Eva-Maria Berg, « Edinburgh » et « Horizons » (Allemagne)
Eva-Maria Berg, Edinburgh et Horizons (Allemagne) Edinburgh et Horizons nous invitent au voyage, l’un dans la capitale écossaise et l’autre à travers le ciel, vers l’horizon de territoires non identifiés. Les deux ouvrages sont nés de la collaboration entre un plasticien, Philippe Barnoud pour le premier et Matthieu Louvrier pour le second, avec la poète Eva-Maria Berg. Photographies et peintures se découvrent dans le silence et incitent à la parole poétique. Dans le dialogue avec les images, l’écriture trouve à se libérer en des tours et des détours renouvelés. Pour approcher ces paysages, tout est question de digression. Philippe Barnoud et Matthieu Louvrier se sont saisis de traces qu’ils relèvent pour guider le lecteur à travers la ville et le ciel. Premier écart, la couleur. Elle glisse sur la photographie comme remue dans l’eau la lumière d’un phare. Marée pleine, elle monte dans le ciel, en gris, en bleus, en verts très sombres dans l’épaisseur de l’huile. Les images se nourrissent de chemins de traverses. Énigme : fixent-elles un souvenir avant qu’il ne s’efface ou la matérialité d’un paysage intérieur dans lequel chacun des deux plasticiens se déplace ? En deux mouvements symétriques – l’un de plongée (Edinburgh) et l’autre d’élévation (Horizons) – l’écriture se prend à ces images. Puisqu’elle éprouve et même souffre de la fugacité des paysages, Eva-Maria Berg dénombre les contours, la matière, les éclats et le poids que les images recèlent. Mais pour en chanter également l’éternité, elle convoque des parts fabuleuses. Son compagnon de voyage est Icare. L’écriture rejoue l’envol. Plutôt que de renoncer au départ, la poète prend le risque de sombrer. À ces images silencieuses, la poésie prête du son. Elle commence par une musique, dans l’imprévu de la sonorité des mots. Puis c’est le corps entier qui s’exprime. Nudité d’un style. Eva-Maria Berg ramène à elle les mots comme une couverture. Elle écrit à l’oreille, mais aussi à l’œil. Comme un sculpteur modèle la terre autour de la structure métallique soutenant la forme. Sur la feuille, la mise en page des mots, tout en sauts de ligne et juxtapositions sans ponctuation, s’approche au plus près d’une colonne vertébrale invisible. Vide ou manque, Eva-Maria Berg écrit pour ne pas que « le trou reste béant dans la mémoire ». Note de lecture par Anne-Marie Zucchelli Edinburg : le temps de l’enfance Photographie de Philippe Barnoud, Edinburgh, p. 17 « s’étonner face aux bâtiments murailles tours bien ancrés au sommet ne pas percevoir le tremblement préhistorique mais ressentir sous terre le feu qui se fraye un chemin se consume désormais saisi à la plus haute altitude d’une vue à couper le souffle au-dessus de la ville » « au milieu de la ville la ruelle la plus sombre le pavé menaçant chuchotement très furtif cœurs tremblant il était une fois encore inimaginable que des systèmes de mesure puissent révéler divulguer chaque angle pas souffle pouls mais sans jamais réussir à résoudre leur énigme » « qui parle de miracles ne sait pas ce qui se passe si on ne ferme jamais ses yeux les images se transforment en chair et en os des êtres anciens émergent moitié humains moitié bêtes divins et maudits tous en couleurs sans ombre ils saisissent quiconque les voit par la peau et par les cheveux » Car il s’agit d’un voyage temporel dans lequel Édimbourg, ville séculaire, laisse monter à travers certains de ses aspects, la juvénilité éternelle de ses vies antérieures. Le recueil est construit comme une série de cartes postales. Les images sont réalisées les premières. Une face imagée et l’autre écrite. En allemand, langue maternelle d’Eva-Maria Berg, mais aussi traduits en anglais et en français, langue de cœur. La langue choisit ainsi de porter différents masques. Le lecteur éprouve ses limites de compréhension. La poète élargit encore le voyage qu’elle entreprend vers l’autre. Le livre devient notre lieu commun. D’ailleurs, plus souvent que de dire « je », Eva-Maria Berg dit « on », agrégat de voix humaines auxquelles le lecteur est convié de participer. La photographie fixe des murs, arbres, ruines et vues à contre-jour… détails d’une ville dans laquelle la poète expérimente des allers-retours vers des temps légendaires. Car elle porte sur ces images un regard émerveillé. Elle y cherche ce que la photographie peut libérer d’apparitions. Les images «troublent dévoilent recèlent débordent » . Le mouvement qui porte l’écriture est une plongée « dans le mystère », une immersion « dans l’incroyable magie du vieux site toujours neuf ». Cheminant souterrainement dans le passé même d’Eva-Maria Berg, c’est une enfant qui tient la plume et promène sur ces images d’Édimbourg un regard de voyant. « Des êtres anciens émergent moitié humain moitié bêtes divins et maudits ». Pour continuer de descendre l’enfant chevauche « l’oiseau majestueux du royaume de conte de fées ». Contes. Un lien très ancien existe entre celui qui raconte des histoires et la mort qui écoute, oublieuse pour un temps d’accomplir son œuvre. Eva-Maria Berg écrit pour que la nuit recule. De même que le photographe coule un filtre de couleur sur les images en noir et blanc, de même la poète allume sous la terre un « feu qui se fraye un chemin ». Le paysage en est rétroéclairé. Ce qui se révèle est « l’invisible qui seul est capable de se montrer à l’œil intérieur ». Horizons : s’envelopper de lumières Matthieu Louvrier, Horizons, p. 11 « Les yeux cherchent à colorer le ciel pour disperser le nuage noir ils recourent au premier bleu qui leur avait ouvert les paupières » « autrefois nous nous sentions liés aux dieux en regardant vers le ciel ils régnaient protégeaient aimaient se disputaient luttaient pour nos âmes envoyaient toutes les météos pour tester notre courage » « tandis que le paysage pâlit à vue d’œil et que les espaces se ferment il reste encore des ciels à trouver en images elles peignent le mur afin que les couleurs hibernent dans les yeux » « apprendre de l’expérience d’Icare et renoncer à voler ou mieux l’accompagner et masquer le soleil aile contre aile glisser vers l’horizon » Les peintures de Matthieu Louvrier pour Horizons s’offrent comme des fenêtres, minces bandeaux ouverts sur des ciels que la
Eva-Maria Berg, « Edinburgh » et « Horizons » (Allemagne) Lire la suite »