nouages

août 2021

« Une femme d’autrui »

« Une femme d’autrui » « Moi je suis tout seul parce que je le veux. Et alors, ça m’emmerde et j’y peux rien. T’es sérieux ou quoi, tu vas où là ? Vas-y, vas-y le frère ! soit cool, hein ? Fais pas le con, mec ! Me faire ça à moi… Je te promets, quand t’entends ça tu te dis c’est limite, faut arrêter. Surtout que non, des fois tout seul j’y arrive pas, j’y arrive plus, j’y crois plus, absolument plus. Et si cette fille c’était qu’une femme d’autrui et qu’elle veuille me blaguer, hein ? » Imaginons un plan contre la puissance intrusive des chemins tout tracés. Comment infléchir la ligne et la réinventer ? J’enregistre tant de vous, votre impression sur moi comme sur une terre modelée par la sensibilité que j’ai de vous. En creux, en trous, en bosses, le souffle passe. Odeurs, respirations, voix sont les sûrs véhicules de nos existences. Cordes jetées. J’écoute. Je guette. Lasso. Hop ! Chevelures, yeux, vêtements, attitudes, paroles, je vous dépouille de tout.

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« Non ! »

« Non ! » C’est vers six heures, ça a toujours été. Vers six heures, c’est comme ça. Pas parler. Pas possible. Les vieux gestes agités, répétitifs, nerveux, le tic de la bouche contrôlé. C’est pareil à un incendie mal éteint, trop superficiellement étouffé. Ça couve. « Ah ! je ne sais même plus. Je lui ai déjà tout dit, mais si ! C’est mon avis. Alors t’as pas le droit de me dire ça toi aussi parce que depuis des semaines j’y arrive plus ! Non mais des fois pourquoi tu me dis ça ? Vas-y, sérieux, c’est vrai ! Pourtant je lui ai dit, tu sais pas ce que tu veux, t’as raison d’accord, mais c’est pas méchant, je ne suis pas méchant, voilà, t’as raison comme d’habitude, écoute, c’est promis, je te promets, ça arrivera plus ! » La tête dans les mains. – « Non ! » – La plainte se prolonge à l’intérieur comme on se racle la gorge. Le corps se balance, va-et-vient sur le « bip bip » du train, son parasite, étrange signal sous-marin dont le rythme s’accélère.

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« Allô ! tu m’écoutes ? »

« Allô ! tu m’écoutes ? » « Qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce qu’il a dit ? Un jour elle m’a dit… C’est elle qui me l’a dit. Je sais même qu’elle m’a baratiné. Allô ! tu m’écoutes ? » Inflexions des voix, reprise d’une respiration, rires abrupts, j’entends ce qui espère sans fin, goutte à goutte, robinet mal fermé. Alors une joie pleine et inattendue me surprend. Gestes ténus, mots discrets, expressions répétées, phrases inachevées, tension palpable du désir de dire. J’ai des conversations semblables, les questions identiques, le coin de bonheur fiché qui soulève le couvercle. Je reconnais parfois la jeunesse sur vos visages fanés.

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Isabelle Poncet-Rimaud, Dialogues avec le jour (France)

Isabelle Poncet-Rimaud, Dialogues avec le jour Que dit le jour lorsque Isabelle Poncet-Rimaud dialogue avec lui ? Il parle d’herbes, d’arbres et d’humains faisant ensemble l’expérience du « silence fendu », où la vie emportée dans les « barques à transporter les morts » cherche son refuge. Quoique né de l’expérience du confinement, ce recueil traverse les contingences. Le « temps fracassé » qu’il explore est universel. Il ne narre aucune histoire particulière, pourtant il est profondément intime. Le « moi » se fraye un chemin entre l’intérieur et l’extérieur – entre la vue depuis la fenêtre et la ville désertée -, dans un entre-deux qui déjoue les oppositions. Il est animé par le désir d’être et d’écrire. Dialogues avec le jour ouvre un cheminement apaisé dans l’œuvre d’Isabelle Poncet-Rimaud. La voix qui habite les textes est souvent non humaine, car tout parle. « La nuit bégaie », « le ciel fait signe », l’arbre déploie « l’alphabet », le temps « couvre les pages de mots ». La poète questionne. La simplicité des images dissimule et dévoile en même temps la réponse. Le sens se tient caché dans le silence. Les mots sont choisis pour leur « imperceptible murmure ». Il fut un temps, « mais c’était autrefois », où, dans le miroir des mots, Isabelle Poncet-Rimaud regardait un être qui disait être elle. Un locuteur la tutoyait et les textes se faisaient l’écho de ses injonctions. Ainsi, les poèmes du précédent recueil, Entre les cils, étaient ceux du « chant empêché ». La poète s’emparait des « mots cannibales » et des « mots cassés » pour écrire la rupture du deuil, de la douleur et de l’attente. Le chant noir se faisait plainte et supplique. Le sens se tenait en suspens au-dessus du chagrin. A faire l’expérience des Dialogues avec le jour, Isabelle Poncet-Rimaud s’arrime à l’instant qui s’en va. Horizontalité d’une naissance. Écoutant l’arbre, elle naît arbre. Ou bien « poussière du rien », ou « encre effacée » du ciel. Ce qui s’efface devient le lieu de la résistance et ce qui bégaie témoigne d’un désir irréductible d’exister. Dans ce processus , le jour végétal ou céleste pérégrine en elle pour la faire advenir. La voix de la poète s’incarne. Dans un ressac de « vague amoureuse », elle affirme l’existence de l’être : « j’écoute », « j’entends », « je sens », « je respire », « je croque », « je reçois », « je suis ». Lorsqu’elle ajoute, « mon cœur », « mon esprit », « ma tête » et « mes solitudes apaisées », le sens exprime, fervent, « la faveur d’exister ». Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli « De ce jour tremblé à la note du rien, donnerai-je couleur d’aile ou tintement nocturne ? » « Le silence te rejoint, maître-jardinier de ton âme. S’il racle et sarcle tes terres, c’est pour en faire la demeure de l’imperceptible murmure. » « Accoudés au gris d’un ciel sans ailes, mes morts, je le sens, se penchent sur moi. Dans l’enclos d’un silence fragile leurs paroles immobiles sur les marches du temps, prennent abri et vie dans le cloître de mes solitudes apaisées. » Dialogues avec le jour, Editions Unicité, 2021 Entre les cils, Editions Jacques André, 2018 https://www.isabelleponcet-rimaud.com/

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Marc-Antoine Beaufils et Anne-Marie Zucchelli, Esquisse d’une trajectoire

Marc-Antoine Beaufils et Anne-Marie Zucchelli, Esquisse d’une trajectoire Une traversée de villes à bord du RER B : regards croisés entre Marc-Antoine Beaufils, dessins et Anne-Marie Zucchelli, textes Un livre-accordéon sérigraphié à la main par les éditions Arrache-toi un oeil! Paris, 2015 Anne-Marie Zucchelli : Durant mes trajets quotidiens en RER B, matins et soirs, saisons après saisons, j’ai pris des notes semblables à des croquis dans un carnet de dessins. Paysages, lumières et ombres, heures de la journée, j’ai regardé autour de moi. Des silhouettes debout, bringuebalées, accrochées aux barres, assises, penchées sur le portable ou le livre. Des expressions de visages. Des bribes de paroles échangées, balbutiées, des fragments de conversations mêlées aux bruits de freins, de portes, du roulement de la machine sur les rails. Je les ai attrapés au vol pour en faire un récit, à la fois carnet de voyage et portrait intérieur. Je l’ai présenté à Marc dont je savais le goût particulier pour les paysages de banlieue. Nous avons extrait ensemble quelques passages qui ont servi de fil conducteur pour notre projet. Marc-Antoine Beaufils : Au cours de mes déplacement, je réalise toujours des croquis et des photographies d’ambiances urbaines et de l’environnement bâtis, avec une préférence marquée pour les friches industrielles et les territoires ferroviaires. Mes peintures et dessins s’élaborent à partir de cette matière et prennent la forme de séries qui illustrent et viennent acter une préoccupation particulière à un instant donné. Souvent, j’associe ces images à d’autres pratiques, littéraires ou musicales par exemple, et à d’autres médiums tels que la sérigraphie. Pour ce projet, j’ai emprunté plusieurs fois la ligne du RER B jusqu’à Aulnay-sous-Bois, dans la direction de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, en m’arrêtant dans toutes les gares du trajet. J’ai recueilli des fragments qui m’interpellent, en recherchant leur « inquiétante étrangeté ». Nous avons fait évoluer le projet chacun à notre manière avec notre savoir-faire habituel. C’est par le procédé de la sérigraphie que nous avons décidé de faire se rencontrer le texte et l’image. Nous avons réalisé plusieurs maquettes du projet jusqu’à ce que nous tombions d’accord, puis nous avons confié la mise en œuvre à un jeune éditeur sérigraphe, Arrache-toi un œil ! connu dans le monde de la microédition pour ses affiches de concert et ses petits livres artistiques. Lors du Festival dell Jazz, au Spazio dell Ruf à Vicenza (Italie), Esquisse d’une trajectoire a été mis en musique par Damien Charron, compositeur et Gian-Carlo Schiaffini, tromboniste Il a été présenté dans l’exposition « Turbulences graphiques, le graphzine à la bibliothèque Forney », Paris, octobre-novembre 2018. https://fr-fr.facebook.com/parelondriss/ et http://www.compagniedesoeillets.com/je-suis/marc-antoine-beaufils

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Louise Glück, « L’Iris sauvage » (Etats-Unis)

Louise Glück, L’Iris sauvage (Etats-Unis) « Toi qui ne te souviens pas du passage depuis l’autre monde, je te dis que je pus de nouveau parler : tout ce qui revient de l’oubli revient pour trouver une voix : du centre de ma vie surgit une grande fontaine, ombres bleu foncé sur eau marine azurée. » 16 août 2021. Des oiseaux en bandes traversent le ciel. Ils fondent sur l’arbre un à un et disparaissent dans le feuillage. L’univers se déploie. Louise Glück, L’Iris sauvage, éd. bilingue, Gallimard, 2021

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