j’avais lus et aimés. Ainsi est née l’aventure des podcasts littéraires. Le podcast : une lecture subjective et créatrice. Depuis Duras, chaque fois que je lis un livre j’écris des notes de lecture. Elles sont subjectives. C’est comme si je dialoguais avec le livre. Je note ce qui me surprend et m’émeut. Parfois, je m’indigne contre l’auteur, sur tel ou tel passage. Je repère avec précision les procédés d’écriture et comment ils déclenchent des effets. Je recopie les extraits qui m’ont touchée. J’aime beaucoup recopier des textes que j’aime. C’est un peu comme reproduire une peinture, on se fond en quelque sorte dans la peau de l’auteur. Ces annotations sont le squelette de mon podcast. J’y ajoute des recherches sur le contexte et l’auteur. Le but, c’est d’essayer de cerner son univers. Le premier livre que j’ai choisi est celui de Romain Gary, La vie devant soi. J’ai eu aussi parfois la chance de travailler étroitement avec certains auteurs comme Caroline Rocca et Jean-Michel Neri. L’année dernière, j’ai été sollicitée par le festival de la Francophonie, organisé par l’Ecole française de New York. J’y ai participé de façon virtuelle. Dans la liste d’auteurs qu’ils m’ont proposés, j’ai choisi Alexandre Feraga et son livre, Après la mer. Ça a été un bonheur car il m’a raconté les circonstances d’écriture de son roman et des anecdotes que je n’aurais jamais pu connaître. Du coup, le podcast s’est construit en plusieurs couches : ce que j’ai lu et relevé, ce que l’auteur m’a appris et les musiques qu’il a choisies. Comme il est amateur de jazz, j’ai découvert de très beaux titres grâce à lui. Parce que les 20 minutes du podcast ne permettent

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Valérie M., « La poésie, un texte, une voix, une vibration » (France)

Valérie M., « La poésie, un texte, une voix, une vibration » Valérie M., femme engagée, porteuse d’exigences sociales, écologiques et humaines, est aussi une lectrice. Au festival Voix vives en Méditerranée qui se tient à Sète tous les ans en juillet, elle découvre la poésie. C’est son expérience de lectrice qu’elle nous livre à travers cet entretien. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Aulnay-sous-Bois, 4 décembre 2021. Écouter la poésie J’ai découvert la poésie tardivement et c’est à Sète que j’ai commencé à l’apprécier. Ce que j’ai expérimenté pendant ce festival, c’est l’écoute. C’est le son. De la poésie j’aime les sonorités. Je suis à chaque fois davantage touchée par la poésie lue dans sa langue maternelle. Je le suis parfois beaucoup plus par les textes que je ne comprends pas, lorsqu’ils sont lus par leur auteur. Je cherche à ressentir l’émotion d’une autre personne et à travers elle, son vécu. Me laisser traverser par des mises en mots. Les émotions à l’état brut. C’est très direct. Ressentir la poésie. La ressentir à travers la voix de son auteur. La voix de l’autre. La poésie m’est venue ainsi à travers les voix de personnes qui me l’ont donnée gratuitement tout en livrant beaucoup d’eux-mêmes. Dans ce lieu, j’ai trouvé cela admirable. J’y suis allée huit fois. Le format proposé par le festival me touche. Je pense qu’il a une dimension spirituelle. À écouter la poésie, assise dehors dans les rues de la ville, j’ai le sentiment d’être connectée au vivant, au ciel, à la terre, à la mer, aux êtres animés et inanimés. Écouter la poésie dans ces circonstances me permet d’être davantage encore connectée au vivant. La ville où je suis roi « Où sommes nous enfin – nous allons nous errons Deux ombres fatiguées, étonnée de la vie… Mais rien n’est impossible et nous nous reverrons Un soir, dans une rue, une ville, un pays… Je le sais, je le sens, ce sera comme un rêve Tout fleurant bon les sons de lointaines musiques, Et nous ne saurons plus si un instant s’achève Ce sera comme un rêve en des choses magiques. […] » Yves Masselot – Editions de la revue moderne – 1959 Des récits de vie  Je ne relis pas forcément les poèmes que j’ai entendus. En revanche j’aime lire chez moi la poésie de personnes que je connais. J’aime avant tout mettre un visage. J’ai besoin d’incarner le texte. La poésie est une rencontre avec une personne physique. Dans mon travail professionnel, je développe cette dimension d’écoute. Depuis très jeune je préfère écouter plutôt que parler. C’est une vraie nourriture que d’écouter l’autre. Dans mon travail, j’écoute des personnes qui ont besoin d’accompagnement, d’aide, de soutien. À chaque fois ce sont des récits de vie. Ces personnes me font confiance quand elles déposent leur histoire. Du coup je conçois mon travail avec un niveau d’exigence important parce que je ne veux pas les décevoir. La relation d’aide, c’est avant tout le partage d’un humain à un autre. Je cherche dans la poésie ces récits de vie. La poésie témoigne d’une manière d’être au monde. Elle est une nourriture pour moi. La différence avec une parole de la vie quotidienne, c’est la forme. La beauté recherchée à travers la mise en mots. Par exemple, les auteurs et autrices qui viennent de pays en guerre parlent magnifiquement du désespoir. Ils me bouleversent. Vivre avec eux ces émotions me permet de me dire que je suis toujours sensible aux autres et dans l’empathie. J’ai besoin de m’assurer que je suis bien toujours dans une capacité de réception et d’accueil et non pas blasée. Je pense particulièrement aux textes de James Noël, auteur haïtien et à la poésie d’une femme de Beyrouth dont je ne me souviens plus du nom. Un partage Le fait d’aller à Sète avec mon compagnon François et de partager avec lui la beauté est important pour moi. Cela cimente vraiment notre couple et lui donne une autre dimension que celle du quotidien. J’aime partager la lecture avec des amis. Se faire connaître mutuellement des œuvres. Je participe à l’association « De Vives Voix » qui a été créée il y a trois ans et qui propose ces rencontres autour de thèmes divers. J’y ai découvert par exemple Valérie Perrin, autrice que je lis maintenant. Après chaque rencontre, je ressors avec un livre nouveau : actuellement je lis celui que François Maspero a écrit sur son voyage dans le RER B avec une photographe. Les médiathèques des villes où l’on a habité sont ma deuxième maison. J’ai beaucoup lu a mes enfants quand ils étaient petits J’adore lire à haute voix. Dès que c’est possible je le fais encore. J’aime m’entendre lire. C’est ma voix portant une parole construite par quelqu’un d’autre. Je me sens comme un vecteur. Je véhicule quelque chose qui a été pensé par un autre. Je suis une courroie de transmission. Je transmets un imaginaire et en le lisant à voix haute je l’anime. Je lui donne de la vie. Je m’amuse, j’aime faire les voix d’animaux. Je me libère. Grâce à la psychophonie je m’autorise à développer ma voix et même à chanter. Insolence  « Perchée sur un « pétard de sort » L’insolence de cet enfant.. L’insolence de ce bonheur A la barbe des jeteurs de sort.. L’insolence de cette fleur Que personne ne peut cueillir.. L’insolence de cette vie Née d’une graine Dans la faille du macadam !..  Suspendue au rayon de soleil, La chanson de Mimi Pinson.. Eclaboussé en plein dans la mare, Le saut de Gavroche.. Ruisselant sur la ville entière Le bouquet du feu d’artifice. Il n’y a pas de fermeture Pour l’insolence : Elle brandit son étendard Dans tous les jardins publics.. Elle saute dans l’ascenseur.. Elle plonge dans l’aquarium.. Elle éclate de rire A votre nez.. Excusez du peu ! » Béatrice Dexheimer – La nouvelle Pléiade – 2013 Un mouvement, une onde, une vibration Je suis curieuse de tous les arts. J’aime voir le beau partout et être touchée. Par les

Valérie M., « La poésie, un texte, une voix, une vibration » (France) Lire la suite »

Rodney Saint-Eloi, « Mille vies comme la mienne » (Québec)

Rodney Saint-Eloi, « Mille vies comme la mienne » (Québec) Rodney Saint-Eloi est poète et éditeur. Il dirige les éditions Mémoire d’encrier qu’il a fondées à Montréal en 2003. Il est auteur de nombreux recueils de poésie et directeur d’ouvrages. Sa maison d’édition publie des écrivain.e.s autochtones, antillais.e.s, arabes, africain.e.s, dans leurs langues personnelles et en français, dans l’ambition de « rassembler les continents et les humains pour repousser la peur, la solitude et le repli pour pouvoir imaginer et oser inventer un monde neuf. » Chanter « les bruits du monde » et « l’autre en nous », permettre qu’émerge la parole de l’autre traversent l’écriture et le travail d’éditeur de Rodney Saint-Eloi. Propos recueillis par Anne-Marie Zucchelli, Montréal, 13 septembre 2021 Un engagement humain nécessaire Rodney Saint-Eloi, vous écrivez dans Récitatif au pays des ombres, « je me mets à ruminer mille vies comme la mienne ». Un engagement humain nécessaire, exigeant et nourri de votre histoire personnelle soutient votre parole poétique comme votre travail d’éditeur. Je pense que nous détachons trop l’art de la vie. Les mots s’éloignent de la réalité des choses. Je me sens souvent en décalage et je lutte pour ressembler à ce que je fais. C’est mon combat. Je pense qu’il faut incarner l’idéal, le porter dans notre vie, réduire la distance entre nous-mêmes et nos rêves. Si nous faisons de la poésie, c’est dans notre vie. La poésie est notre manière de respirer, d’habiter, d’être ensemble. La poésie est partout. Éditer représente un pouvoir immense et symbolique. Nous ne nous rendons pas compte de l’usage que nous faisons de ce pouvoir, d’autant plus que nous sommes des êtres malicieux. Nous sommes dans des nœuds que nous essayons de dénouer et nous faisons semblant d’être des victimes. Pourtant, nous exerçons un certain pouvoir car les mots représentent le pouvoir. Il y a un pouvoir de la parole. Alors, quand nous l’avons, il est important de faire silence et laisser entrer en nous d’autres vies qui n’ont pas cette chance. C’est pourquoi j’ai écrit : « Je me mets à ruminer mille vies comme la mienne ». Je suis haïtien. Je suis né quelque part et je fais partie d’un collectif. C’est un privilège pour moi de pouvoir lire, écrire et rencontrer des gens comme vous, au lieu d’être resté dans mon village, à chercher du matin au soir l’eau, la nourriture. C’est d’autant plus important pour moi de laisser la place à d’autre vies et d’autres langages. Je suis toujours dans un procès d’altérité. Je ne peux pas simplement être moi-même. Ma vie prend sens quand elle peut servir. Cependant la pauvreté a de grandes richesses. Elle oblige à ouvrir l’espace, car l’espace est exigu quand on est pauvre. On doit tenir compte de l’autre. On n’a pas de chambre à soi. Lorsqu’on a un frère, il est toujours en face de nous. Les espaces ne sont pas séparés. Il n’y a pas non plus de la nourriture pour les chiens et une autre pour les humains, ni pour les vieux ni pour les jeunes. C’est un mécanisme inventé par l’Occident. L’individu est toujours dans la communauté et au service du village. Ce sens du commun est fort. Mais lorsque l’on vit sur une île, on n’a qu’une idée : regarder l’autre bord et s’en aller là-bas. Toutes les nouvelles qui viennent de loin paraissent très bonnes. Alors on échappe au destin. Mais on est toujours lié à cette communauté. C’est à notre tour de dire : si je deviens un héros, c’est pour cette communauté. Ce « chant commun » reste une urgence pour moi. La femme qui m’a appris à lire, ma grand grand-mère Tida, ne savait pas lire. Lorsque j’ai été admis à l’Académie des lettres du Québec, on m’a demandé d’écrire un texte. J’ai écrit que j’étais le fils de Tida et qu’elle ne savait pas lire. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est la mémoire de ceux qui nous ont précédé, de ces individus-là. Tida me faisait lire dans la Bible les Psaumes. Je répète toujours le psaume 23 qui a fondé ma vie : L’Eternel est mon berger : je ne manque de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages,  Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme,  Il me conduit dans les sentiers de la vie juste A cause de son nom. Pour moi qui grandissais dans l’abondance de la nature, ce n’était pas fictif. Mais j’ai aussi été élevé sous la dictature qui fait que chaque mot compte. J’ai donc été entouré à la fois de tendresse et de violence. Quand j’ai découvert que Tida ne savait pas lire, cela a changé pour moi le sens des choses. Les gens qui ne savent pas lire ne sont pas des imbéciles. Il faut les écouter. Tida m’a appris à redéfinir le sens du verbe donner : donner en effet n’est pas donner ce qu’on a ,mais donner ce qu’on n’a pas. Par exemple, chez Tida on ne mangeait pas du poulet les jours de la semaine, pourtant si un visiteur quelconque arrivait un lundi, elle offrait le poulet. De même, elle sortait les draps jamais utilisés et précieusement conservés. J’ai mené des chantiers d’écriture. C’est un vieux projet monté à l’Institut français de New York avec une amie. Je l’ai fait car j’écris pour rencontrer l’autre et sortir mes propres vulnérabilités. Être moi-même, aller au fond de mes propres désastres. Pour être il faut se mettre à l’écoute des autres. Au Sénégal, on m’appelle wagane « celui qui n’est pas encore vaincu » ou « le guerrier ». À Mingan, au village Innu, les autochtones m’appellent dans leur langue le « gros gros chat », c’est-à-dire le « roi de la forêt ». L’exil et le voyage L’exil et le voyage sont des thèmes récurrents dans votre poésie. « J’habite loin de mon île », dites-vous (Nous ne trahirons pas le poème), ou encore « Je scelle mon alliance avec l’exil » (Je suis la fille du baobab brûlé). Vous écrivez que vous vivez « entre-baillé ici-ailleurs » (J’ai un arbre dans ma pirogue). La poésie ouvre une route. Vous vous mettez en

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